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Full text of "Catherine de Médicis : ses astrologues et ses magiciens-envoûteurs : documents inédits sur la diplomatie et les sciences occultes du XVIe siècle"

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EX LIBRIS %j4 




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WiLBOR. L. CRpSS UiaR^RV 
XJNIVEI^S\Ty of- CONNECTICUT 







3 11S3 00553727 1 



EUGENE BEFR ANGE 






atherine de Médîtis 

ses astrologues 
et ses magiciens-envoûteurs 



DOCUMENTS INEDITS SUR LA DIPLOMATIE 
ET LES SCIENCES OCCULTES DU XVI^ SIÈCLE 



AVEC VINGT ILLUSTRATIONS 



. Il y à deux sortes de merveilleux : 
celui de la science et celui de la cré- 
dulité. 

Ancillo . 



PARIS 
MERGVRE DE FRANGE 

XXVI, RVE DE CONDÉ, XXVI 



' 1. 



JUSTIFICATION' DU TIRAGE 




TOUS droits de traduction et de reproduclion réservés pour tous pay= 



CATHERINE DE MÉDIGIS 



DV MÊME AUTEUR 



Histoire de l éclairage des rues de Paris 
(Victor Lemasle, éditeur) ....... 

Vieilles façades parisiennes : La Maison de Ni- 
colas Flamel (Victor Lemasle, éditeur) . . 

Vieilles façades parisiennes : La Maison de 
Mme GoL'RDAN (Mercure de France . . . . 

Charlotte Corday et la Mort de Marat (Mer- 
cure de France^ 

Bibliothèque d'un curieux : Singularités reli- 
gieuses (A. Noël et Chalvon, édit.). . . . 



1 voL 



A MONSIEUR LÉON MARLET 

Bihliolhécaire du Sénal. 



X Si j'écris votre nckn en tête de cet ouvrage, 
mon cher Ami, c'est parce que vous en avez élé 
le guide savant et sûr. C'est parce que depuis de 
longues années vous avez consacré toute votre 
érudition de distingué chartiste à l'étude du 
seizième siècle et des caractères si variés, par- 
fois même si complexes, qui en ont marqué tour 
à4our et la grandeur de pensée, et les tragiques 
phases. C'est enfin parce que vous avez été 
l'amical soutien, l'encourageant réconfort dans 
l'âpre élaboration de cet ardu travail, au cours 
duquel la fatigue et l'abattement moral sont bien 
souvent venus arrêter ma plume. 

Je vous dois donc infiniment de reconnais- 
sance pour tout cela, mon cher Ami. Et voilà 
pourquoi je tenais à vous dédier une œuvre qui 
contient non seulement beaucoup de votre 
science, mais aussi beaucoup de notre mutuelle 
atYection. 

E. D. 

3 Avril lOH. 



INTRODUCTION 



Nous .savons deviner l'avenir 
dans les astres du ciel, dans les 
plis de la main, et le passé dans 
les cendres sépulcrales. Aux li- 
vrés à- récrit intraduisible pour 
les profanes, aux textes ténébreux 
des coptes, nous connaissons les 
signes qui tuent et les incanta- 
tions qui font revivre les morts. 

Thomassi Boronello (1). 



Pour notre histoire nationale, aussi bien que 
pour l'histoire européenne, la seconde moitié du 
seizième siècle et le premier quart du dix-sep- 
;tième, constituent une période effroyablement 
malheureuse. Certes, ce, n'est plus la nuit des 

(1) Traduction et extrait du grimoire, inédit de Thomassi 
Boronello. Manuscrit de 62 feuilleis parchemin ; in-4, seizième 
siècle. {Collection Wifliam Regsser.) 



]0 CATHERINE DE MEDICIS 

siècles qui ont suivi la morl de Théodose ; mais 
l'intellectualité humaine et les organisations 
sociales des peuples sont, à cette époque, si 
lentes dans leurs métamorphoses, qu'il semhle 
que l'aurore de la Renaissance se prolonge en 
une imprécision lamentable. Un grand vent de 
raison a cependant secoué le monde, puissam- 
ment aidé par la sublime invention de Gulen- | 
berg, A la voix des Calvin, Luther, Michel Ser- 
vet, Rabelais, Dolet, Théodore de Bèze et Sé- 
bastien Castellion, le trône de Rome se sent 
violemment ébranlé. Pour ce que cesi assez 
vescii en îénèbres, s'écrie l'imprimeur lyonnais 
qui devait payer cette phrase sur le bûcher de 
la place Maubert. 

Mais toute action émancipatrice ne s'exerce 
jamais sans réaction. Des profondeurs de l'Alle- 
magne, surgit soudain une multitu-de de sectes 
d'oi^i sort une nouvelle barbarie, érigeant en 
dogmes les plus singulières aberrations men- 
tales. En même temps que dans les troubles po- 
litiques sentretuent papistes et huguenots, en 
même temps que des intelligences discutent 
véhémentement sur l'utilité ou Tabsurdité de la 
messe, sur l'incarnation ou l'absence de Jé»6us 
dans la sainte hostie, d'autres cerveaux font un 



CATHERINE DE MEDICIS 



brusque retour dans les doctrines du paganisme 
germanique et Scandinave, auxquelles ils joi- 
gnent les pratiques étranges des rites magiques 
du moyen âge. 

Evidemment on croit toujours en Dieu. Mais 
puisque ceux qui prononcent respectueusement 
son nom ne savent être d'accord sur la manière 
de rhonorer, c'est donc que le Diable se mêle 
de troubler les esprits? Et l'on croit alors plus 
que jamais à Tinfluence du Prince des ténèbres. 

Cependant c'est bien pour la gloire du Dieu 
de miséricorde que "s'élèvent les bûchers, que 
grincent les roues de tortures, que saint Barthé- 
lémy martyr voit sa fête célébrée dans du sang, 
' que s'assassinent les grands et que gémissent 
les humbles. Mais le clergé proteste tout bas, 
disant que ce n'est pas de par la volonté du 
céleste Père que s'accomplissent ces horribles 
choses, et que c'est uniquement l'œuvre du sup- 
pôt des enfers, perturbateur des consciences et 
des cœurs devenus inhumains. Et de cet aveu, 
des raisonneurs concluent que i'ange déchu est 
désormais plus fort que son maître. 

D'ailleurs qui le nierait? Depuis des siècles, 
les psaumes, les humiliations, les prièues et les 
jeûnes n'ont rien produit pour l'amoind: isse- 



12 CATHERINE DE MEDICIS 

ment des misères humaines. Le Rédempteur 
divin, seul dispensateur du bon, du bien et du 
juste, a été impuissant devant l'envahissemenl 
de la foi mondiale par les stryges infernales. 
Donc il faut s'attacher à Satan, obtenir sa pro- 
tection, ses faveurs, en lui dressant des autels, 
en lui organisant des messes spéciales, en lui 
dédiant des victimes par le poison et par le fer, 
par Tenvoûtement et l'inceste, par le viol et la 
sodomie. Au plain-chant des cathédrales, on 
substituera le sifflement aigu des flûtes en ti- 
bias ; et l'encens subtil et vaporeux enveloppant 
les saints au sourire béat sera remplacé par 
l'assa-fœtida aux acres émanations, brûlant aux 
pieds de Jocihévauhé, monstre ricanant dans son 
cercle d'airain. 

Avec de tels honneurs rendus aux démons et 
et au Macroprosope couronné, les adeptes sata- 
niques sont bien sûrs d'obtenir promptement 
une puissance devant laquelle tout cédera, tout 
pliera. Confirmant cette force de l'ombre, les 
docteurs es sciences maudites ne déclarent-ils 
pas que les fidèles du noir Seigneur sont seuls 
possesseurs du Secret des Secrets ? Apologistes 
autofisés des théories du mal, ils assurent que 
tout fervent doctrinaire luciférien peut com- 






CATHERINE DE MEDICIS 13 

mander aux génies nocturnes (i), aux élémen- 
iales, aux lémures et larves, aux incubes et suc- 
cubes, aux spectres et goules, aux farfadets et 
lamies (2). Ils détiennent en outre le moyen de 
découvrir les sources et les trésors, de faire gé- 
mir la mandragore, et de transformer les plus 
vils métaux en un or pur et ductile. Ils savent 
aussi faire naître de troublants désirs dans les 
cœurs les plus réfraclaires à Tamour, et chacun 
reconnaît que la complexe goétie n'est pour eux 
qu'un ensemble de banales opérations et for- 
mules évocatoires. Mieux encore, Paracelse et 
Stirgane, biogénistes convaincus, ne donnent-ils 
pas rimmanquable moyen d'obtenir Ihommiin- 
niiliis^ homme ou femme artificiels que l'hermé- 



(1) R.-P. SiNiSTRARi d'Ameno. — De la démonialité et des 
animaux incubes et succubes, où l'on prouve qu'il existe sur 
terre des créatures raisonnables autres que rhonime, ayant 
comme luy un corps et une âme, naissant et mourant comme 
luy, rachetées par N'.-S. Jésus-Chri.<t et capables de salut ou de 
damnation. Curieux ouvrage publié d'après le manuscrit 
original s. d., découvert à Londres en 1872, et traduit du 
latin par Liseux en 1876 ; un volume in-lG. 

(2) Del Congresso notturno délie lamie, par Girolamo 
Tartorotti Rovereto ; 17-19, un volume in-lo. Les lamies 
étaient des monstres à léte de femme et queue de serpent, 
que l'on accusait de s'introduire nuitamment dans les habi 
talions pour y voler les entants qu'ils dévoraierit ensuite 
dans les bois. 



14 CATIIEKINE DE MEDICIS 

tistc peut à son gré créer en son laboratoire, par 
la concentration dans un alambic scellé, d'une 
quantité déterminée de semence humaine? (i). 
Quel triomphe que d'avoir en mains ces moyens 
prestigieux ! Quelle jouissance que de parvenir 
à ce vaste idéal, à cette influence supérieure et 
sans rivale ! 

Bien rares furent les esprits suffisamment forts 
pour échapper à cet âpre désir de domination, 
de vengeance, de haine calculatrice ou d'amour 
lubrique. Jamais on ne vit les souverains de la 
vieille Europe aussi avides de merveilleux, 
qu'ils le furent au seizième siècle. Encouragés 
par ces hautes protections, les Ruggieri le 
vieux, Corneille Agrippa, Jérôme Cardan, Mi- 
chel x\^ostradamus et autres maîtres dans rensei- 
gnement des grands arts, font de nombreux 
élèves qui trouvent aisément de lucratifs em- 
plois auprès des princes régnants. Mais nul 
monarque, nulle reine, ne réservèrent à ces per- 
sonnages, le bon accueil et le soutien que leur 
accorda Catherine de Médicisà la cour dcFrance. 

(1) Voir sur ce sujet l'étrange ouvrage de Jean Finot. le,-< 
HomancLiles tVhier eî cV après- demain. Essai sur la créalion de 
Vhommeen dehors de la femme. Paris, 1897, un volume iu-so. 
Le même auteur nous a aussi laissé un ouvrage non moins 
curieux sur les Hommes et les femmes à cornes. 



CATHERINE DE MEDICIS 15 

Aussi vit-on bientôt trente mille (i) sorciers, 
alchimistes, devins et astrologues, vivre du 
produit de la superstition parisienne. Tout ce 
que la ville et la cour comptent de notabilités, 
croit plus ou moins à l'autorité diabolique des 
magiciens, à l'attraction du mauvais œil, aux 
■dangers mortels de l'envoûtement. Des cerveaux 
•comme ceux de Pasquier, de Thou, Ambroise 
Paré, n'échappèrent pas à cette fièvre démonia- 
que. L'Eglise même, qui lançait sans arrêt ses 
plus terribles a na thèmes contre les sorciers, 
ne les condamnait pas comme des imposteurs 
•ou des fous, mais bien comme des impies et 
relaps dont la malignité pouvait, à Taide du 
démon, opérer des faits extraordinaires suscep- 
tibles de nuire au christianisme (2). Chacun 



(1) Mémoires —journaux de Pierre de VEsloile, publiés par 
"Brunet, Champollion, Halphen, etc. Édition Alphonse 
Lemerre, Paris 1896. 

(2) Questions sur VEncyclopédie, article Superslition 1 ar 
Voltaire, et Alfred Maury dans l'Encyclopédie Moderne, 
t. XXV, édition de 1862. Notons que cette opinion de 
i'Église du seizième siècle sur le Dénionisme est restée la 
même pour l'Église moderne. Tout comme au temps de 
•Catherine de Médicis, le clergé catholique croit fermement 
-à l'influence du Démon et à ses manifestations diverses. 
Pour se coavaincre de cette croyance, il suffit d'ouvrir 
l'année 1902 de l'Ami du Clergé, revue hebdomadaire, très 
sérieusement rédigée, et traitant toutes les questions ecclé- 



16 CATHERINE DE MEOICIS 

traîne alors son existence dans une crainte, une 
méfiance continuelles, voyantdes empoisonneurs 
et des assassins partout, des sortilèges en toutes 
choses, et des menaces divines dans les moindres 
phénomènes atmosphériques (i). 



siastiques. On y trouve, pa!isim, des récils sensationnels sur 
les prouesses de Satan au vingtième siècle. Entre autres 
élucubrations, il faut lire le récit d'une aventure arrivée à 
Lyon au P. Jandel, supérieur général des dominicains, 
aventure confirmée par le témoignage du P. Lécuyer, pro- 
vincial des dominicains lyonnais, de M. Guélat, archiprctre 
de Moirans, de M. Michel, curé des Rives et de Mgr Cotton, 
évoque de Valence. C'est la description d'une tenue maçon- 
nique présidée par Salan en personne, et à laquelle le 
P. Jandel assista sur l'autorisation spéciale de l'archevêque 
Mgr de Donald. Le P. Bresciani, qui passe aussi pour" 
avoir particulièrement étudié les rites maçonniques, assure 
également qu'il est à sa connaissance que le Démon apparaît 
dans plusieurs réunions de francs-maçons, et qu'il s'y fait 
vraiment adorer. Ces narrations insensées me rappellent 
le sermon d'un capucin portugais, auquel mon bealu père, 
M.C. C.Guihéry assista vers 1865, à Lisbonne. Ce prédicateur 
persuadait ses ouailles assemblées, que les francs-maçons 
n'étaient pas des hommes constitués comme les autres humains, 
et que, voués au Démon, celui-ci les avait dotés d'une queue en 
leur prolongeant la colonne vertébrale. Naturellement, ce 
révérend père était très écouté, et nul n'aurait osé douter 
de la véracité d'une parole aussi saintement autorisée. 

(1) Une ordonnance royale, datée de 1563, défendit l'usage 
des poches aux vêtements, pour empêcher les conspirateurs 
et assassins de dissimuler toute arme offensive autre que 
l'épée. 



CATHERINE DE MEDICIS J7 



Possédée par une ambition incommensurable, 
Catherine de Médicis n'aura d'autre but que celui 
de conserver le gouvernement; et pour satisfaire 
cet amour du pouvoir, elle emploiera tous les sys- 
tèmes bons ou mauvais. Très autoritaire, mais fa- 
taliste comme la plupart des intelligences supé- 
rieures de son temps, ce n'est ni le catholicisme, 
ni le protestantisme qui sauront guider sa con- 
science. Contrairement à ce queprétendent divers 
historiens redresseurs de torts, c'est bien à un 
idéal plus ténébreux que Catherine voua son 
âme, toute son âme de Florentine altière. C'est 
seulement devant l'astrolabe, les miroirs ma- 
giques et les cercles goétiques, qu'elle inclinera 
sa fierté souveraine. Par les sciences occultes, 
elle sera épouse, mère et dictatrice, tour à 
tour bonne ou cruelle, fourbe ou sincère, mais 
toujours adroitement énigmatique et mysté- 
rieuse. 

Ceci n'empêchera pas cette femme étrange de 
posséder les plus hautes qualités d'un adminis- 
trateur d'Etat, sans avoir aucune des faiblesses 
morales ou physiques particulières à son sexe. 



1] CATHERINE DE MEDICIS 

Prise entre le républicanisme des huguenots et 
la trahison catboliquCj elle saura garder le trône 
a.ix Valois par des combinaisons dont l'habi- 
iHé fait encore envie à nos plus éclairés diplo- 
mates. Elle sera une autorité forte, inflexible 
et clairvoyante, prompte en ses décisions, ne 
redoutant ni les injures, ni les^ embûches, ni 
les terribles moyens. Tant plus de morts, tant 
moins d'ennemis, écrira-t-elle à de Gordes. 
Et cette phrase résumera tout ce caractère de 
femme infrangible, qui met sa dignité de Reine- 
Mère aa-dessus des sentiments féminins ordi- 
naires. 

Elle est d'une coquetterie modérée, et en 
dehors de son mari : pas d'amour. En dehors de 
SCS enfants: pas d'affection. Encore n'accorde- 
t-elle à ces derniers ses élans maternels, qu'au- 
tant qu'ils sont incapables d'enrayer son auto- 
rité, leur retirant toute tendresse dès qu'ils ont 
atteint l'âge de gouverner. Pourtant, elle faiblira 
devant Henri 111 qui ne lui rendra son attache- 
ment que par une profonde ingratitude. Donc^ 
elle n'a qu'un idéal : c'est la couronne de France 
qu'elle porte par fierté et par devoir. 

Pour Catherine, le sceptre réunit toutes les 
joies, toutes les satisfactions, en d^pit clés com- 



CATHERINE DE MEDICIS 10 

bats de chaque jour, des perpétuelles dupli- 
cités à créer ou à détruire. Que lui importe la 
lutte ! N'est-elle pas née par elle et pour elle? 
Les Médicis n'étaient-ils pas d'ardents remueurs 
politiques? Et pourquoi exigerait-on qu'elle fût 
douce et sensible, conciliante et bonne ? N'a- 
t-elle pas été formée au contact de la tourbe 
révolutionnaire? Son enfance ne s'est-ellc pas 
1 imenlablement écoulée au milieu des haines 
s )ulevées par le despotisme de son père ? 
Les hommes n'ont-ils pas toujours été des bar- 
bares pour elle, lorsque, âgée de neuf ans, prison- 
nière en un couvent, Baptiste Geï proposa de 
rattacher nue, sur les murs de Florence, entre 
diux créneaux, exposée aux caHonnades des 
a .siégeants. Et quand Bernard Castiglione, 
jugeant cette proposition insuffisamment outra- 
geante, émettait l'avis de terminer la discussion 
e 1 la livrant aux soudards étrangers pour la 
déshonorer par le viol, pouvait-elle vraiment 
concevoir que la bonté, la générosité et la 
pitié humaines constituent le beau dune exis- 
tence?... 

Mariée, elle ne fut pas plus heureuse. Henri II 
ne la considéra jamais autrement que comme 
un être propre à la perpétuation de sa lace. 



20 



CATHERINE DE MÉDICIS 



Tout ce que le cœur d'un roi pouvait contenir 
de vibration amoureuse, d'admiration dévouée, 
de soumission d'âme vis-à-vis d'un être aimé, 
Henri H le donna entièrement à Diane de Poi- 
tiers. Catherine ne fut que l'accessoire obligé, 
imposé par les exigences et les intérêts politi- 
ques d'un trône. 

Devant tant d'adversion ou d'indifférence," la 
cruauté et le machiavélisme de Catherine sont, 
certes, excusables en partie. Mais la réhabilita- 
tionde cette femme supérieure n'est pas le but de 
ce livre. D'autres historiens se sont déjà imposé 
cette tâche et je n'y reviendrai pas. Si l'unani- 
milé s'est enfin prononcée en faveur des qualités 
gouvernementales de Catherine, il ne faudrait 
pourtant pas exagérer l'adiniration qui peut lui 
être due, en refusant systématiquement de croire 
aux défauts qui caractérisèrent cette nature 
d'élite. Ceci m'amène nécessairement à une di- 
gression. ^ 

Depuis quelques années, des médecins-histo- 
riens se plaisent à établir des diagnostics rétros- 
pectifs, dont quelques-uns tentent à réhabiliter 
Catherine de Médicis d'une part des crimes que 
lui imputèrent ses contemporains. A quatre siè-^ 
clés de distance, sans hésitation, ces praticiens 



CATHERINE DE MEDICIS 21 

nécrophores appliquent en pensée leur oreille 
&ur la poitrine de la reine de Navarre et décla- 
rent sentencieusement qu'elle n'est pas morte 
d'une action toxique, mais tout simplement d'une 
pleurésie^d'origine tuberculeuse. Quant au car- 
dinal de Châtillon, ils nous le montrent, avec 
une assurance audacieuse, mourant d'un ulcère 
de Vestomac (i). 

Loin de moi la pensée d'encourager la multi- 
plication des erreurs historiques, ou de blâmer 
ceux de mes confrères qui essayent de les dé- 
truire.. Il y a tant d'historiens dont le but est 
uniquement de flatter l'opinion préconçue du 
populaire, ou de faire l'œuvre d'un parti quel- 
conque, qu'il faut au contraire féliciter ceux qui 
ont le courage d'enrayer la propagation de ces 
turpitudes intéressées. Mais entre l'impartiale 

(1) Il en est de même pour le prince de Condé et Madame. 
Après force périphrases sur la santé habituelle de ces deux 
personnages, ces médecins concluent qu'indiscutablement ils 
sont morts d'une péritonite suraiguë par perforation. Mais 
ceci n'est rien comparativement aux déclarations d'un autre 
exhumateur du même genre, lequel entreprit récemment de 
nous prouver que Jésus- Christ n'est nullement mort des 
souffrances endurées sur la croix, mais plus prosaïquement 
d'une congestion pulmonaire. Voilà bien les arabesques de 
Vhypothèse historique dont parle Balzac, lorsqu'il se moque 
des gens qui consacrent leur vie à la recherche du chemin 
par lequel Annibal passa les Alpes. 

2. 



22 CATHERINE DE MEDICIS 

mise au point d'un fâit^ basée sur des sources 
authentiques d'archives, et une fantaisiste ver- 
sion médicale établie d'après l'interprétation 
conventionnelle d'un texte, il y a un écart con- 
sidérable, marqué par une "sorte de forfanterie 
dont les chercheurs sérieux ne seront jamais 
dupes. 



Nier la criminalité et la superstition de Cathe- 
rine de Médicis, c'est absolument nier l'esprit de 
l'époque dont elle devait inéluctablement subir 
l'ambiance (i). D'ailleurs une telle négalion ne 



(1) Parmi les défenseurs de Catherine de Médicis, mon 
sympathique et savant confrère M. Camille Piton, Tauleur 
très autorisé du Quartier des Halles de Paris, me pardonnera 
mon franc-parler. Mais la vérité; m'oblige à ne pas partager 
son opinion sur la colonne de VHôfelde la Reine, plus connu 
sous le nom d'//o/é/ de _Sozsso«s (aujourd'hui Bourse de 
Commerce), construit en 1572 pour Catherine de Médicis, 
d'après les plans dressés par Jean BuUant. Les plans et do- 
cxtments' divers conservés aux ^rc/iioe^a//ona/es : N. 11-175, 
N. III-233-235; O)» 1193, 0}i 1099^ f» 143 et T. 1G33, prouvent 
suffisamment la destination astrologique de cette colonne- 
observatoire, parfaitement orientée aux quatre points cardi- 
naux avec une sphère armillaire et qui fut d'ailleurs cons- 
truite sur les données de presque tous les observatoires de 
l'antiquité. De plus, ces documents anéantissent complète- 
ment la légende qui nous présentait Petit de Bachaumont 
comme étant le sauveur de cet intéressant monument. Ce 



G\THr:iaNE de médicis 23 

rehausse en rien la valeur de celte reine qui ne 
fut ni plus superstitieuse, ni moins criminelle 
que les autres grandes figures de son temps. 
Mais plus que d'autres, elle eut l'occasion de 
mettre en pratique ce* deux forces ordinairement 
sournoises : le fer et le poison. 

Que l'on ait exagéré les conséquences de ses 
actes mystérieux, cela n'est pas douteux. Il y 
avait là un terrain excellemment propice aux 

n'dst nullement Bachaiimont qui a acheté cette colonne aux 
démolisseurs de VHôtel de Soissons pour la revendre ensuite 
à la ville de Paris ; et en voici la preuve irrécusable, preuve 
demandée par M. Camille Piton quand il cite Leroux de Lincy 
aux pages 12? et iSi de son Quartier des Halles. A la date du 
19 mars 1750, nous trouvons l'acte de vente de la four en 
forme d'observatoire de l'ancien Hôtel de Soissons. Cette tour 
fut cédée, à cette date, aux échevins de la ville de Paris, 
moyennant une somme de 1.800 Hures, par le sieur Laurent 
Destouches, architecte demeurant à Paris, rue Neuve-des- 
Petits-Champs, paroisse Saint-Eustache. » Ouinzejours plus 
tôt, soit le 4 mars 1750, Laurent Destouches avait acheté, 
pour la même somme, cette tour à Louis Duhenois, démo- 
lisseur adjudicataire de l'enlèvement des matériaux de VHô- 
tel de Soissons. L'acte de vente passé entre Laurent Destou- 
ches et Louis Duhenois a été rédigé par M* Gervais, notaire 
à Paris. Celui passé entre Laurent Destouches et les éche- 
vins de la ville a été rédigé par M" Marchand le jeune, éga- 
lement notaire à Paris. (Archives nationales : série O)^ carton 
n° 1193.) Sur la destination astrologique de cette colonne, 
voir aussi l'opinion de M. Camille Flammarion, dans le Bul- 
letin de la Société Astronomique de France, notamment le 
numéro de septembre 1908, pp. 385 et suiv. 



2i CATHERINE DE MEDICIS 

colères huguenotes, terrain que surent cultiver 
des pamphlétaires violents comme Henri Es- 
tienne. Cependant, il faut reconnaître que dans 
tout pamphlet, comme dans toute légende, il y 
a un fond de vérité évidemment difficile à démê- 
ler de la fiction. Car, les pamphlétaires, chroni- 
queurs et mémoristes qui nous ont transmis les 
défaillances intimes et les bizarreries morales de 
certains personnages célèbres, n'ont jamais écrit 
sans partialité. Soit en admiration^ soit en haine, 
la vérité est presque toujours altérée, et Cathe- 
rine de Médicis ne devait pas échapper à cette 
loi des préventions humaines. 

Pour l'historien consciencieux et de bonne foi, 
il est donc indispensable de vérifier attentive- 
ment les textes imprimés traitant d'un même 
sujet, de les comparer entre eux et de recourir 
toujours aux pièces manuscrites des archives 
diplomatiques, seules sources vraiment authen- 
tiques de l'histoire. 

Comme dans mes ouvrages antérieurs, telle 
est la méthode que je me suis efforcé d'appli- 
quer à l'élaboration du présent livre, en y appor- 
tant tout l'inédit possible, toute la minutie, 
toute la tolérance et la sincérité nécessaires à 
la solidité d'une œuvre documentaire, et à la 



CATHERINE DE MEDICIS 25 

mise en lumière d'une physionomie aussi mys- 
térieusement personnelle que cette mère de trois 
rois, qui fut certes bien italienne par naissance, 
mais surtout bien française par orgueil et par 
autocratique principe. 

EUGÈNE DEFRANCE. 



CHAPITRE PREMIER 



LA STERILITE DE CATHERINE, LE DOCTEUR JEAN 
FERNEL ET LES BREUVAGES MAGIQUES 



Après la marche triomphale de Florence à 
Livourne, après le versement effectué par Phi- 
lippe Strozzi des 1.200 livres d'or qui cons- 
tituaient la dote de Catherine, après le cadeau 
de noces du Pape Clément VII, cadeau de 
100.000 ducats en bijoux et pierres précieuses^ 
après rapport des comtés d'Auvergne et de 
Lauraguais (1), le mariage du futur Henri II, se- 



(1) Sur la fortune du père de Catherine, voir : Archives 
nationales : Lettres de naturalité pour Laurent de Médicis, duc 
d'Urbain^ et sa fdle Catherine de Médicis, depuis reyne de 
France. Saint-Germain-en-Laye, may 1519. (Reg., O^ 218, 
fol. 3 et 4) Document inédit. 



%^: 



CATHERINE DE MEDICIS 27 

cond fils de François l^', Henri duc d'Orléans, 
avec Catherine de Médicis, fut célébré à Mar- 
seille le 28 octobre de l'année i533. 

Henri, âgé de quatorze ans, n'avait que vingt 
jours de plus que. sa femme. En dépit du jeune 
âge des deux époux, François P'' tenait à être 
assuré de la consommation du mariage de son 
fils; et le pape Clément VH, oncle de Catherine, 
ne voulait pas quitter Marseille sans avoir la 
même certitude. 

Donc, le 28 octobre au soir, « le festin ter- 
miné, dit un témoin oculaire, le pape s'est re- 
tiré. Le roi s'est aussi retiré en habit de mas- 
que. La reine, avec toutes les demoiselles d'hon- 
neur, a accompagné la sérénissime duchesse 
en sa chambre, où était préparé un lit si riche, 
qu'il est estimé soixante mille ècas ; la chambre où 
était le lit était toute tapissée de brocart... C'est 
ainsi qu'ils ont dormi ensemble la nuit dernière, 
et qu'a été consomméle mariag e. Le matin, Sa 
Sainteté est allée les visiter au lit de bonne 
heure, et les a trouvés tous deux très dispos. 
Notre seigneur [le pape] est aussi joyeux que je 
l'ai jamais vu, ainsi que le roi et toute la cour (1) » . 

(1) Relation anonyme des cérémonies du mariage de Cathe- 
rine de Médicis avec le duc d'Orléans [futur Henri II); Mar- 



CATHERINE DE MEDICIS 



Dès le temps même, d'aucuns prétendirent 
que François P'' aurait poussé la curiosité plus 
loin encore que Clément VII : « Quand on eut 
fini de danser et que chacun fut retourné dans 
ses appartements, dit l'ambassadeur de Milan, 
le roi voulut lui-même mettre au lit les époux, 
et quelques-uns disent qu'il les voulut voir jou- 
ter, et que chacun d'eux fût vaillant à la 
joute (i). » 

Balzac nous dit que des faiseurs d'anecdotes, 
contemporains de cette union, assurent que Clé- 
ment VII attendit patiemment jusqu'au 12 no- 
vembre les preuves physiologiques de la fécon- 
dité de sa nièce. Mais son attente ayant été 
vaine, au moment de quitter Marseille pour se 
rendre à Civita-Vecchia, Clément dit à Catherine 
en manière de consolation : A figlia (Tinganno 



seille, 29 octobre 1533. Original italien inséré sans indica- 
tion de provenance dans Touvrage de Reumont, la Jeunesse 
de Catherine de Médicis, et traduit de Tallemand par Armand 
Baschet (Paris, 1866, un vol. in-8°). Voir les pages 319 à 
324 et le n° 11 des pièces de l'appendice. [Traduclion fran- 
çaise inédite.) Cette relation commence à l'entrée de Cathe- 
rine à Marseille, c'est-à-dire au 23 octobre. 

(1) Dépêche de Don Antonio Sacco au Président de Milan ; 
30 octobre 1533. Original italien conservé dans les Archives 
de la maison Dona dell Roh, à Venise (note p. 323). Traduc- 
tion inédite de M. Léon Marlet. 



30 CATHERINE DE MEDICIS 

non manca mai la figlinolanza, c'est-à-dire qu'à 
fille d'esprit, jamais la postérité ne manque (i). 

Le souhait formulé par Clément VII n'était 
certes pas près de sa réalisation. Dix années 
devaient s'écouler avantque Catherine, devenue 
d Auphine, pût donner un successeur à la cou- 
ronne qu'allait porter son époux. Les difficultés 
de sa situation se compliquèrent bientôt de cette 
siérilité, dit Dandolo (2), et la maîtresse en titre 
do son mari, Diane de Poitiers, pensa un mo- 
ment à la faire répudier. L'ambassadeur vé- 
ni'ien Contarini confirme ce bruit de cour et 
Fe complète par certains détails dignes d'in- 
térêt : 

(( A la mort du dauphin (i536), dit-il, comme 
0:1 doutait que Catherine de Médicis pût jamais 
avoir d'enfants, le bruit se répandit que Fran- 
çois P'désiraitun divorce, espérantpeut-être tirer 
partid'une autre alliance. Catherine para ce coup 

(1) H. DE Balzac, Études philosophiques sur Catherine 
de Mélicis; édition de 1879, pp. 15 et 25 de V introduction, 
sans indication de source. 

(2) Matteo Dandolo, Relation d'ambassade, fin de Tan- 
nie 15i2, dans Relazioni del anibascialiui Veniti, publié par 
Eugenio Alberi, P* série, t. IV, p. 47. Original italien. Ce 
passage a été traduit pour la première fois par Armand 
Bascliet dans la Diplomatie vénitienne et les princes de l'Eu- 
rope du seizième siècle. Paris, Pion, 1866. 



p 



CATHERINE DE MEDICIS 31 

avec son habileté habituelle. Allant trouver le 
roi, elle lui dit qu'elle avait appris qu'il avait l'in- 
t ntion de donner une autre femme à son fils, et 
puisque Dieu ne lui avait pas fait la grâce d'avoir 
djs enfants, du moment qu'il ne plaisait pas 
à Sa Majesté d'attendre davantage, il était bien 
convenable de pourvoir à la succession d'un si 
grand royaume; quant à elle, se rappelant ce 
qu'elle devait au roi pour l'avoir choisie, elle était 
p ête à subir la grande douleur qui lui en vien- 
drait, plutôt que de contrarier sa volonté, toute 
disposée à entrer en un monastère, ou à rester 
ai service de celle qui aurait la fortune d'être 
la femme de son mari; tout cela entrecoupé de 
larmes et de sanglots. François P'\ d'humeur 
généreuse et facile, en fut si touché, qu'il lui dit 
avec émotion : « Ma fille, puisque Dieu a voulu 
que vous soyez ma bru et la femme du dauphin, 
je ne veux pas qu'il en soit autrement, et peut- 
être Dieu voudra t-il bien se rendre à vos désirs 
et aux nôtres (i). >> 

Henri Estienne, écrivant quatorze ans plus 
tard, en i574, se fait aussi l'écho de cette répu- 



(1) Relaz di ambasciaf Contarini Venezia (1552) relaz di Con- 
larini; V^ série, t. IV, p. 73 {Traduction Bascheî). 



32 CATHERINE DE MEDICIS 

diation projetée : « Comme estant sur le point 
d'estre répudiée et renvoyée en Italie, tant à 
cause que la nature l'avoit condamnée à ne por- 
ter jamais enfans, que pour apparence de son 
mauvais naturel, elle gaigna la grande sénéchale, 
depuis duchesse de Valentinois (Diane de Poi- 
tiers) afm qu'icelle Tentretinst en grâce avec 
Monsieur le dauphin son mary, et n'eût honle 
d'estre ainsi come maquerelle pour parvenir 
à son intention (i). » 

Il est certain que Catherine finit un jour par 
vivre en parfait accord avec la maîtresse de son 
mari; mais il n'en avait pas toujours été ainsi, et 
une lettre d'un ancien serviteur de Marguerite 
d'Angoulême, sœur de François P^, nous rensei- 
gne plus amplement sur les machinations de 
Diane de Poitiers au sujet de la répudiation de 
Catherine. Voici en quels termes, Villemadon 
rappelait la chose à la reine en août de l'année 
1559 : 

« Je commencerai par vous dire que régnant, 
le feu roi François et étant le feu roi luy dau- 



(1) Discours merveilleux de la vie, actions et déporlemens de 
a reyne Catherine de Médicis^ etc., et réimpression des 
Archives curieuses de l'Histoire de France; 1^'^ série, t. IX 
p. 17. 



CATHERINE DE MEDICIS 33 

pliin revenu du Piémont où il s'oublia lanl que 
de commettre un ord et sal adultère par le Con- 
seil et conduite de certains mignons méchants 
et infidèles serviteurs, et par lesquels d'abon- 
dant la misérable grande sénéchale, Diane de 
Poitiers, public et commun réceptacle de tant 
d'hommes paillards et effrénés qui sont morts, 
ou quivvivent encore, lui fut introduite comme 
une bague dont il apprendroit beaucoup de 
vertu; et depuis que les nouvelles furent venues 
que la bâtarde (i) était née du susdit adultère, 
vous fûtes mise sur les rangs par les susdits mo- 
queurs et la vieille mérétrice qui vous déclarèrent 
entre eux incapable de telle grandeur et honneur 
d'être femme d'un dauphin de France, parce que 
vous n'auriez jamais d'enfants, puisque vous 
mettiez tant de temps à en porter, vue qu'il ne 
tenait pas à votre mari de n'en pas avoir (2). » 

(1) Cette bâtarde était Diane, fille naturelle de Henri II 
alors dauphin, et de la jolie Piémonîais'^, Filippa Duco. 
Diane fut plus tard légitimée de France et mariée au duc 
de Castro, puis en secondes noces au maréchal duc Fran- 
çois de Montmorency. Elle mourut en janvier 1619, âgée de 
quatre-vingts ans, ce qui porterait sa naissance au courant 
de Tannée 1538. Une médaille devenue rare a été frappée 
au XVII'' siècle à l'effigie de ce personnage. 

(2) Lettre [de Villemaion].à la reine-mère. S. L.26 août 1550, 
Mémoires de Condé, Paris, 1743, 5 vol., in-i°, 1. 1, pp. 620 et 621. 



Si CATHERINE DE MEDICIS 

Catherine de Médicis ressentait une telle haine 
à l'adresse de Diane de Poitiers, qu'un jour elle 
manifesta le désir de la fs^ire vitrioler par Jacques 
de Savoie, duc de Nemours. C'est l'Aubespinc, 
l'un des quatre secrétaires d'Etat, qui nous conte 
le fait au sujet d'une lettre que ce dernier, con- 
vaincu de menées pour enlever le pouvoir à îa 
reine, lui adressa afin d'obtenir son pardon : 

(( La reyne a bien ri, dit l'Aubespine à son frère, 
évêque de Limoges, quand elle a vu dessus 1:\ 
lettre de M. de Nemours ces lignes marquées, 
se souvenant qu'elle le vouloit employer lors- 
que Mme de Valentinois la fàchoit tant à luy 
faire jeter par luy d'une eau forte distillée, 
€omme par manière de jeu, sur le visage, de 
quoy elle fut toute sa vie demeurée défigurée, et 
ainsi pensait de en retirer le feu roy son mari; 
ce qui ne fut pas fait, car elle y pensa depuis. 
Bruslez ceste lettre après l'avoir lue, s'il vous 
plaist (i). » 

Si la répudiation a été évitée, si Catherine a 
su établir son autorité de dauphine, si aux srr- 



(1) Alphonse de Rubles, Antoine de Bourbon et Jeanne 
dAlbret, t. III, p. 239 et note. L'original de la lettre de 
Jac lues de Savoie est conservé à la Bibliolh'qne nctlonale^ 
fonds français, manuscrit, n" 6608, fol. 32. 



m 



CATHERINE DE MEDICIS 35 

casraes de l'entourage royal elle a su répondre 
par une habileté plus efficace que des actions 
de haine, cette stérilité est quand môme pour 
son orgueil et pour son amour un tourment ob- 
sesseur. D'abord elle se livre aux médecins ordi- 
naires de la cour, et leur ignorance la jette 
bientôt dans le domaine des grands mystères 
auxquels, par atavisme de famille et de race, 
elle est étroitement attachée. Elle consulte les 
devins, elle se fait préparer des philtres, elle 
évite de voyager à dos de mulet, parce que cet 
animal, réputé infécond, communique sa stéri- 
lité aux femmes qui le montent. Aux consulta- 
tions des tarots, se joignent les breuvages magi- 
ques (i) et les potions médicinales de tousgenres: 
« La sérénissime dauphine, dit l'ambassadeur 



(1) Les formules les plus ordinaires de ces breuvages 
magiques étaient empruntées à Albert-le-Grand. « Prenez, 
dit cet auteur, l'herbe appelée uerges-du-pasteur, mèlez-la 
■et détrempez-la avec du suc de mandragore. Si l'on donne 
ce breuvage à une femme ou à un animal femelle, elle 
deviendra pleine et fera un être de son genre et de son espèce. » 
La pervenche, selon le même alchimiste, réduite en poudre 
et mêlée à des vers de terre, donne aux femmes de l'amour et 
le désir de concevoir. La pierre échile ou pierre aquilaire cpie 
Ton trouve dans les nids d'aigles, réduite en poudre, doit 
être absorbée par les femmes enceintes pour les empêcher 
d'accoucher avant terme, tandis que la pierre dite saune 
qui se trouve dans File du même nom, empêche les femmes 



CATHERINE DE RIEDICES 



vénitien Matteo Dandolo, est d'une bonne corn 
plexion, sauf en ce qui regarde le 5 qualités 
physiques propres à en faire une femme à 
enfants, « donna di figluoli »; non seulement elle 
n'en a point encore, mais je doute qu'elle en 
doive jamais avoir, bien qu'elle ne manque 
point d'avaler toutes les médecines capables 
d aider la génération, d'où je conclus qu'elle 



daccoucher et retient éternellement les enfants dans le 
ventre de leurs mères. La pierre blanche que l'on trouve 
dai3 la tètç de la licanle, facilite beaucoup le travail des 
femmes en couches, Isidore-le-Physicien dit qu'une femme 
qui désire féconder n'a qu'à porter, attachées à sa ceinture, 
les cendres d'une grosse grenouille, parce que ce fétiche 
arrête le flux des menstrues. Les géniloires de sanglier pen- 
dant la lune de Mars produisent le même effet. Selon Pho- 
tius, un verre d'urine de mule, bu chaque mois par une 
femme stérile, la rend immanquablement féconde. 11 en est 
de même si la femme stérile utilise certains talismans. Par 
exemple la graisse de y/ne/Ze appliquée sur la tempe gauche, 
le doigt majeur et la chair de l'anus d'un fœtus venu deux 
mois avait terme, coastituent d'excellentes amulettes contre 
la stérilité féminine. Tabariensis assure que Vurine de mou- 
ton, le sang de lièvre, la patte gauche d'arrière de la belette, 
infusée dans du vinaigre fort, la corne de cerf pulvérisée et 
mêlée à de la fiente de vache, et le lait de jument absorbé avant 
c wmerce charnel, sont les plus efifcaces de tous les remèdes 
indiqués pour combattre la stérilité féminine. Enfin, d'après 
Blérius, une ceinture faite de poils de chèvre trempée dans 
du lait d'ànesse, et portée au-dessus du nombril par la femme 
qui veut engendrer, rendra cette femme mère dun enfant ma e 
qui aura longue vie. 



CATHERINE DE MEDICIS 37 

court de grands risques d'augmenter son infir- 
mité plutôt que dy porter remède. Elle est 
aimée et chérie du dauphin ; d'après les plus 
grands indices, Sa Majesté l'affectionne aussi 
et de même la cour et le peuple, à ce point d'ail- 
leurs que j'estime qu'il n'y a personne qui ne 
voudrait se laisser se tirer du sang pour lui faire 
avoir un fils (i et 2). » 

C'est ici qu'entre en scène un infatigable et 
savant médecin, Jean Fernel, qui sacrifia à la 
science médicale et aux mathématiques sa for- 
tune, ses plaisirs et sa santé, avec une convic- 
tion et un désintéressement exemplaires. Les 
malades affluaient chez lui en si grand nombre, 
que souvent il était obligé de dîner debout, écou- 
tant tous ses consultants, riches ou pauvres, 
avec patience et politesse. La renommée qui 
s'était bientôt établie autour de son nom par- 
vint jusqu'au dauphin de France dont la maî- 

(1) Relation de Malleo Dandolo; fin de l'année de 1542. 
Recueil dAlbéri, 1" série, t. IV, pp. 47 et 48. 

(2) Dans une intéressante étude sur la stérilité de Cathe- 
rine, le docteur Cabanes [Cabinet secret de Vhistoire, t. I, 
pp. 31 et suiv.), prétend, d'après Brantôme, que Henri II 
était atteint d'hypospadias, alors qu'un médecin du dix-sep- 
tième siècle, Nicolas Venette, déclare que la stérilité de la 
reine était due à ce qu'elle était affligée d'une tortaosilé dit 
canal vaginal. 



:-;S CATHERINE DE MEDICIS 

tresse, Diane de Poitiers, était alors gravement 
malade. Fernel triompha par l'heureuse guéri- 
son de Diane, et ce fut le début de l'estime que 
Henri II lui accorda toute sa vie. 

L'ardeur que Jean Fernel apportait au travail 
l'obligea à refuser la place de premier médecin 
du dauphin dont ce prince voulait l'honorer, ce 
qui l'aurait naturellement retiré de ses travaux 
et séparé de ses élèves. Henri consentit difficile- 
ment à laisser Tindépendance à l'illustre prati- 
cien, et pour lui témoigner Tétendue de sa con- 
sidération, il exigea que Fernel touchât, quand 
même, les honoraires de la place refusée. 

Après plusieurs autres tentatives également 
inutiles de la part de Henri, Fernel n'accepta 
cette situation qu'à la mort de son confrère, 
Louis de Bourges, qui avait été le premier mé- 
decin de François F^(i). Mais ce fut bien avant 
cette époque que Jean Fernel fut consulté par 
Henri II sur la stérilité de Catherine de Médicis. 



(1) On ignore la date et le lieu exacts de la naissance de 
Jean Fernel. Pierre Bayle, le P. Daire, Guillaume Plancy et 
autres biographes, se contredisent mutuellement sur ce 
point. Pourtant Renauldln, en 1815, s'est livré à une étude 
spéciale de Fernel et il résulte de ses recherches que Jean 
Ftrnel serait né à Clermont en Beauvaisis, au cours de 
l'année 1497. 



CATHERINE DE MEDICIS 39 

Si l'on en croit Isaac Bullart, le dauphin avait, 
d'une singulière façon, demandé à Fernel d'exa- 
miner la dauphine : « Monsieur le Médecin, au- 
rait-il dit, feriez-vous bien des enfants à ina 
femme? »... ce à quoi Jean Fernel aurait sage- 
ment répondu : « C'est à Dieu, Sire, à vous don- 
ner des enfants par sa bénédiction ; c'est à vous 
à les faire et à moi à y aporter ce qui est de la 
médecine ordonnée de Dieu pour le remède des 
infirmités humaines (i). » 

A l'appui de Bullart, Varillas rapporte le 
remède que Jean Fernel aurait soi-disant pres- 
crit à Henri II pour sa femme : « Le peuple étoit 
persuadé, dit-il, que la reine-mère, après dix ans 
de stérilité, n'avoitconçu le roi (François II) 
que parce que le premier médecin Fernel avoit 
conseillé à Henri second de coucher avec elle 
durant ses ordinaires, et que les personnes en- 
gendrées de la sorte étoient sujettes à cette hon- 
teuse maladie (la lèpre) (2). » Et Mézeray constate 
qu'en effet « François II avoit été, dès sa nais- 
sance, de complexion malsaine, étant le premier 

(1), Isaac Bullart, Académie des sciences et arts, contenant 
les vies et les éloges historiques des hommes illustres de diverses 
nations, avec 219 portraits gravés par Larmessin et Boulon- 
nois. Pari«, 1682, 2 vol. in-fol. (t. II, p. 84.) 

(2) Antoine Varillas, Histoire de François II, t. II, p. 81. 



40 CATHERINE DE MEDICIS 

enfaiil d'une mère qui avoit eu ses purgations 
bien tard. » 

Le savant médecin calviniste Antoine Menjot 
est aussi de Tavis de Varillas. De plus, dans 
une dissertation physiologique un peu naïve, il 
nous explique pourquoi et comment Catherine 
de Médicis n'était susceptible d'engendrer qu'à 
certaines époques déterminées : « Catherine de 
Médicis, dit-il, n'étoit stérile que par une trop 
grande sécheresse de l'utérus, ou que pour être 
trop serrée dans cette partie. Au premier cas, la 
semence rencontrant une terre trop aride, ne 
pouvoit fructifier. Au second cas, elle ne parve- 
noit point où elle devoit. Or, comme pendant 
le cours des ordinaires de la royne, la partie 
s'humectoit, et se dilatoit plus que de coutume, 
Fernel jugea qu'il faloit que M. le Dauphin prit 
alors son tems, et que c'étoit le moment pro- 
pice pour faire un coup de partie avec son 
épouse. » Et Menjot ajoute que Jean Fernel,. 
trèsiiïibu des principes d'Hippocrate, s'était cer- 
tainement inspiré de ce maître antique qui 
« lui avait fourni des ouvertures pour ce con- 
seil (i) ». 

(1) Antonius Menjotius, Dissertalionum palhologicarum 
parles IV ; 16fô. Part. 3, p. 23. (Traduction de Pierre Bayle.) 



CATHERINE DE MEDICIS 41 

Guy Patin, Isaac Bullart, Louis d'Orléans, et 
Gabriel Naudé assurent que, pour marquer à 
Jean Fernel toute la reconnaissance qu'elle li.i 
devait, Catherine lui fit remettre, à la naissance 
de chacun des dix enfants qu'elle eut de Henri II 
après le traitement de ce savant médecin, « dix 
mille écus lors de chaque accouchement ». 
Bayle s'est efforcé de réfuter ces affirmations, 
mais sans grande valeur critique dans ses argu- 
mentations. 

Quel que soit le remède prescrit par Jean Fer- 
nel contre la stérilité de Catherine, et quelle 
qu'ait été son efficacité, il est assuré que la dau- 
phine n'en continuait pas moins ses absorptions 
de breuvages bizarres. Un jour, le connétable 
de Montmorency lui ayant indiqué une formule 
nouvelle, elle ne sait comment exprimer sa recon- 
naissance au vieux gentilhomme : « Je ne vous 
remercierai point de ce que vous m'avez envoyé, 
lui écrit-elle, car s'il plaît à Dieu qu'il me serve, 
je ne tiendrai ce bienfait qui est le plus grand 
qui me serait à venir, que de vous (i). » Et dès 



(1) Lettres de Catherine de Médicis, publiées par de la 
Ferrière, t. I, p. 6, note. (Original, sans lieu ni date, con- 
servé à la Bibliothèque nationale, fonds français, n" 3292, 

fol. 58). 



42 CATHERINE DE MEDICIS 

que sa grossesse sera certaine, elle ne manquera 
pas de Tannoncer au connétable. 

Selon l'Estoile, un autre personnage de l'en- 
tourage de Catherine aurait également contri- 
bué indirectement à la rendre mère : « Le frère 
du comte de Retz, dit ce chroniqueur, étoit 
un banquier florentin de Lyon, nommé Gondi, 
seigneur du Peron, duquel la femme italienne 
avoit trouvé moyen d'entrer au service de la 
reine Katherine de Médicis (en lui faisant cadeau 
d'un petit chien d'une espèce rare), et avoit en 
charge de la nourriture des enfants du roy Henry 
et d'elle, en leur maillot et enfance. Même, di- 
soit-on, qu'elle avoit aide la reine qui avoit 
demeuré dix ans mariée sans avoir lignée, à faire 
les dits enfants (i). » 

En plus des recettes magiques et des prescrip- 
tions médicales, Catherine s'adresse au rédemp- 
teur des chrétiens. Par des prières et par des 
psaumes, elle appelle sur elle la bénédiction et 
la protection divines, ce qui fait la joie de la 
reine de Navarre, laquelle déclare, vers la fin de 
1542, que devant une telle dévotion, « il ne se 



(1) L'Estoile, Journal de Henri III, édition Jouaust, t. I, 
p. 9, 15 juin 1574. 



r 



CATHERINE DE MEDICIS 43 

passera pas un an que Dieu ne luy fasse grâce 
de luy donner un fils ». En effet, treize à qua- 
torze mois s'écoulèrent et, le 19 janvier de l'an- 
née i544j Catherine enfantait de son premier 
fils, François II. « Puis, dès lors, elle mit au 
monde régulièrement fils et filles (1) », jusqu'à 
concurrence de dix enfants. 

A partir de la naissance de François II, Cathe- 
rine est plus calme; elle sent que sa situation 
de Dauphine est enfin assurée et elle ne souffre 
plus autant des commentaires désobligeants de 
la cour. Çà et là, elle aura bien quelques inquié- 
tudes, comme celle que nous rapporte Desti- 
gny de Caen (2), mais ce ne sont plus que de 
simples curiosités : « Un soir du mois d'août i547, 
dit cet auteur, au palais des Tournelles, Cathe- 
rine avait fait établir fhoroscope de l'enfant 
qu'elle portait dans son sein, selon les indica- 
tions que lui avaient envoyées Gabriel Siméoni, 
astrologue florentin. Ceci se passa en une con- 
juration magique à laquelle assistaient la dame 
Gondi (astucieuse gouvernante des enfants de 
Catherine et sa confidente), et son fils Albert de 

(1) Mémoires de Condé, p. 624, 

(2) Destigny de Caen, oiiv. cité antér., p. 105 et sui- 
vantes. 



44 CATHERINE DE MEDICIS 

Gondi, qui, plus tard, fut fait comte et duc de 
Retz, enfin maréchal de France. De cet horos- 
cope Catherine devait avoir et eut une fille (i). » 



Si dans les premières années de son mariage, 
Catherine avait eu beaucoup de peine à sup- 
porter Diane de Poitiers, sa rivale, elle sut sur- 
monter sa jalousie dès qu'elle fut mère : « Sur 
la prière du roi, dit l'ambassadeur Lorenzo Con- 
tarini, elle toléra patiemment Mme de Valenti- 
nois et vécut même habituellement avec elle. En 
retour, Diane avait certaines complaisances et 
elle envoyait souvent le roi dormir avec la 
reine (2). » 

Diane faisait plus encore; elle soignait Ca- 
therine pendant ses couches et ses diverses mala- 
dies. Puis, lorsque Catherine fut prise à Joinville 
d'un mal qui mit ses jours en danger, Diane sut 
retenir Henri II auprès de sa femme, et c'est 
Diane qui nous informe du dévouement du roi 
en cette circonstance : « Je vous puis assurer. 



(1) Claude de France, née le 12 novembre 1547. 

(2) Albert, Relaz degli ambascial : Venel; relazdi Conîarini. 
Série 1", t. IV, p. 78. 



r 



CATHERINE DE MEOICIS 



45 



écrit-elle à M. de Brissac, que le roi a fait fort 
bien le bon mari, car il ne Ta jamais aban- 
donnée (i). )> Il est vrai que Diane sait bien 
faire payer au roi toutes ces amabilités. D'une 




ARMIS DE CATHERINE DE MEDICIS 
APRÈS LA MORT DE SON MARI. 

{Cab. des Estampes.) 

seule fois, il lui donne « cinq mille cinq cents 
livres, en faveur des bons, agréables et recom- 
mandables services qu'elle a cy-devant faitz à la 
royne. 

Maintenant, Catherine se renferme entière- 



;1) Lelîres de Diane de Poitiers publiées par Gaiffrey, p. 83. 



i6 CATIJERINE DE RILDICIS 

ment dans son devoir d'épouse soumise et de 
mère dévouée, se consacrant uniquement aux 
soins de ses enfants. Momentanément appelée à 
être régente du gouvernement de France, elle 
sera de nouveau mise à l'écart parce que cer- 
tains appétits intéressés auront constaté ses trop 
grandes aptitudes à gouverner et sa supériorité 
intellectuelle marquée. 

Mais après le désastre de Saint-Quentin, elle 
reparaîtra sur la scène gouvernementale. Et 
alors que tous désespèrent, elle saura raviver 
l'énergie parisienne abattue, arracher par son 
adresse et son éloquence un important subside 
au Parlement et, en un seul jour, ramener à elle 
toute Popinion publique. 



CHAPITRE II 



.ES ORACLES ASTROLOGIQUES DE LUC GAURIC ET DE 
NOSTRADAMUS. MORT DE HENRI II ET MORT DE 
MONTGOMxMERY. 



Il y a quatre cents ans à peine, on croyait fer- 
mement à rinfluence des astres sur la vie hu- 
maine. Des hommes, possédant tout le savoir 
mathématique d'alors, consacraient entièrement 
leur existence à l'étude des divinations astro- 
logiques. Ils concevaient le monde tout entier 
comme une unité dont chaque objet, animé ou 
non, en était une partie constitutive. Allant du 
simple au composé, ils partaient de l'examen des 
êtres et des choses qui les entouraient, pour re- 
monter par synthèse jusqu'à une essence divine. 
Tout est dans an et an est dans tout, disaient-ils, 



48 CATIJKiaNE DE MLDICIS 

Et au lieu de procéder comme la science mo- 
derne qui décompose ce loul en éléments divers, 
les savants de la Renaissance se transportaient 
du fait à la loi primordiale de laquelle ils pen- 
saient que ce fait dérivait. 

De leur théorie ils concluaient que ta nature, 
très simple dans son action, obéissait tout 
entière à une petite quantité de lois, lesquelles 
régissaient tous les faits perceptibles à Thomme, 
et que ces lois elles-mêmes dérivaient d'une 
seule, unique et grande loi : la loi de Vanalo- 
gie (i). En outre, ils considéraient que le monde 
entier, désigné sous le nom de macrocosme (2), 



\1) C'est cette loi que la Table cTÉmeraude exprime par 
cette phrase symbolique ; Ce qui est en bas est en haut, et ce 
qui est en haut est en bas. Les astronomes du vingtième 
siècle ont repris cette théorie sous une formule plus claire, 
en déclarant que dans V univers il n'y a ni haut ni bas. Voir 
notamment l'ouvrage de M. Camille Flammarion : Qu'est-ce 
que le ciel?... 

(2) Voir la savante étude du docteur anglais Robert Fludd 
ou Fluctibus, sur le macrocosme et le microcosme. Robert 
Fludd, mort en 1637, fut sans contredit l'un des hommes les 
plus savants de son temps, et digne de figurer à côté de 
Kircher, de Mersenne et de Gassendi. Les ouvrages de 
Robert Fludd sont fort rares et atteignent des prix fabuleu- 
sement élevés quand l'un d'eux passe en vente. L'édition la 
plus commune est celle publiée en cinq volumes in-foL 
Quant à l'étude du macrocosme et du microcosme précitée, 
Fludd la publia pour la première fois de 1619 à 1621, sous ce 



CATHERINE DE MEDICIS 19 

avait une vie analogue à celle de l'homme ou mi- 
crocosme. Donc, ce que l'on savait de l'homme 
s'entendait également de Tunivers. Ainsi établi- 
rent-ils la loi dite du iernaire, où Phomme était, 
comme Tunivers, partagé en trois grandes par- 
ties distinctes (i). Ces trois divisions pour Fhom- 



titre : De supernalarali, naturali, prœlernaîurali et conlrana- 
turali microcosmi historia. En 1907 M. Pierre Piobb a traduit 
et annoté en français ce très curieux travail; 1 volume in-8. 
(1) Pourtant, de temps en temps, un cerveau plus éclairé, 
plus hardi que les autres s'élevait pour protester contre cet 
amas d'erreurs scientifiques. Mais ce n'était qu'un éclair 
dans la nuit, que certaines personnalités étaient intéressées 
à ne pas laisser briller. Parmi ces précurseurs de la 
science raisonnée, combien payèrent leur audace par la 
mort ou par d'atroces tortures ! Le génial dominicain Tho- 
mas Campanella, mort à Paris en 1639, fut mis sept fois à la 
question et resta vingt-sept ans dans les fers, pour avoir 
osé démontrer que le nombre des mondes était indéfini. Pri- 
nelli fut battu de verges pour avoir déclaré que les étoiles 
ne tomberaient pas. Un autre penseur dont les importants 
travaux sont peu connus et qui vivait au treizième siècle, 
c'est-à-dire bien avant Campanella et Prinelli, alla beaucoup 
plus loin dans ses affirmations. C'est le savant dominicain 
Vincent de Beauvais, né vers 1200 et mort en 1264. Son 
Spéculum niajus ou Miroir général du monde, est une mine 
extraordinaire de théories scientifiques hardies pour l'épo- 
que. Cet ouvrage renferme la matière de 50 volumes in-S" 
et ce n'est pas sans surprise que l'on y constate une foule 
de découvertes soi-disant modernes, qui étaient parfaite- 
ment connues de Vincent de Beauvais. Au hasard je citerai 
la vapeur, l'Amérique, la rotondité de la terre et les lois de 
Vattraction universelle que Newton ne devait redécouvrir que 



50 CATHERINE DE MEDICIS 

me étaient : la première, spirituelle; la seconde, 
morale; et la troisième, matérielle. A chacune de 
ces trois divisions correspondaient trois parties 
du corps humain. La tête^ siège de l'esprit, cor- 
respondait à la partie spirituelle ; le cœur, cor- 
respondait à la partie morale; et enfin le ventre, 
avec son appareil reproducteur, correspondait 
à la partie matérielle en raison de la perpétua- 
tion de la race humaine. 

De même Tunivers était régi par cette loi ter- 
naire. Lui aussi avait ses trois parties fondamen- 
tales : le ciel, la terre et Veau. Confirmant cette 
analogie, l'homme était encore considéré comme 
une partie de la famille, qui, elle, se compose 
également de trois éléments : \e père, la mère et 
Uenfant, trinité supérieure de l'individu qui 
correspond à la trinité supérieure de l'univers 
formée par : le soleil, une planète et des satellites 
envisagés comme issus de l'union du soleil-^ère 
et de la planète-m.ë.re (i). 



quatre cents ans plus tard. Cette œuvre colossale de Vincent 
de Beauvais fut Tune des premières grandes entreprises de 
limprimerie. Elle fut éditée pour la première fois à Stras- 
bourg en 1473 ; 10 volumes in-fol. 

(1) Voir sur la loi du ternaire et les principes astrologi- 
ques, la curieuse collection de manuscrits conservés à la 
Bibliothèque de l'Arsenal, notamment celui que nous a laissé 



CATHERINE DE MKDICIS 51 



C'est cette analogie de Ihomme avec Vunivers 
qui pe_rmettait aux astrologues de soutenir que 
tous les hommes nés à un moment déterminé 
participaient de la nature entière en ce moment 
même, et qu'ils étaient, par rapport aux éléments 
qui les entouraient, sous la même influence en 
étant au même point du globe. Donc, le fils d'un 
roi et le fils d'un paysan, nés à la même heure^ 
au même lieu, alors qu'ils subissaient la même 
influence de la part des astres, devaient avoir les 
mêmes tendances. 

Cependant les astrologues ne niaient pas l'in- 
fluence du milieu dans lequel le nouveau-né était 
appelé à vivre, pas plus qu'ils ne niaient Tin- 
fluence de l'éducation. Astra inclinant non né- 
cessitant^ disaient-ils ; les astres prédisposent, 
mais ne forcent pas le caractère. En conséquence 
l'homme jouissait toujours de son libre arbitre, 
pouvant à sa guise se soustraire ou bien s'aban- 
donner à ses instincts. 

Il y avait deux sortes d'astrologie : Vastrolo- 
gie naturelle qui était simplement l'astronomie 
proprement dite, et V astrologie j adiciaire qui re- 

le comte de Boulainvilliers, intitulé : De V Astrologie : ce 
qu'un honnête homme en doit sçauoir. Ms. Se. et A., n° 205, in- 
161. Voir aussi Mystère des sciences occultes, cuv. ano. s. d. 



52 CATEIERINE DE MEDICIS 

posait sur rinterprétation donnée auxaspects du 
firmament à certaines époques de Tannée, pour 
prédire la destinée des êtres. Ainsi que le démon- 
trent les explications philosophiques qui précè- 
dent, ces deux astrologies reposaient parfaite- 
ment sur des théories scientifiques de la valeur 
desquelles les mathématiciens étaient convaincus 
en toute bonne foi. C'est pourquoi il ne faut pas 
trop s'élever contre les astrologues qui n'ont pas 
toujours été des imposteurs, mais plus souvent 
des savants très imbus de leurs convictions phi- 
losophiques et scientifiques^ et qui cherchaient 
à tirer le meilleur profit possible de leur sa- 
voir. 



Au milieu du seizième siècle vivait en Italie 
un astrologue, mathématicien distingué, dont la 
science était universellement connue, et qui fut 
le maître de Térudit philologue padouan Jules 
Scaliger. C'était Luc Gauric. Né d'une famille 
pauvre, à Gifoni, dans le royaume de Naples, le 
12 mars 1476» Gauric débuta péniblement en 
vivant du produit des leçons de mathématiques 
qu'il donnait à quelques fils de grands seigneurs. 
Puis il s'adonna spécialement à l'étude de l'as- 



f 



CATHERINE DE MEDICIS 53 

trologie judiciaire, science dans laquelle il fit non 
seulement de rapides progrès, mais où il apporta 
une méthode nouvelle d'observations horosco- 
piques. Des événements divers ayant pleinement 
justifié la valeur de ses prédictions, une renom- 
mée s'établit promptement autour de son nom, 
et de toutes les cours italiennes, les plus hau(s 
personnages vinrent en grand nombre le consul- 
ter. 

Parmi ses consultants de marque, Luc Gauric 
eut le malheur de (îompter Jean II Bentivoglio, 
tyran de Bologne. Ayant demandé à Gauric 
quelle était sa destinée de chef d'État, l'astrolo- 
gue déclara sans ambages à Bentivoglio qu'il 
mourrait chassé de Bologne. La prophétie ne 
fut pas du goût de ce prince qui condamna Gau- 
ric à cinq tours d'estrapade, dur supplice dont 
les suites firent soufîrir le savant pendant plu- 
sieurs années (i). Mais la conclusion que les 
Bolonais imposèrent au despotisme de Jean 



(1) Dans son curieux traité De infeliciiaîe liîieraîorum, Tal- 
lius et après lui Teissier déclarèrent que Luc Gauric mou- 
rut à la suite du supplice que lui fit subir Bentivoglio. 
C'est une erreur. Luc Gauric mourut à Rome le 6 mai^s 155H, 
dans sa quatre-vingt-deuxième année. Selon Weis, Gauri'c 
fut inhumé en 1 église d'Ara Cœli, avec une épitaphe portant 
cette date de sa mort. 



5i CATHERINE DE MEDICIS 

Bentivoglio, en ouvrant les portes de leur ville 
au pape Jules II (novembre ido6), donna une 
fois de plus raison à Part divinatoire de Luc 
Gauric qui, de ce fait, n'en acquit que plus de 
popularité. 

C'est alors que le pape Paul III, désirant faire 
dresser son horoscope, fit appeler Luc Gauric. 
Avec une précision surprenante, Gauric prédit 
la maladie et la mort de ce pape, mort qui sur- 
vint exactement au jour indiqué, 20 novembre 
1549. Mais sans attendre la réalisation de la 
prophétie, le pape Paul III avait récompensé 
Gauric de son savoir en le dotant de l'évêché 
de Givita-CastcUana, et en lui conférant le grade 
de chevalier de Saint-Paul (1). 

(1) Luc Gauric se démit de cet évêché au bout de quatre 
années, à la mort de Paul III, pour revenir définitivement à 
Rome. Les œuvres de Luc Gauric ont été réunies et publiées 
à Bàle en 1575 (3 vol. in-fol.). On y remarque Y Éloge de r astro- 
nomie et de fastrologie, une Description de la sphère céleste, un 
Traité du mouvement des cinq planètes, des Notes sur les 
tables astronomiques d'Elisabeth d'Espagne et d'Alphonse-le- 
Sage, un Calendrier ecclésiastique, le Calendrier de Jules 
César, plusieurs Traités d'astrologie judiciaire, une Méthode 
pour apprendre la grammaire à toutes sortes de personnes dans 
lespace de trois cents heures, et un Éloge des belles-lettres des 
poètes anciens et de la vraie noblesse. La plupart de ces 
ouvrages avaient été imprimés séparément du temps de 
Gauric. Quant aux travaux suivants de cet astrologue, ils 
ne furent point compris dans le recueil de Bâle; ce sont: 



CATHERINE DE MEDICIS 



La famille des Médicis ne resta pas en ar- 
rière dans la confiance que la noblesse italienne 
accordait à Luc Gauric. D'ailleurs, les astro- 

De conceptu naîorum et seplimesîri parla ex Valenîi Antio- 
cheno, in-4, publié à Venise en 1533 ; De eclipsi solis mira- 
culosa in passione Domini observata; item de anno, mense, die 
et horâ conçeptionis, nalivitalis^passionis et resurrecîionis ejus; 
in-4 publié à Rome en 1539, puis à Paris en 1553; Ars mys- 
tica de quanîitate syllabarum in componendis uersibus necessa- 
ria, in-l publié à Rome en 1545. On a encore de Gauric 
des vers latins publiés dans le premier volume des Delicise 
poëlarum lîalorum, Gallorum, Belgicoruni de Jean Gruter, 
mort en 1627; la Doclrina sinum et arcuum insérée à la suite 
du Prinum mobile de Erasme Oswald, in-fol. publié à Bâle 
en 1567, et enfin des Notes savantes sur VAlniagesle de Ptolé- 
mée, sur le Traité des naissances d'Abraham Judeeus et des 
Réflexions sur les jours critiques. Mais à notre avis, l'ouvrage 
le plus curieux de Luc Gauric est assurément son grand 
traité d'astrologie intitulé : Lucse Gaurici geophonensis epis- 
copi ciuilatensis Iractalus astrologicus, in quo agitur de prœle- 
riiis multorum hominum accidentibus proprias eoram genituras, 
ad unguem examinatis, in-4 publié à Venise en 1552. Des 
bibliographes ont attribué par erreur au frère de Luc Gau- 
ric, c'est-à-dire à Pomponius Gauric, un livre dans lequel 
il est traité de la Physiognonomie, de Vastrologie judiciaire et 
autres sciences occultes, publié à Strasbourg en 1630 avec 
la Chiromancie de Jean Abindagine; mais cet ouvrage est 
certainement encore de Luc Gauric. La vie de cet astrologue 
célèbre a été insérée dans les Mémoires de Jean-François 
Nicéron (t. XXX), mathématicien français mort à Aix en 
1646 et qui fut un grand admirateur de Luc Gauric. Rantzo- 
vius, de son vrai nom Henri comte Rantzau, riche gentil- 
homme allemand mort en 1598, et qui fut également un 
astrologue distingué, nous a laissé des notes biographiques 
et bibliographiques sur Luc Gauric dans son Catalogus 



56 CATHERINE DE MEDICIS 

logLies avaient toujours trouvé le plusfavoral le 
accueil au sein de cette famille ; et en i5io, lo:s 
de la naissance de Catherine, son père, Lau- 
rent II, avait confié rétablissement du thème de 
la nativité de sa fille à Bazile-le-Mathématicien, 
fameux devin que ses prédictions au duc de Flo- 
rence avaient classé au rang supérieur d-es dres- 
seurs d'horoscopes. Et de point en point, ce 
dernier détailla les futurs qualités et défauts de 
celle qui devait être reine de France (i). 

Luc Gauric fut donc également consulté par 
les parents de Catherine. De même qu'il avait 
justement prédit à Hamilton, archevêque de 

imperalorum, ac regain et principam qui arlem aslrologicam 
amaranl, in-12 de 109 pages publié pour la première fois à 
Anvers en 1580. J'aurai l'occasion de citer à nouveau ce sin- 
gulier ouvrage qui fut analysé par Lalande dans sa Biblio- 
graphie astronomique (page 109). Ajoutons que Renée de 
France, duchesse de Ferrare, fdle de Louis XII et d'Anne 
de Beaujeu, et qui fut l'une des rares femmes érudites de 
son temps, avait été, selon 'Varillas, élève de Luc Gauric. 

(1) « Les astrologues avaient prédit à la reine de France, 
Catherine de Médicis, femme de Henri [II], qu'elle était née 
pour détruire le trône où son mariage l'avait fait parvenir, 
comme l'affirme Guicciardino. De même, son oncle, le 
pape Clément VII, fit la même prédiction à Charles V, au 
dire de l'historien Paul Jove. Au lecteur à juger si c'est la 
vérité. » {Caîalogus imperaloruni ac regum qui aslrologicam 
arlem aniarunt. Anvers, in-8% 1580; page 53.) Traduction inédile. 
Voir aussi : Bibliothèque nationale, Destigny de Caen, ou- 
vrage précité, pp. 14 et 15 {Sans indication de source). 



^^T' 



CATHERINE DE MEDICIS 57 

Sainl-André, que sa prélaiure se terminerait au 
gibet, Gauric prédit, en i493, à Jean de Médicis, 
grand-oncle de Catherine, alors cardinal âgé de 
quatorze ans, qu'il serait un jour souverain pon- 
tife. En effet, vingt ans plus tard, en i5i3, Jean 
de Médicis coi Tait la tiare sous le nom de 
Léon X. 

A Jules de Médicis, autre oncle de Catherine, 
Gauric prédit encore une extrême débauche, des 
luttes politiques, et une nombreuse progéniture. 
Or, Jules de Médicis, élu pape sous le nom de 
Clément VII, fut célèbre par ses démêlés avec 
Charles-Quint et Henri VIII d'Angleterre, autant 
que par ses liaisons féminines desquelles il eut 
vingt-neuf bâtards (i). 



Catherine de Médicis, devenue dauphine de 
France, désira connaître la destinée de son 
époux. C'est alors qu'elle pria Luc Gauric de 
consulter les astres et de consigner l'influence 
qu'ils pouvaient avoir sur le tempérament et 
l'avenir du futur Henri IL 

(l) Même ouvrage, p. 108. 



58 CATHERINE DE MEDICIS 

Selon la règle des triplicités de Dioclès et 
d'Avicenne, Gauric résuma ses observations et 
déclara d'abord « que le Dauphin parviendrait 
certainement au pouvoir royal, que son avène- 
ment au trône serait marqué par un duel sensa- 
tionnel, et qu'un autre duel mettrait fin à son 
règne en même temps qu'à sa vie (i). » En une 
autre consultation dont Claude de l'Aubespine 
nous a également conservé le texte latin, Luc 
Gauric ajoute que : « le très illustre roi très 
chrétien Henri de France acquerra la supré- 
matie sur un certain nombre de rois ; il par- 
viendra au comble des grandeurs humaines, 
avant d'entrer lui-même dans le néant ; il jouira 
d'une très heureuse et verte vieillesse comme 
l'enseignent le Soleil, Vénus et la Lune, con- 
joints dans riioroscope et principalement le 
soleil partiellement compté en son trône. C'est 
dans les régions soumises au Bélier qu'il réa- 
lisera ses plus hauts rêves de domination. S'il 
parvient à dépasser les années de sa vie, 56^, 63^, 
64®, etc, ainsi de suite jusqu'à l'âge de soixante- 
neuf ans, dix mois et douze jours, le trajet 

(1) Bibliothèque nationale, Destigny de Caen, L. G. 34 : 832, 
p. 103, et Colin de Plancy, Dictionnaire infernal^ p. 298, article 
Luc Gauric. 



">'■•■ 



CATHERINE DE MEDICIS 59 

de l'existence lui sera aisé et fortuné (i). » 
De plus, Gauric précisa le genre de blessure 
dont mourrait Henri II au cours du duel an- 
noncé. Mais comme la situation sociale de ce 
prince rendait impossible le danger mortel d'un 
duel proprement dit, on accorda peu de crédit 
à la prédiction du célèbre astrologue. Pour- 
tant Gauric n'en persista pas moins dans ses 
déclarations qui furent imprimées à Venise 
en i552, soit sept années avant le fameux tour- 
noi où Henri II devait recevoir la mort (2). 
Gauric avait en outre averti le roi, par lettre, 
dans laquelle il lui renouvelait avec plus de 
détails le résultat de ses observations basées 
sur des calculs astrologiques antérieurs de cinq 
ans à la naissance royale. Il lui recommandait 
particulièrement « d'éviter tout combat singu- 
lier en champ clos, notafnment aux environs de 
la quarante et unième année, parce qu'à cette 

(1) Voir citation et source mentionnées plus loin au sujet 
des notes de l'Aubespine. 

(2) Luc Gauric, Opéra, t. Il, Tractaîas Naliuilatum; Venise, 
1552, îrois vol. in-fol. M. Marlet bibliothécaire du Sénat, a 
traduit et annoté ce curieux horoscope qui n'a été inséré 
qu'en partie seulement, dans le tome II de : Poisons el sor- 
tilèges des docteurs Cabanes et Nass, eu 1903 (pp. 23 et 24). 
Le texte latin est également inséré dans le livre de l'Au- 
bespine. • 



60 CATHERINE DE MEDICIS 

époque de sa vie, il était menacé d'une blessure 
à la tête qui pouvait entraîner rapidement la cé- 
cité ou la mort ». A la réception de cette lettre 
Henri II avait été légèrement affecté et voici ce 
que nous dit Brantôme à ce sujet : 

« M. le comiestable y étoit présent, à qui le 
roy dit : « — Voyez, mon compère, quelle mort 
«. m'est présagée. — Ah! Sire, respondit M. le 
(( connestable, voulez-vous croire ces marauts 
« qui ne sont que menteurs et bavardz? Faictes 
(( jetter cela au feu. — Mon compère, répliqua le 
« roy, pourquoi ? Ils disent quelquefois vérité. Je 
« ne me soucie de mourir autant de ceste mort 
« que d'une autre; voire Taymerais-je mieux, et 
« mourir de la main de quiconque soit, mais qu'il 
« soit brave et vaillant, et que la gloire m'en de- 
« meure. « Et sans avoir esgard à ce que lui avoit 
dict M. le connestable, il donna cette professie 
à gardera M. de l'Aubespine, et qu'il la serrast 
pour quand il la demanderoit. Hélas! ny luy, 
ni M. le connestable ne songeoient pas à ce com- 
bat singulier dont il mourut, mais d'un autre 
duel en champ clos et à outrance comme duelz 
solempnelz doivent se faire (i). » 

(1) Œuvres de Brantôme, publiées et annotées par Ludo- 
vic Lalanne. Édition de la Société de l'Histoire de France : 



CATHERINE DE MEDICIS fjl 

Claude de TAubespiiie, lui-même, confiruie 
cette singularité. Le soir où la Trêve de V^u- 
celle (5 février i556) fut annoncée au roi, « on 
receut, dit ce secrétaire d'Etat, une despesche 
de Rome où estoit Toroscope du roy, composé 
par Gauricus. Je le mis de latin en françoys 
pour le faire entendre au roy. Cet oroscope fut 
négligé jusques au jour de la blessure du dict 
seigneur dont je représentay la ^coppie, ce qui 
donna beaucoup d'esbahissement (i) ». 

Le très éclairé Jérôme Cardan avait égale- 
ment été chargé par Catherine de rédiger Phoros- 
cope de son époux. Mais Pierre Gassendi nous a 
démontré la non-valeur de cette seconde pré- 
diction (-2). 11 est vrai que, d'accord avec Bayle, 
Gassendi critique également le thème établi par 

t. III, p. 280. Claude de l'Aubespine, auquel Henri II con- 
fia la prophétie de Gauric, était baron de Châteauneuf 
et fut secrétaire d'État sous François î"»", Henri II et 
Charles IX. Il mourut le 11 novembre 1567. Voir aussi le 
Dictionnaire historique et critique de Pierre Bayle, art. 
Henri II, pour cette prédiction de Luc Gauric. 

(1) Histoire particulière de la Court de Henry II (par Claude 
DE l'Aubéspine, secrétaire d'État). Cet ouvrage qui n'a été 
publié qu'en 1831, fut réimprimé en 183") dans le tome III de 
la l"^ série des Archives curieuses de l'Histoire de France 
(pp. 295 et 296). 

(2) Gassendus, Operum, t. II, sect. 2 ; Piiysica : liv. 6,^ 
p. 7-5. 

4 



62 CATHERINE DE MEDICIS 

Luc Gauric. Mais le président de Thou dans scn 
Histoire Universelle^ confirme le dire de Bran» 
tome : 

« Il est certain, dit-il, que Luc Gauric, ma- 
thématicien que Paul III considéroit beaucoup, 
avoit prédit le tems et le genre de la mort du 
roi, et que Catherine de Médicis toujours in- 
quiète de Tavenir, l'ayant consulté sur la des- 
tinée de son mari et de ses enfants, il lui avoit 
répondu que le roi seroit tué en duel et mour- 
roit d'une blessure à l'œil. Comme on pensoit 
que ce prince étoit d'une condition à craindre 
peu les hazards d'un duel, on se moqua de 
cette prédiction et on la négligea dans le temps. 
Quelques-uns, pourtant, remarquèrent qu'au 
commencement de son règne il avoit autorisé par 
sa présence un véritable duel (i) que la religion 
chrétienne défend, et qu'il perdit la vie dans les 
jeux et feinte d'un combat singulier (2). » 

Selon plusieurs auteurs, cette prédiction de Luc 



(1) Duel de Gui Chabot Jarnac et François Vivonne la 
Châtaigneraie; qui se battirent en présence de Henri II à 
Saint-Germain-en-Laye, le 16 juillet 1547. Dans ce combat 
mourut la Châtaigneraie qui était favori du roi. 

(2) Histoire Universelle de Jacques-Auguste de Thou depuis 
1543 jusqu'en 1607. Traduite sur l'édition latine de Londres; 
16 vol. in-4, Londres, 1734, (t. III, p. 369.) 



CATHERINE DE MÉDICIS 



CH 



Gauric obsédait tellement Catherine de Médicis, 
qu'elle fit appel aux plus renommés savants de 
son temps, soit pour contrôler les calculs de l'as- 
trologue, soit pour conjurer le danger annoncé. 
C'est ainsi qu'elle eut recourra Gabriel Simeoni, 
autre astrologue florentin qui fut aussi un littéra- 
teur de médiocre talent. Venu vers i532 à la cour 
de François P^ qui, sur la recommandation de 
la duchesse d'Étampes, lui avait accordé une 
pension annuelle de i.ooo livres, Gabriel Si- 
meoni était surtout un ambitieux pédant, dont les 
connaissances en astrologie judiciaire n'étaient 
guère plus étendues que sa valeur littéraire. 
Aussi, les conclusions qu'il tira de son examen du 
thème établi par Luc Gauric, ne sont-elles qu'une 
confirmation banale n'ayant d'autre but que celui 
de maintenir dans l'esprit de Catherine la con- 
fiance aveugle qu'elle attachait à la science as- 
trologique. Outre cette consultation complémen- 
taire, Destigny de Caen nous assure que Gabriel 
Simeoni (i) a joué un rôle dans les pratiques 

(1) Gabriel Simeoni était né à Florence en 1509. Après 
avoir vécu longtemps en France sous François I" et sous 
Henri II, soit à Paris, soit à Lyon, sous la protection du 
cardinal de Lorraine, il eut une vie très aventureuse au 
cours de laquelle on le voit toujours à la recherche d'un 
Mécène quelconque, car il ne publia pas un ouvrage sans 



€4 CATHERINE DE MEDICIS 

occultes auxquelles se livra Catherine, lors- 
qu'elle désirait si ardemment donner à Henri II 
des enfants mâles pour la succession des Valois 
au trône de France. 

Des écrivains occultistes ont aussi prétendu 
que Catherine de Médicis, lors de la mort de 
François I"', avait soumis la prédiction de Luc 
Gauric à l'examen du savant astronome bolonais, 
Nicolas Simi, mort en i564. Maris cette asser- 
tion ne repose sur aucune preuve, et les érudits 
travaux que nous a laissés Nicolas Simi mon- 



t'adressor à quelque grand personnage susceptible de le 
soutenir par sa fortune. Finalement il passa tranquillement 
les dernières années de sa vie auprès d'Emmanuel-Philibert 
de Savoie, auquel il avait dédié son livie des Devises. Il 
mourut à Turin vers 1570. Touchant la science astrologique, 
nous avons de lui, en dehors de nombreux ouvrages litté- 
raires et fantaisistes : De la Génération, nature, lieu, figure, 
cours et signification des comète^, imprimé à Lyon en 1550. 
un vol. in-8. Il avait aussi rédigé un traité d'Astrologie 
Judiciaire qu'il voulut publier sous les auspices de Pierre- 
Louis Farnèse, duc de Plaisance, protecteur de l'Arétin. 
Mais ce prince eut le bon esprit de ne pas répondre à sa 
proposition, ce qui épargna au public, dit Weiss, la mise au 
jour d"un mauvais ouvrage, La Bibliothèque nationale con- 
serve encore un ouvrage de Simeoni intitulé : Épitome "de 
r origine et succession de la duché de Ferrare, composé en 
langue toscane par le seigneur Gabriel Symeon, et traduit 
en français par lai-même. Avec certains épistres à divers per-- 
sonnages et aucuns Épigrammes sur la propriété de la lune 
tandis quelle passe par les douze signes du ciel. Pour Mme la 



CATHERINE DE MÉDICIS <)5 

trent que ce savant ne s'est jamais occupé d'as- 
trologie judiciaire, tous ses livres étant d-e purs 
ouvrages astronomiques, sorte de résumés des 
cours publics qu'il pratiquait à l'école de Bo- 
logne (i). 



duchesse de Valenlinois. (A Paris, au Palais, en la bou- 
tique de Gilles Corrozet, 1553, in-8, de 85 p. avec pri- 
vilège du roy.) En plus de la dédicace de l'ouvrage à 
Diane de Poitiers, on trouve à la page 43 (Épistre XIX), une 
lettre sans importance adressée à la favorite de Henri II. 
Puis des épigrammes, au nombre de six, également dédiées 
à Diane, ainsi qu'un sonnet sur la mort de M. Saint- Vallier» 
frère de Diane. C'est de cet ouvrage que j'ai extrait le por- 
trait de Gabriel Siméoni ici reproduit, p. 175, portrait formant 
frontispice de ce livre très rare. Signalons enfin, comme curio- 
sité bibliographique, Les illustres observations antiques de 
Gabriel Symeon {Florentin), en son dernier voyage d'Italie, l'an 
1557. Lyon, Jean de Tournes, 15^8, petit in-4, orné de nom- 
breuses figures sur bois. 

(1) Les principaux ouvrages de Nicolas Simi, sont : Theo- 
rica planetarum in compendium redacka, imprimé à Venise 
•en 1551, puis à Bàle en 1555; Ephemerides anno XV, ab ànno 
Christi 1.554 ad 1568, ad nieridianum Bononiœ. Canones, usum 
^phemeridum explicantes, imprimé à Venise en 1554 ; Trac- 
iatus de electionibus, de mutatione aëris, de revolutionibus 
annorum et alla, imprirné à Venise en 1554, un vol. in-4 
■enfin, on a encore de lui : Introductoriuni ac sunimariuni 
iolius geographiœ, un volume in-8, imprimé à Bologue en 
1563. La bibliothèque de l'institut de Bologne conserve 
quelques autres ouvrages inédits de cet auteur relativement 
peu connu, et qui fut pourtant, sans conteste, l'une des plus 
grandes figures scientifiques du seizième siècle. 



4. 










Autographe de Catij ^ 
{Archives n\ 1 






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ERINE DE MÉDICIS. 

ationales.) 



€8 CATHERINE DE MEDICIS 



Cependant, il existait un autre homme qui, 
depuis le seizième siècle jusqu'à nos jours, a 
sans cesse été l'objet des plus enthousiastes 
admirations, aussi bien que des plus vils déni- 
grements. C'est l'auteur des étranges Centuries, 
Michel de Nostre-dame, plus connu sous le nom 
latinisé de Nostradamus. 

Indéniablement, les Centuries ne constituent 
pas Tœuvre d'un cerveau vulgaire, et les quatre- 
vingts éditions de ce livre mystérieux démon- 
trent que ce travail n'a certes pas manqué d'ap- 
préciateurs naïfs ou éclairés. Tout en faisant 
des réserves pour la part de flatterie, de supersti- 
tion et d'exagération que l'on rencontre parmi 
les apologistes de Nostradamus, tout en se mé- 
fiant de 'a crédulité facile avec laquelle certains 
d'entre eux ont commenté les œuvres du célèbre 
astrologue, il faut pourtant reconnaître avec 
Jean-Aimé de Chavigny (i), avec Baltazar 

(1) Jean-Aimé de Chavigny, docteur en théologie, né en 
1524, mort en 1604, était un élève de Nostradamus avec 
lequel il étudia durant vingt-huit années. Tous ses ouvrages 
sont relatifs aux travaux de son maître; en voici les titres 
principaux : La première face du Janus François, contenant 



Guynaud (i) et plus récemment avec Anatole Le 
Pelletier (2), que le nom de Michel Nostrada- 
mus est vraiment digue d'être compris dans la 
liste des grands intellectuels du seizième et du 
dix-septième siècles. 

Ami intime de Jules-César Scaliger^ Michel 
Nostradamus tint d'abord, pendant plusieurs 
années, la chaire de médecine à la faculté de 

les troubles de France depuis 1534 jusquen 1589, fin de la 
maison Valésienne, extraite et colltgée des Centuries et commen- 
iaires de Michel Nostradamus (texte latin et français), im- 
primé à Lyon en un volume in-8, 1594. De ce très rare et fort 
curieux ou\'Tage une seconde édition revue et augmentée fut 
publiée à Pans en 1596, un vol. in-8, sous le titre suivant: 
Commentaires sur les Centuries et pronosîications de Nos- 
Iradamus. On a encore de lui : les Pléiades divisées en sept 
Hures, prinses des anciennes prophéties et conférées avec les 
oracles de Nostradamus; Lyon, 1603, et une seconde édition 
augmentée publiée dans la même ville en 1606, un vol. 
àn-8. Ce dernier recueil de prédictions est tout aussi curieux 
«et tout aussi rare que le précédent. 

(1) Baltazar Guynaud, qui était écuyer royal, avait rempli 
pendant plusieurs années la charge de gouverneur des pages 
de la chambre de Louis XIV. Il nous a laissé la Concor- 
dance des prophéties de Nostradamus avec Vhistoire, depuis 
Henri II jusqu'à Louis-le-Grand, la vie et Vapologie de cet 
auteur, un vol. in-12, de 402 p. dédié à Louis XIV et publié 
à Paris en 1693. Cet ouvrage a été réédité dans le même 
format à Paris en 1709. 

(2) Les Oracles de Michel de Nostredanie, astrologue, méde- 
■cin et conseiller ordinaire des rois Henri 11^ François II et 
Charles IX, par Anatole Le Pelletier. Paris, 1867, 2 vol. 
în-8, chez Le Pelletier, imprimeur-lithographe. 



CATHERINE DE MEDICIS 



Montpellier, où il avait été reçu docteur à l'âge 
de vingt-deux ans. Puis, sans pour cela quitter 
la médecine, il se passionna pour l'astrologie 
judiciaire, reprit les textes des littératures an- 
ciennes, traduisit les documents astrologiques 
de Pantiquité, rectifia plusieurs calculs astrono- 
miques, et acquit ainsi promptement une renom- 
mée à laquelle s'intéressèrent le duc et la du- 
chesse de Savoie qui vinrent le consulter à 
Salon-de-Craux, sa résidence habituelle. 

En i555 il publia ses trois premières Centu- 
ries auxquelles il ajouta les cinquante-trois pre- 
miers quatrains de la quatrième, avec une épî- 
tre adressée à son fils. César de Nostredame (i). 



(1) Ouvrage publié, à Lyon, chez Macé-Bonliomme, MDLV, 
avec privilège du roi rendu par Hugues du Puis, seigneur 
de la Motte et conseiller du roy, privilège donné le dernier 
jour dapuril (avril) et achevé d'imprimer le quatrième jour de 
may. Voir P" Centurie, § 35 de cette édition pour la pro- 
phétie relative à la mort de Henri II. Un exemplaire de 
cette rarissime édition était conservé à l'ancienne biblio- 
thèque de la ville de Paris installée à l'Hôtel de Ville et 
détruite en 1871. Ce livre y était catalogué sous la cote 
Y : n°4621. Un exemplaire du livre de Jean- Aimé de Chavigny, 
La première face du Janus François précité et qui subit 
le même sort, était catalogué sous la cote : Y. N° 4629, à la 
même bibliothèque. Au sujet de cette prédiction, César de 
Nostradamus, fils du devin, fait les réflexions suivantes : 
« Prophétie à la fois estrange où pour la cage d'or se voit 
« le timbre royal dépeint au vif, qui accordant merveilleu- 





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CATHERINE DE MEDICIS 



Or, la même année, Henri II, qui avait eu con- 
naissance des Centuries et du sort que Nos- 
tradamus lui prédisait dans ce livre, fut frappé 
de la concordance qui existait entre cette pré- 
diction et celle que lui avait précédemment 
faite Luc Gauric. Aussi, fît-il venir Nostrada- 
mus à la cour(i5 août i555) où le devin lui con- 
firma verbalement les présages de mort insérés 
sous la forme suivante dans la première Centurie i 

Le Lyon jeune, le vieux surmontera 
En champ bellique par singulier duelle. 
Dans cage d'or les yeux lui crèvera. 
Deux classes, une seulement, puis (brisure) mourir. 
Mort cruelle. 

Toute énigmatique que puisse paraître cette 
rédaction, il faut avouer que les événements 
ont prouvé qu'elle ne manquait pas de justesse 



« sèment bien avec ce qu'il avoit dit en quelque autre- 
« endroit en ces termes courts et couverts Forge étouffera 
« le bon grain. Car non • seulement le nom de celuy qui 
« porta ce coup de lance tant malheureux y est exprimé,. 
« mais je ne sais quel mystique pronostic de la nouvelle doc- 
<( trine quitascheroit d'estouffer la pure et orthodoxe créance 
« de plusieurs hommes déceus. » [Histoire et Chronique de 
Provence., de César de Nostradamus, gentilhomme pro- 
vençal, etc. Lyon, 1611, chez Simon Rigaud, avec privilège-^ 
in-fol., p. 782.) 



CATHERINE DE MEDICIS 73 

dans les détails, et qu'elle était tout aussi pré- 
cise que celle de Luc Gauric. 

Cependant, Gauric mourait le i5 mars i558 et 
Nostradamus, définitivement attaché à la cour 
de France en qualité de médecin-astrologue, 
devenait conseiller ordinaire du roi (i). Cathe- 
rine de Médicis lui accordait une réelle sympa- 
thie. Elle le consultait fréquemment soit pour 
ses agissements personnels, soit pour les actes 
que devait accomplir Henri II. Selon les con- 
seils du devin, elle augmentait chaque jour la 
surveillance, l'étiquette et les précautions né- 
cessaires à la sécurité du roi;, et les deux pré- 
dictions touchant la vie de son mari étaient 
devenues chez elle une véritable obsession. Au- 
paravant, c'était, à la cour de France, une exis- 
tence conformée aux fantaisies d'autrui, et une 
étiquette pour laquelle il n'y avait aucune règle 
rigoureuse. Maintenant, dit Henri Bouchot, les 
obligations sont autres, elles sont plus étroites, 
et, pour avoir obtenu le droit d'ordonner, Ca- 

(1) La Vie de Michel Nosfradamus ; Paris, 1789. Voir cet 
ouvrage passim et la Clef de Noslradamus, avec la critique, 
par un Solitaire, Paris, 1716, un volume in-12. Voir aussi : 
Éclaircissement des véritables quatrains de Maistre Michel 
Nostradamus, ouvrage anonyme publié à Paris en 1656 ; un 
vol. in-12. 



CATHERINE DE MEDICIS 



Iherine n'a même plus le moyen de s'ab&traire 
ni de rêver. On a indiqué l'heure du réveil de 
la reine aux dames d'honneur ; si Ton paresse, 
il y a, aux antichambres, des personnes venues 
qui attendent. Bon gré, mal gré, on devra s'ha- 
biller et accorder audience aux visiteurs impor- 
tuns. Catherine, réglant sa vie sur celle du roi^ 
est debout dès sept heures, et s'il donne au- 
dience à ses conseillers, elle a ses secrétaires 
auxquels elle dicte sa correspondance volumi- 
neuse. A dix heures, messe de cour, petit céré- 
monial, intimité, musique seulement aux fêtes. 
Au sortir de la chapelle, le premier repas. Après 
ce déjeuner, une courte sieste et les audiences. 
Celles-ci terminées, ce qui conduit à deux heures 
de l'après-midi, la reine reçoit le roi et tient son 
cercle. S'il fait beau temps, le roi joue à la 
paume et Catherine sort pour la promenade ; 
s'il pleut, le roi tient son jeu de dés ou son 
tarot, et la reine brode ou entend la lecture de 
quelques pages littéraires ou scientifiques. A 
six heures, dîner en famille, puis deux fois par 
semaine, un bal. 

Et tout ceci se passe sans une seconde d^a 
parie, sous l'œil de mille valets, avec le capi- 
taine des Gardes faisant ses rondes incessantes. 



CATHERINE DE MEDICIS 



avec les archers montant leur faction aux esca- 
liers, de marche en marche, avec les Suisses 
encombrant les vestibules^ les corridors et les 
cours. Vers la nuit, le grand-maître ordonne la 
lumière^ et subitement cinq cents flambeaux 
jettent leur lueur aux moindres recoins du 
palais, les cours a^'ant leurs falots et les anti- 
chambres leurs lampadaires. Jamais la porte du 
palais ne s'ouvre avant que le roi ne soit éveillé. 
S'il dort, personne n'entre ni ne sort, et lui- 
même a les clefs sous son traversin (i). 

Au milieu de cette existence luxueusement 
réglée et pleine de méfiance, la superstition ne 
perdait pas ses droits. Tout en déclarant bien 
haut qu'il ne croyait ni aux prédictions, ni aux 
sortilèges, Henri II pensait sans cesse aux pro- 
phéties de Luc Gauric et de Nostradamus. Si 
l'on en croit Mme de la Fayette, il aimait assez. 
à en parler dans son entourage, et un jour 
d'avril i559, où le roi était chez la reineibrheure 
du cercle, comme la conversation roulait sur les 
horoscopes et que les opinions étaient partagées, 
la reine déclara qu'elle y ajoutait beaucoup de 

(1) Henri Bouchot, Catherine de Médicis. Édition Goupil 
et Cie, Paris, 1899 ; un magnifique volume in-fol. avec 
planches. Voir pp. 46 et 47. 



76 CATHERINE DE MEDIC.IS 

foi. Elle soutint qu'après tant de choses qui 
avaient été prédites et que l'on avait vu se réa- 
liser, on ne pouvait douter qu'il n'y eût quelque 
certitude dans les sciences divinatoires. Le roi 
ajouta qu'il avdt eu autrefois beaucoup de cu- 
riosité pour l'avenir, mais qu'on lui avait dit 
tant de choses fausses, qu'il demeurait con- 
vaincu que rien n'était véritable dans ces racon- 
tars. Pourtant il conta la prédiction de Luc 
Gauric : « Il me prédit que je serois tué en duel, 
dit le roi. Il annonça à M. de Guise qu'il seroit 
tué par derrière et à d'Escars qu'il auroit la 
tête cassée d'un coup de pied de cheval. M. de 
Guise s'ofîensa quasi de cette prédiction, comme 
si on l'eût accusé de devoir fuir. D'Escars ne fut 
guère satisfait de trouver qu'il devoit finir par 
un accident si malheureux. Enfin, nous sortîmes 
tous très mal contents de l'astrologue. Je ne 
sais ce qui arrivera à M. de Guise et à d'Escars; 
mais il y a guère d'apparence que je sois tué 
en duel. Nous venons de faire la paix, le roi 
d'Espagne et moi (i); et quand nous ne l'aurions 

(1) La paix à laquelle Henri II fait ici allusion, est la paix 
de Cateau-Cambrésis signée le 7 avril 1559 {Archives natio- 
nales : M. V. 8, pièce n° 36). Cet accord avait également été 
prédit par Nostradamus dans sa Neuvième Centurie, para- 
graptie 52, ainsi traduite par Le Pelletier : « La paix de la 



CATHERINE DE MEDICIS 77 

pas faite, je doute que nous nous battions, et 
que je le fisse appeler comme le roi mon père 
fît appeler Charles-Quint (i). » 



Un double mariage vint cimenter cette pacifi- 
cation. Elisabeth de France, fille aînée de 
Henri II et sa sœur, Marguerite, furent unies, 
la première au roi d'Espagne, et la seconde au 
duc de Savoie, Philibert-Emmanuel. Suivant 
l'usage; la cour de France décida de célébrer 
ce triple événement par des fêtes splendides, 
festins, bals et tournois. Pendant les prépa- 
ratifs de ces réjouissances, Henri II, libre des 
préoccupations de la guerre, redoubla de ri- 
gueur envers les protestants dont le nombre 

France avec l'Espagne s'approche d'un côté, et la guerre 
civile des catholiques avec calvinistes s'approche de 
l'autre. Jamais on n'aura une lutte aussi acharnée. Plaignez 
hommes, femmes et enfants innocents dont le sang ruis- 
sellera à flots. Car catholiques ou réformés, ce sera quand 
même du sang français qui sera versé de part et d'autre. » 
(1) La Princesse de Clèves, par Mme de la Fayette ; édition 
avec notes de Garnier frères, pp. 308 et 309. Dans sa notice 
sur Mme de la Fayette, l'académicien L. S. Augera dit tout 
ce que l'on peut dire sur la valeur historique de la Prin- 
cesse de Clèues ; je n'insisterai donc pas sur ce détail docu- 
mentaire. 



78 CATHERINE DE MEDICIS 

croissait sans cesse, et gagnait même les mem- 
bres du Parlement. « Quand cela ne serviroit, 
Sire, lui disait le cardinal de Lorraine, frère du 
duc de Guise, quand cela ne serviroit qu'à faire 
paroître au roi d'Hespaigne -que vous estes 
ferme en la foy et que vous ne voulez tollérer en 
vostre royaume qui puisse apporter aulcure 
tache à vostre très excellent tiltre de roy très- 
chrestien^ encore y devez-vous aller très fran- 
chement et de -grand couraige (i). » 

Le bon cardinal ajoutai t^que pour bien célé- 
brer le mariage de la fille et de la sœur royales, 
il serait utile de brûler en « place publique, 
comme hérétiques-luthériens, une demi-dou- 
zaine de conseillers qui gâtent ce sacré corps 
du Parlement. » 

Henri II s'empressa de suivre ces féroces 
conseils et se rendit en personne à une séance 
du Parlement où les magistrats reçurent Tordrje 



(1) Mémoires de François de Sce^peaux, sire et maEéclial 
de Vieille ville, né en 1509, mort empoisonné en 157.1. Ces 
mémoires, fort intéressants, ont été rédigés par François 
Carloix, secrétaire de Vieilleville, et publiés pour la pre- 
mière fois en 1757 avec commentaires du jésuite P. Griffet 
(cinq volumes in-12). Voir cet ouvrage au livre Vil, ji. 24, 
édition de L. Guérin et F. Delatour, éditeurs rues Saint- 
Jacques et Saint-Thomas d'Aquin. 



^'' 



CATHERINE DE MEDICIS 



de délibérer à haute voix, en présence du roi, 
sur les punitions encourues par les protestants. 
Plusieurs conseillers, quand vint leur tour de 
prendre la parole, n'hésitèrent pas à exprimer 
hardiment leur pensée qui n'était pourtant pas 
celle du souverain. 

Le conseiller-clerc, Anne du Bourg, fils d'un 
ancien chancelier de France, fut plus particu- 
lièrement précis dans son discours de protesta- 
tion loyale, tandis que le premier président 
ie Maître trahissait le Parlement en dénonçant 
au roi le secret des délibérations antérieures. 
C'est à la f5éaac« mémorable du lo juin i559 que 
Anne du Bourg déclara devant le roi « qu'il était 
étrange de voir chaque jour à la caur de France 
des crimesse dérouler sous la forme des supers- 
titionsles plus diverses, astrologie, sorcellerie, 
magie, à côté des blasphèmes, adultères, dé- 
bauches horribles et .parjures, crimes qui se 
commettent impunément à la face du ciel, pen- 
dant que les îblasphémateurss'iiigénientà trouver 
les plus atroces supplices pour détruire des 
humains dont le seul crime est de demander 
une salutaire iréfornite (i). » 

il) Mémoires de François de Vieilleuille : Livré W\, passim. 



80 CATHERINE DE MÉDICIS 

Henri II ne s'y trompa pas. C'était nettement 
une attaque contre les pratiques occultes de sa 
femme, et contre ses ouvertes débauches avec 
Diane de Poitiers. D'ailleurs, si, après cette 
déclaration de du Bourg, le roi avait encore 
conservé quelque doute sur l'aversion que lui 
manifestait le Parlement, ce doute dut tomber 
complètement lorsque le conseiller du Faur 
décrivit les abus de l'Église et de l'autorité 
royale, ajoutant « qu'il fallait bien entendre quels 
étaient ceux qui troublaient vraiment l'Eglise, de 
peur qu'il n'y eût à dire ce que le prophète Elie 
dit au roi Achab : C'est toi, prince, qui troubles 
Israël ! 

Puis, les deux présidents delà chambre de la 
Tournelle, Séguier et Harlay, estimèrent que le 
Parlement, en ne condamnant pas à mort les 
hérétiques, avait fort bien jugé et qu'il continue- 
rait à juger ainsi. Mais le premier président, le 
Maître, qui avait sourdement dénoncé ses col- 
lègues, jetant bas le masque, répondit, en vocifé- 
rant, qu'il fallait renouveler d'urgence les exter- 
minations jadis entreprises contre les anciens Al- 
bigeois (i) et plus récemment contre les Vaudois. 

(1) Outre leur hérésie, plusieurs Albigeois ou Cathares 
furent poursuivis et condamnés au supplice du l'eu pour 



CATHERINE DE MEDICIS 81 

La délibération achevée, le roi ne laissa pas 
compter les voix. Il se fit remettre le procès- ver- 
bal des séances générales et les arrêts de la 
chambre de la Tournelle. « 11 nous déplaît gran- 
dement, dit-il, d'avoir reconnu qu'il y ait en 
notre cour de parlement des gens dévoyés de 
la foi. Nous soutiendrons les bons et ferons pu- 
nir sévèrement les autres pour servir d'exemple. » 
Puis il ordonna d'arrêter du Bourg, du Faur, 
trois autres conseillers et un président. Des 
lettres patentes furent ensuite expédiées à tous 
les juges de province pour la répression des 
hérétiques, lettres dans lesquelles le roi disait 
qu'il regrettait de ne pas avoir sévi plus tôt, 
qu'il en avait été empêché par la guerre, mais 
que désormais ce serait là sa grande affaire; 
ces ordres se terminaient par des menaces ter- 
ribles à l'adresse des juges qui faibliraient. 
Enfin, il institua pour juger les magistrats pri- 
sonniers une commission arbitrairement choisie, 
à la tête de laquelle étaient l'évêque et Tinqui- 

crime de magie. Il est certain que parmi les Albigeois se glis- 
sèrent quelques nécromants qui joignirent au gnoslicisme 
catharique et aux sacrifices que la secte pratiquait dans les 
ténèbres des rites étranges tiré& des magies slave et chal- 
déenne. Je possède sur ce cuiieux sujet des documents que 
je me propose de publier en une étude spéciale. 



;ic/ f3^ 



^2 CATHERINE DE MEDICIS 

siteur de Paris. Pour confirmer sa colère, 
Henri II déclara à cette commission « qu'il vou- 
lait voir, de ses deux yeux, brûler Anne du 
Bourg ». 

Or, il ne devait pas avoir cette cruelle satis- 
faction. L'entassement des fagots du bûcher de 
Anne du Bourg exigea six mois de préparatifs (i), 
et l'heure était proche où les oracles astrolo- 
giques allaient être sanctionnés par leur accom- 
plissement fatal. 



En même temps que cette violente dis- 
cussion politico-religieuse, s'achevaient les 
apprêts des fêtes royales. Au bout de la rue 
Saint-Antoine, devant le vaste hôtel des Tour- 
nelles devenu la résidence ordinaire du roi, 
depuis qu'au siècle précédent la cour avait aban- 
donné le vieil Hôtel Saint-Pôl, se dressaient les 

(1) Anne du Bourg n'était âgé que de trente-huit ans, lors- 
qu'il fut étranglé et brûlé en place de Grève le 23 décem. 
bre 1559. Les protestants chantèrent le courage de ce mar- 
tyr; voir entre autres poèmes huguenots spéciaux à ce sujet : 
La Chanson spirituelle d'Anne du Bourg, conseiller du roy en 
parlement, estant es lieux pour soustenir la parole de Dieu et 
pour laquelle il souffrit constamment la mort. (Petit in-8, de 
quatre feuillets, publié à Paris en 1560.) 



?>- 



CATHERINE DE MÉDICIS 83 

tribunes et la lice où les plus brillants cheva- 
liers allaient procéder aux joutes et tournois, 
principales attractions que comportait le pro- 
gramme des réjouissances organisées. 

Le 3o juin i559, ^'^^'^ neuf heures du matin, 
le roi fît ajinoncer à son de trompe, l'ouverture 
des tournois. Après le dîner de midi, il déclara 
qu'il se portait comme tenant aux combats en 
champ clos, et il ordonna à M. de Boisy, grand 
écuyer de France, de lui apporter ses armes. 
Cet ordre ayant été exécuté, Henri II descendit 
au champ où seigneurs et nobles dames avaieiiit 
pris place dans les tribunes, et où la reine pré- 
sidait entourée de ses filles d'honneur. 

« M. de Vieilleville, dit le roi en s'adressant 
<( à ce gentilhomme, armez'^moi sur4e-<champ. » 

C'était ;à M. de Boisy qu'appartenait la fonc- 
tion d'armer le roi. Mais ce jour-là, Henri sem- 
blait absorbé par une pensée et dans sa préoc- 
cupation, il s'était, par erreur, adressé à M. de 
Vieilleville. Ce gentilhomme obéit et plaça 
l'armet sur la tête royale. Mais, en exécutant 
cet ordre, M. de Vieilleville ne put s'empêcher 
de dire au roi, avec un soupir d'inquiétude : 
qu'il ne fist de sa vie chose plus à conire'Cœuv 
que celle-là. Henri ne lui en demanda pas la 



81 CATHERINE DE MEDICIS 

cause, parce qu'au même instant, M. de Savoie 
se présenta tout armé pour lutter contre Sa Ma- 
jesté qui dit en riant au Savoyard : « Monsieur 
mon frère, serrez bien les genoux, car je vais 
sûrement bien vous esbranler sans respect pour 
l'alliance et la fraternité qui déjà nous unis- 
sent. » 

Les deux cavaliers entrèrent en lice et exécu- 
tèrent une course remarquable, où leurs lances 
se rompirent avec bravoure. M. de Guise vint 
ensuite et lutta également avec honneur contre 
le roi. Enfin, à la troisième passe, se présenta 
le jeune comte Gabriel de Montgommery, sei- 
gneur de Lorges, rude et hardi cavalier avec 
lequel le roi devait courir la troisième lance. 
Car, telle était la règle des joutes : le tenant 
courait trois courses, et chaque assaillant, une 
seule. Les deux champions prirent donc du 
champ et se choquèrent avec violence en rom- 
pant uniformément leurs lances, aux grands 
applaudissements des spectateurs. 

M. de Vieilleville était le tenant qui succédait 
au roi. Il entrait en lice et se disposait à cou- 
rir ses trois courses, lorsque le roi le pria de 
le laisser rompre une lance supplémentaire avec 
le comte de Montgommery, duquel il voulait 



CATHERINE DE MEDICIS 85 

avoir revanche^ disait-il, parce que M. de Moni- 
gommery lavoHfaii fort bransler et quasi quitter 
tes estrieux. M. de Vieilleville lui répondit que 
Sa Majesté avoii assez rompu de tances et avec 
grand honneur, qu'eite ferait beaucoup mieux 
de prendre repos. Mais Henri répliqua qu'il 
tenait à cette revanche qui serait sa dernière 
course. 

M. de Vieilleville s'émut de cette insistance de 
la part du roi, et ne put résister à l'envie de lui 
dévoiler sa crainte : « Sire, lui dit-il, je jure Dieu 
vivant qu il y a plus de trois nuits que je ne 
fais que songer qu'il vous- doit arriver quelque 
malheur aujourd'hui et que ce dernier jour vous 
est fatal. Sire, vous en ferez comme il vous 
plaira (i). » 

(1) Le capitaine Biaise de Mon/luc, tristement célèbre pour 
ses cruautés envers les calvinistes, raconte dans ses Com- 
mentaires qu'il eut, comme Vieilleville, au cours de la nuit 
qui précéda la mort de Herri II, un songe prophétisant la 
fin tragique du roi : « La nuit propre venant au jour du 
tournoy, dit-il, à mon premier sommeil, je songeay que je 
voyais le roy assis sur une chaise, ayant le visage tout cou- 
vert de gouttes de sang; et il me sembloit que ce fust 
ainsy que l'on peint Jésus-Christ quand les Juifs luy mirent 
la couronne... Je luy regardois, ce me sembloit, sa face et 
ne pouvois découvrir son mal ny voir autre chose que sang 
au visage. J'oyais, comme il sembloit, les uns dire : Il est 
mort, ou il ne l'est pas encore. Je voyais les médecins et 



;86 CATHERINE DE MEDICIS 

Le roi allait répondre quand M. de Boisy 
s'avança et dit à Henri que la reine conjaraii 
JSa Majesté de ne plus courir pour Vamour 
d'elle. Répondez à la Reine^ dit le roi, que cesl 
précisément pour Vamour délie que je veux 
courir celte lance. Le comte de Montgommery 
jugea bon de joindre ses instances à celles de 
Catherine en disant « qu'il avait couru sa course 
réglementaire et que les autres assaillants ne 
permettraient certes pas qu'il fît sur eux cette an- 
ticipation ». Mais le roi Lui déclara que c'était là 
une passe exceptionnelle et que nul ne songeait 
-à la considérer comme une anticipation sur les 
droits des autres jouteurs. Pourtant, d'une voix 
;grave Montgommery ajouta : Je supplie Votre 
Majesté de ne pas persister dans sa volonté ! 

— Ty persiste cependant^ M. de Montgom- 
mery, répondit le roi. Et après une pause, il 
conclut sur un ton qui n'admettait plus de ré- 
plique : 

— « Apprêtez-vous, Monsieur, à courir contre 
moi. » 

chirurgiens entrer et sortir dedans la chambre... Plusieurs 
qui sont vivans sçavent que ce ne sont pas là des contes, 
car je le dis dès que je fus esveillé. >> [Commentaires de 
Blaise de Montluc; année 1559, rédigés en 1571 et rapportés 
par de Ruble, t. III, p. 325.) 



CATHERINE DE MEDICIS ?: 7 

Gabriel de Montgommery s'inclina et entra en 
lice. Mais tout le monde remarqua que le roi ne 
le suivit pas immédiatement et qu'un instant il 
resta pensif h l'entrée opposée de la lice. Revit- 
il nettement en cette minute le texte des ho- 
roscopes? Se souvint-il alors que deux jours 
auparavant Catherine de Médicis les lui avait 
rappelés, ce dont il s'était moqué comme d'ha- 
liitude (i) ? Quoi qu'il en soit, il y eut hésitation 
chez Henri, hésitation marquée et que seul le 
signal du combat, donné par M. de Vieilleville, 
fît cesser. Et puis, comment reculer maintenant 
devant les milliers de personnages qui attenti- 
vement suivaient ses mouvements ? Donc, le sort 
en était jeté, et, hardiment, les deux cavaliers 
partirent au galop. 

Le roi et Montgommery se rencontrèrent à 
peu près au milieu du trajet. Les lances cho- 
quèrent les deux poitrines et se brisèrent ferme- 
ment, sans qu'aucun des deux combattants per- 



(1) Quelques historiens ont aussi déclaré qu'au cours de 
la nuit qui a précédé le jour de l'accident, Catherine de Mé- 
dicis avait vu en songe la scène de la mort de son épou-x. 
Voir sur ce sujet onéirocritique : la Physionomie des songes 
et visions, par Jean Tibault, astrologue lyonnais; chez 
J. Moderne, in-8, s. d. et : Des Songes dans la Galerie mo- 
rale eî politique du comte de Ségur, t. II, p. 356 (Paris, 1819). 



88 CATHERINE DE MEDICIS 

dit sa stabilité. La crainte qui régnait parmi les 
assistants sembla se dissiper. Il y eut comme 
un grand soupir de soulagement poussé par la 
foule des tribunes, et la reine leva les yeux au 
ciel en signe de reconnaissance. Le mal était 
conjuré ; les astrologues s'étaient trompés dans 
leurs sinistres augures... 

Hélas, la joie devait être de courte durée. Le 
roi et Montgommery étaient encore en lice, et 
après avoir atteint chacun l'extrémité opposée à 
leur entrée respective, ils devaient revenir au 
galop au point de départ, ce qui les obligeait à 
se rencontrer une fois encore. Mais il arriva que, 
dans ce retour, Gabriel de Montgommery ne 
jeta pas, selon la coutume, le tronçon de sa 
lance brisée, tandis que le roi avait jeté le sien. 
Montgommery avançait donc rapide, tenant de- 
vant lui ce qui lui restait de lance, lorsque tout 
à coup la visière du casque royal fut levée par 
la violence avec laquelle le tronçon de l'arme 
avait rencontré la tête de Henri H. Un cri s'éleva 
de la foule. Le tronçon de la lance du jeune 
comte était entré dans Pœil droit du roi, et 
ressortait maintement par l'oreille. 

Néanmoins, le roi avait eu la force de se cram- 
ponner au cou de son cheval et d'atteindre 



CATHERINE DE MEDICIS 



rextrémité de la lice où le reçurent les écuyers 
de champ et MM. de Vieilleville et Boisy. 

— Ah ! je suis mort ! dit-il pendant qu'on 
l'emportait ainsi que la reine qui s'était éva- 
nouie. Gomme on se dirigeait vers la chambre 
à coucher royale, Henri dit encore que la reine, 
M. de Vieilleville et aulires personnes présentes 
avaient raison quand ils le suppliaient de ne 
point faire cette mauldicte course, mais que nul ne 
pouvoit fuir ny éviter son destin. Après un peu 
de repos il ajouta : Qu'on n'inquiète pas M. de 
Montgommery I... C'était juste... Je lui par- 
donne. Puis il s'évanouit. 

Aussitôt que le roi fut installé dans sa 
chambre, le connétable de Montmorency, se sou- 
venant des prophéties, s'écria devant MM. le 
Grand et Brantôme : Que Von prie M. de VAu- 
bespine de nous apporter les prophéties que 
le roi lui a confiées I Les deux prophéties 
furent apportées et lues devant tous les cour- 
tisans présents. Quand cette lecture fut termi- 
née, comme tout le monde était bien d'accord 
sur la singularité des coïncidences qu'offrait 
l'accident avec les prédictions, M. le connétable 
dit en sanglotant : Hélas ! oui, voylà bien le 
combat et duel singulier où il devoit mourir. 



DO CATHERIxNE DE MEDICIS 

Cela est faict, il va mourir, il meurt. Il n''estoit 
pas possible aux devins de mieux et plus au clair 
parler que cela, d'autant plus que de leur natu- 
rel ils sont toujours ambigus et doubteux clans 
leurs discours. Mais là ils parlèrent fort ouver- 
tement. Ah! que maudits soient ces devins qui 
prophétizèrent si au vray et si mal (i) ! 

La porte de la chambre du roi fut interdite 
à toute la cour. Ambroise Paré était à Péronne 
et personne n'eut Tidée de le faire venir. Seul 
le grand Jean Fernel était là avec six chirur- 
giens qui, pendant quatre jours, multiplièrent 
leurs expériences pour extraire du cerveau royal 
les esquilles du tronçon de lance. Pour cela on 
avait décapité en hâte une dizaine de criminels 
au Ghâtelet et à la Conciergerie du Palais. Sur 
les têtes des suppliciés on enfonçait des lances 
de tournois en s'efforçant de reproduire exacte- 
ment la blessure qui tuait le roi; puis on pro- 
cédait à l'extraction des fragments de bois en- 
foncés dans ces crânes morts. De ces essais théo- 
riques il ne résulta rien dans la, pratique, et, au 

(1) Pour la rédaction de ce récit, voir : Œuvres de Bran- 
îôme, t. III, pp. 283 et suivantes;. Mémoires de Français de Viell- 
Jeville, t. IV, pp. 170 et suivantes; Diclionnaire historique de 
Pierre Bayle, t. III, p. 52; Abrégé chronologique de Mézeray, 
t. IV, p. 721; Diclionnaire de Moréry, t. II.I, p. 181, etc. 



CATHERINE DE MÉDICIS c,l 

milieu d'horribles souffrances, le roi reprit con- 
naissance le quatrième jour. Alors il fit venir 
Catherine de Médicis, la pria de faire célébrer 
de suite le mariage de sa sœur, lui recommanda 
ses enfants et les affaires du royaume, et enfin 
s'éteignit le lo juillet i559 après onze jours 
d'agonie (i). 

Claude Gouffier, sire de Boisy, chevalier de 
l'ordre, capitaine des cent gentilshommes de la 
maison royale, ordonna et régla les funérailles 
de Henri II. Ce ne fut quele 16 août qu'on pro- 
céda officiellement au transport du roi dans la 
sépulture royale de Saint-Denis. Les dépenses 
de ces obsèques somptueuses s'élevèrent à la 
somme énorme de quarante-quatre mille trois 
cent trente-quatre livres cent quatre-vingt-dix- 
huit sols et vingt-deux deniers, somme sur la- 
quelle deux cent quatre-vingt-huit livres treize 
sols tournois furent alloués au célèbre François 

(1) L'accident mortel survenu à Henri II n'est pas un fait 
isolé dans l'histoire. Les tournois ont souvent été des jeux 
meurtriers. Auguste Demmin rapporte que dans une seule 
passe d'armes allemande, soixante chevaliers périrent des 
suites de leurs blessures. Citons encore le fameux tournois 
de Gerbie en Picardie, où Floris IV, comte de Hollande, 
trouva la mort en 1234. D'ailleurs, dès le neuvième siècle, le 
pape Eugène avait lancé l'anathème contre ces jeux homi- 
cides. 



92 CATHERINE DE MEDICIS 

Clouet, peintre et valet de chambre du roi, qui 
fut chargé de mouler en plâtre et en cire blanche 
la physionomie et les mains du défunt (i). 



Selon le désir du roi, Gabriel de Montgom- 
mery ne fut pas inquiété. C'est sans incident 
qu'il passa en Angleterre où il embrassa le pro- 
testantisme et devint le principal agent du 
parti sur la terre britannique. Plus tard, rentré 
en France, il fut le chef des huguenots révoltés 
de Normandie et eut avec le prince de Gondé 
et l'amiral de Goligny des relations secrètes po- 
litiques qui furent bientôt révélées à Gatherine 
de Médicis comme un danger réel pour son au- 



(1) Funérailles du roy Henri II, Roole des parties et somme 
de deniers pour le faict des dits obsèques et pompes funèbres, 
sommes paiées et baillées par M^ Alain Veau, receveur et 
paieur du faict et despence de l'escurie du roy. Ce très 
curieux document, manuscrit composé de vingt-cinq feuillets 
parchemin, relié en maroquin noir avec petits fers argentés, 
fut acheté 200 francs à la vente Alexis Monteil par sir 
J. Th. Philipps, riche amateur anglais. Ce manuscrit avait 
été catalogué à cette vente sous le n^ 2.955. Le comte L. de 
Galembert le publia pour la première fois, avec une intro- 
duction, en 1869, chez Fontaine ; brochure grand in-8 de 
77 p. tirée seulement à 140 exemplaires. 



CATHERINE DE MEDICIS 93 

torité de reine-mère (i). Cette dénonciation ne 
fît qu'augmenter la haine que Catherine avait 
vouée à l'auteur involontaire de la mort de son 
mari. Aussi, après la Saint-Barthélémy, envoyâ- 
t-elle, contre Montgommery, le maréchal de 
Matignon qui assiégea le comte dans son châ- 
teau de Domfront. Attaqué par des forces supé- 
rieures à celles dont il disposait, Tassiégé fut 
obligé de rendre la place. Malgré la capitulation 
qui lui garantissait la vie sauve, Montgommery, 
sur un ordre exprès de la reine-mère, fut arrêté 
pendant son sommeil au château de Domfront, 
dans la nuit du 27 au 28 mai 1674, par six 
gentilshommes de l'armée royale, au nombre 
desquels se trouvaient de Matignon, de Fer- 

(1) Voir, Musée des Archives nationales : V. 50, pièce n» 666 : 
Dépêche secrète écrite sur toile par Louis de Bourbon, 
prince de Condé, et datée d'Orléans, 24 septembre 1562, 
Cette dépêche, adressée aux habitants de Rouen, à Mont- 
gommery et à Bricquenault, contient les instructions du 
prince de Condé relatives aux mesures à prendre en vue du 
siège imminent de la ville de Rouen par l'armée catho- 
lique. 

Musée des Archives nationales : V. 50, pièce no 667. Dépêche 
secrète écrite sur la doublure d'un pourpoint par l'amiral 
Gaspard de Coligny et datée d'Orléans, 25 septembre 15^2. 
Cette dépêche, adressée à Montgommery et à Bricquenault, 
contient également des instructions relatives au même siège 
en formation. {Archives nationales : J. 969, supplément du 
Trésor des Chartes.) 



94 CATHERINE DE MEDICIS 

vaques et de Vassé. Du château de Domfronty 
Montgommery fut bientôt conduit au château de 
Càen, puis à la Conciergerie du Palais à Paris, 
où on l'enferma dans la grosse tour qui porta 
jusqu'à sa démolition le nom de Monlgommery. 
Au sujet de cette arrestation, il est curieux de 
constater une fois de plus la clairvoyance de 
Nostradamus qui avait également prédit cette 
mise en captivité de l'assassin de Henri II : 

Celui qui, en lutte et fer au faict bellique 
Aura porté plus grand que luy le prix, 
De nuict, au lict, six luy feront la pique. 
Et nud, sans harnois, subit sera surpris (1). 

Le samedi 25 juin i574? par arrêt du parle- 
ment de Paris, le comte Gabriel de Montgom- 
mery, monté sur un tombereau, fut conduit en 
place de Grève où il fut décapité et son corps 
mis en quatre quartiers (-2). 

(1) Michel Nostradamus : 3^ Centurie, § 30, édition de 1555. 
Voir aussi Guynaud, p. 122, Dans 6^ Centurie, § 60, impri- 
mée à Lyon chez Pierre Rigaud en 1558, Nostradamus nous- 
indique aussi l'époque à laquelle Catherine quittera le 
deuil de son mari, deuil dont il avait fixé la durée à sept 
années. Or, Catherine quitta effectivement les marques exté- 
rieures de sa douleur, le 1" août 1566 à son retour dun 
voyage qu'elle avait entrepris avec son fds Chaiies IX 
(1559 + 7 = 1566). 

(2) Journal des choses mémorables advenues durant tout le 



HÔTEL de la Reine ^ compofée tant de l'Hôtel 
d*Albret ^ du Terreîn des Filles Pénitentes^ 
que d'autres Maifons acquifes par la Reine 
Catherine de Médias en 1^7^' 

u4 Colonne conftruîte par les ordres de 
Catherine de Médicis, 
J5 Saint Euftache. 
C Chapelle.de la Reine. 




Rue 



tfoirvt 



Honoré 



m CATHERINE DE MEDICIS 



Quoiqu'il en soit des singulières coïncidences 
que présentent les prophéties de Nostradamus 
avec quelques faits historiques, il est certain 
que la prédiction relative à la mort de Henri II 
éleva à son summum la renommée de Tastro- 
logue, et qu'elle assura fermement dans la pen- 
sée de Catherine de Médicis sa croyance aux 
sciences occultes. Elle changea la composi- 
tion de son blason ; sur fond de gueules, ce 
fut d'abord, posée en pal de part et d'autre d'un 
écu, une lance brisée avec ces mots de regret : 
Lacrymae hinc, hinc dolor (i). Puis, elle quit- 
tera les Tournelles qui lui rappellent trop le 
tournois fatal, et s'installera au Louvre. Mais 
un jour qu'à la suite d'une indisposition elle 
consultera celui qui, après Nostradamus, sera 
toute sa vie son principal conseil, c'est-à-dire 
le Florentin Gosme Ruggieri, et que celui-ci 

règne de Henri III, roy de France et de Pologne ; année 1574, 
mois de juin. A Cologne chez Pierre du Marteau, 1673 (pp. 6 
et suivantes). 

(1) Feuillet de Conçues : Causeries d'un curieux, t. II, 
p. 381. Une gravure de l'époque, conservée au cabinet des 
E-ftampes (n» 2, album) représente (sous forme de médaille) 
celte lance brisée symbolique (avec ladite devise). 



CATHERINE DE MEDICIS 97 

lui recommandera de se méfier du dangereux 
Saint-Germain y elle quittera hâtivement le Lou- 
vre placé dans la paroisse de Saint-Germain- 
l'Auxerrois, et fera construire l'hôtel de Sois- 
sons en ayant soin d'y ériger un observatoire 
astrologique (i). Enfin, se plaçant définitivement 
sous la protection des astres qui ont si bien 
édicté le sort malheureux de son époux, elle 
portera des talismans protecteurs, et aura 
comme armes et comme devise, sur fond d'azur, 
une étoile entourée d'un serpent se mordant la 
queue, avec cette phrase précautionnée : Fato 
prudentia major (2) : signe de Saturne, symbole 
cabalistique de Féternelle perpétuation des êtres 
et des choses, qu'elle substituera bientôt à 
toutes ses autres marques personnelles. 

Désormais nous la verrons tout entière subor- 
donnée aux décisions des Régnier, Nostradamus, 
Cosme Ruggieri (3), Oger Ferrier, Gabriel 

(1) H. Sauval : Histoire des anliquitez de Paris ; t. II, p. 213, 
el Michel Félibien : Histoire de la ville de Paris, t. II, p. 1113, 
édition de 1715. Voir le plan reproduit ci-contre, p. 95. 

(2) Feuillet de Conches, Causeries d'un curieux ; t. Il, 
p. 381. 

(3) Honoré de Balzac, Colin de Plancy, Sirdes-Varez et 
Jean Barbot, ont prétendu que Ruggieri le vieux et son fils 
(iOsme avaient joué un rôle capital dans l'établissement du 
t ième astrologique de Henri II. Cette assertion ne repose 

6 



98 CATHERINE DE MEDICIS 

Simeoni et autres liseurs de grimoires, conju- 
rateurs des forces d'outre-tombe. En perdant 
l'époux qu'elle aimait, Catherine de Médicis 
vient de recevoir la plus éclatante et la plus 
douloureuse preuve du pouvoir caché des^ as- 
trologues et magiciens. Pour elle, cet événement 
est, une révélation de Tau-delà. Elle sait main- 
tenant quel est le véritable directeur des con- 
sciences humaines. Elle est convaincue que 
Satan est bien le détenteur des mystérieuses 
puissances qui président à la destinée de l'hu- 
manité et èr ses multiples inclinations de haine 
ou d'amour. Elle ne doute plus que les person- 
nages étranges auxquels elle accorde toute sa 
conHance sont vraiment des privilégiés de la 
sombre inspiration, et qu'ils possèdent sans con- 
tredit la solution du problème de la vie sur la 
terre. 

Aussi les comblera-t-elle de faveurs^ ce dont 
Oger Ferrier lui marquera sa reconnaissance 
en lui dédiant ses Jugements astronomiques sur 
tes nativités, et en développant dans sa dédicace 



s jr aucun document d'archives et pas un seul chroniqueur 
contemporain de la mort de ce roi ne nous a signalé cette 
collaboration des Ruggieri dans la double prédiction de 
Luc Gauric et Nostradamus. 



CATHERINE DE MEDICIS 99 

le plaisir et Tinlérêt que prend la reine à lire 
toutes œuvres philosophiques^ mesmement celles 
qui appartiennent aux haulles cognoissances 
astrologiques, et ce pour cognoislre les biens et 
maux qui des astres, comme causes naturelles, 
proviennent aux humains (i). 

(1) Jugements d'astronomie sur les nativités ou horoscopes, 
par Oger Ferrieb, médecin natif de Toulouze, Dédiés à la 
1res illustre et très vertueuse Princesse ma Dame Catharine, 
Toyne de France ; Oger Ferrier son médecin, humble salut. 
Un vol. in-16 imprimé en .1545, à Lyon, chez Jean de 
Tournes. Voir l'épitre aux pp. 3, 4 et 5. Pierre Rigaud, 
de Lyon, réimprima ce curieux ouvrage en 1625. {Biblio- 
thèque de la Faculté de Médecine, n° 39729.) 



CHAPITRE m 



LA MORT DE FRANÇOIS II, LE SACRE DE CHARLES IX 
ET l'astrologue SIMEONEI 



Le dimanche 17 novembre i56o, c'était/ à Or- 
léans, grande fête en l'honneur de Saint- Aignan, 
évêque sauveur de cette ville au temps d'Attila, 
et qui y mourut en l'an 453. Après avoir touché 
les ëcroûelles, François II et la cour se rendirent 
à la chapelle des Jacobins pour y entendre les 
vêpres. En grande pompe, la cérémonie reli- 
gieuse se déroulait, quand tout à coup, le roi, 
pâlissant, fut pris de frissons nerveux et tomba 
en syncope. On le transporta aussitôt dans ses 
appartements et, la fièvre l'ayant empoigné, les 
médecins constatèreat « la formation d'une 
fistule dans l'oreille gauche ». 



c\thl:rini=; de mkdicis lOl 

Or, la veille, comme le roi avait apparemment 
chassé en bonne santé, des bruits circulèrent, 
déclarant qu'une action criminelle était encore 
la cause de cette subite maladie. Un valet de 
chambre huguenot, disaient les uns, avait em- 
poisonné le roi en mettant dans le bonnet de 
nuit de sa majesté une poudre morbide. D'autres 
accusaient ouvertement le barbier royal, maître 
Amboise, d'avoir versé un poison violent dans 
l'oreille de François II, pendant qu'il lui faisait 
la barbe (i). Mais aucune preuve ne venait con- 
firmer ces dires, et le jeune roi souffrait chaque 
jour davantage, ne parlant plus, mangeant à 
peine. 

Au chevet du malade, Catherine de Médiciset 
les Guises s^étaient installés à demeure pour 
s'épier mutuellement. L'émoi était général et 
tout espoir semblait déjà perdu, lorsque le 20 no- 
vembre l'état du roi devint stalionnaire. L'alarn e 
n'en fut que plus vive dans les esprits politiques. 
François II vivrait-il assez pour achever l'exter- 
mination des l^rétiques et pour enfin débarras- 
ser la chrétienté du prince de Condé qui atten- 
dait son procès en prison? Ou bien allait-il 

(1) De Tnou, p. 835, et Symphorien Guyon, Histoire d'Or- 
léans, t. II, p. 382. 

6. 



102 CATHERINE DE MEDICIS 

mourir et laisser ainsi le triomphe delà lutte au 
parti des parpaillots ? Graves questions que 
posait notamment le duc de Guise. 

Alors, on se souvint qu'un astrologue avait 
jadis annoncé que la mort atteindrait François II 
avant sa dix-huitième année ; et les plus intéres- 
sés s'empressèrent de vérifier le fait en consul- 
tant les textes de Nostradamus (i). En effet, le cé- 
lèbre devin de Salon, avec une précision au moins 
égale à celle apportée dans sa prédiction de la 
mort de Henri II, avait tracé en un bref quatrain 
le programme de la vie et de la mort de Fran- 
çois II : 

Premier fils vesve, malheureux mariage 
Sans nuls enfans; deux isles en discord 
Avant dix-huit ans incompetant âge 
De Tautre près plus bas sera l'accord. 

Pour les inités, cela signifiait clairement que 
le premier fils de la reine-veuve ferait un mal- 
heureux mariage^ sans enfants; que la mort 
r atteindrait avant l'âge de dix-huit ans en met- 
tant deux lies {r Ecosse et l' Angleterre) en désac- 

(1) Dépêche de V ambassadeur Suriano au doge de Venise, 
Orléans, 20 novembre, 1560. Bibliothèque nationale, ma/zuscr// 
du fonds italien, n» 1721, filza 4, fol. 193. {Traduclion inédite 
de M. Léon Marlet.) 



CATHERINE DE MEDICIS 103 

cord^ et qu'enfin^ bien qu'ayant été fiancé très 
jeune^ son frère et successeur (Chartes IX) le se- 
rait encore beaucoup plus tôt que lui [i). Chaque 
courtisan, dit l'ambassadeur vénitien Michieli, 
commente à voix basse et selon ses passions ce 
singulier avertissement (2). 

Indépendamment de la courte vie prédite à 
François II, on commente aussi une seconde 
prédiction du même auteur qui se rattache à 
l'évocation du miroir magique de Chaumont et 
qui, si elle venait à se réaliser, jetterait le 
royaume dans une série de perturbations poli- 
tiques, dont la mort du fils aîné de Catherine ne 
serait que le début : 



(1) Les Oracles de Michel de Nostredame^ etc., par Anatole 
Le Pelletier; t. I, pp. 84 et 85, X^ Centurie, quatrain 39. Les 
Centuries VIII, IX et X n'ont été imprimées pour la pre- 
mière fois qu'après la mort de Nostradamus, peu de temps 
après son décès, en 1566, à Lyon, par Pierre Rigaud. Mais 
il est certain que ces quatrains sont bien antérieurs à cette 
date ainsi que le prouve VÉpître dédicaîoire à Henry 
second rédigée par Nostradamus en vue de l'impression de 
son œuvre qu'il n'avait pu faire exécuter en raison de la 
maladie qui devait l'emporter. François II avait été fiancé 
à l'âge de quinze ans avec Marie Stuart, et son frère, Char- 
les IXjji'en avait que onze quand on décida qu'il épouse- 
rait f^nne) d'Autriche. 

(2) Dépêche de l'ambassadeur Michieli, 20 novembre 1560, au 
doge de Venise. (Bibliothèque nationale, fonds italien précité, 
Traduction inédite de M. Léon Marleî). 



104 CATHKRINE DE MEDICIS 

« Il y a une autre prophétie très répandue en 
France, dit encore Micbieli, prophétie émanant 
de ce fameux devin-astrologue nommée Nostra- 
damus, et qui menace les trois frères^ disant 
que la reine-mère les verra tousTois [i). » 

Devant le déclin rapide de la vie royale, le 
duc de Guise craint de plus en plus que le prince 
de Condé n'échappe au bourreau. Aussi le voit- 
on accablant d'injures les médecins qui soi- 
gnent le roi, s'indignant « contre l'inutilité de 
leur rhubarbe », disant que c'est une honte de 
constater « comment la médecine ne peut rien 
faire de plus pour un roi dans la fleur de l'âge 
que pour un vieuy manant ». Et les malheureux 
médecins perdant tout sang-froid, la colère du 
duc de Guise s'accentue à mesure que se mul- 
tiplient les preuves de leur incapacité. Un jour, 
où la fureur du duc était encore plus violente 
que de coutume, il accusa les médecins et les 
apothicaires d'avoir été payés par le parti pro- 
testant pour empoisonner le roi. Puis, il les me- 
naça de la torture et de la corde, ajoutant que 

(1) Relazione Glovano Michieli, mai 1561. Pour cette prédic- 
tion de Nostradamus relative aux règnes des enfants de 
Catherine, voir VÉpître dédicaloire de Nostradamus à Henry 
second, PI). 149 et 150 du livre d' Anatole Le Pelletier précité, 
t. I, et de Thou, t. X, p. 105. 



CATHERINE DE MEDICIS 105 

« sa patience était épuisée et qu'il allait définiti- 
vement recourir aux grandes sciences, Talchimie 
et la magie, pour connaître enfin la vérité sur 
la santé du roi, et obtenir des devins Tassu- 
rance que son neveu vivrait au moins jusqu'à 
Pâques (i) ». 

Le duc de Guise pouvait, il est vrai, s'armer 
des dires de l'évêque de Viterbo, devin que le 
diplomate anglais, Somers, nous signale comme 
auteur de nombreuses prophéties, et qui avait 
affirmé « que non seulement François II vivrait, 
mais encore qu'il devait posséder Venise et 
Rome, et, en un règne long et prospère, assurer 
la paix de la chrétienté (2) ». 

Catherine, elle, n'espérait plus rien. L'amélio- 
ration survenue dans les souffrances du roi le 
25 novembre, et qui dura jusqu'au 3o du même 
mois, ne lui fit pas prendre le change : « La reine- 
mère, dit l'ambassadeur de Venise, en date du 



(1) Alphonse de Ruble, Antoine de Bourbon et Jeanne dWl- 
bret ; t. II, pp. 427 et suiv. 

(2) Calendars (années 1560 et 1561 ; n"' 767 et 928). Lettre de la 
main de Somers, mais non signée et non datée. Selon les 
études minutieuses de M. Léon Marlet, auquel je dois la tra- 
duction analytique de ce document, cette lettre est du 5 dé- 
cembre 1560, note d'ailleurs portée en manchette sur la 
pièce autographe. 



106 CATHERINE DE MEDICIS 

1*" décembre^ ne peut s'empêcher de laisser voir 
la douleur qu'elle a de l'état du roi, douleur 
d'autant plus grande chez elle à cause du souve- 
nir qu'elle a de beaucoup d'autres pronostics 
faits par les astrologues, tous unanimes à pro- 
phétiser à S. M. une vie très courte (i). « 

Les présages funestes vont, du reste, se multi- 
pliant et c'est l'ambassadeur de Toscane qui 
nous l'apprend par une dépêche expédiée deux 
jours après celle de Suriano : « Le salut du roi 
est très incertain, et Nostradamus, dans ses pré- 
dictions de ce mois, dit que la maison royale 
perdra ses deux plus jeunes membres de mala- 
die inopinée (2). )> 

Dans l'intervalle des deux dépêches, une re- 
chute s'est produite et de plus en plus les pro- 
grès du mal donnent raison aux ministres oc- 
cultes de la reine mère. A côté de Tignorance des 
chirurgiens, parmi lesquels Ambroise Paré seul 
avait proposé une intelligente opération, dont 
l'exécution lui fut systématiquement refusée, 
on pensa ramener plus sûrement le roi à la 

(1) Dépêche de Suriano, 1" décembre 1560. {Traduclion iné- 
dile); manuscvii italie-n déjà cité. 

(2) Dépêche de Tornabuoni au duc de Florence, Orléans, 
3 décembre 1560. [Négociations diplomatiques entre la France 
et la Toscane, t. III, pp. 457 et 428.) 



w 



CATHERINE DE MEDICIS 107 

santé en employant les empiriques et mysté- 
rieux moyens de la thaumaturgie. Processions 
ordonnées, jeûnes et prières publiques, cérémo- 
nies expiatoires, vœux aux saints rédempteurs, 
communions chaque jour répétées, prédications 
et suppliques à l'adresse du Ciel, et offrandes 
nombreuses portées en pèlerinage à Notre- 
Dame-de-Cléry. Mais tout cet ensemble de pieux 
efforts restait stérile. Rien n'arrêtait la marche 
de la mort vers le prince souffrant autour duquel 
s'agitait cyniquement Tâpreté politique des 
Guises et des Bourbons. 

Le lundi 2 décembre, seizième jour de la ma- 
ladie, François II passa plusieurs heures de la 
matinée en syncope. Vers le milieu de la mati- 
née il recouvra la parole, et une abondante éva- 
cuation (( d'humeurs par la bouche et par les 
narines » le soulagea sensiblement. Mais cette 
accalmie signalait bien le commencement de 
1 agonie. L'après-midi fut très agitée et le soir 
du même jour, Suriano écrivait au doge de Ve- 
nise : Le roi esi perdu (1). 

Deux jours s'écoulèrent encore, dans des al- 

{\) Dépêche de Suriano, Orléans, 2 décembre 15(30 ; Biblio- 
thèque nationale. Manuscrit, fonds italien, vol. n" 1722, filza i,, 
fol. 202. 



168 CATHERINE DE MEDICIS 

ternatives de calme et de crises renouvelées. 
Le 4 au soir, avec efforts, il prononça quelques 
paroles, prit un peu d'aliments et s'endormil. 
Le jeudi 5 décembre, il ne s'éveilla pas et mou- 
rut ainsi sans reprendre connaissance (i). Trois 
jours après, le 8 décembre, en un cortège de 
grand apparat, aux flambeaux, sous un dais de 
drap d'or, le prince de la Roche-sur-Yon dépo- 
sait en la cathédrale Sainte-Croix d'Orléans, le 
cœur de François II enseveli dans un vase de 
plomb (2) et, le 28 décembre, le corps était 
transporté à Saint-Denis. 

Un mois s'écoula et la seconde prophétie de 
Nostradamus, relative à la « disparition des 
deux plus jeunes membres de la maison royale », 
vit sa réalisation en la mort du marquis de 
Beaupréau, fils du prince de la Roche-sur-Yon: 
« On a remarqué, écrit Tambassadeur Chanton- 
nay, qu'en un mois sont morts le premier et le 



(1) Dépêches collectives de Giovanni Michieli el de Suriano 
des 3 e/ 6 décembre 1560. Bibliothèque nationale, fonds manus- 
criis italiens, filza 4, fol. 202 et Alphonse de Ruble, t. Il, 
pp. 437 et 438. 

(2) Dépêche de Chanlonnay, ambassadeur d'Espagne, au roi 
Philippe IL Orléans, 9 décembre 1560, Archives nationales, 
K-1493, N° 116. L'ambassadeur d'Angleterre, Throckmorton, 
confirme Chanlonnay : Calendars 1560-438. 



m' 



CATHERINE DE MEDICIS 109 

dernier des membres de la maison royale... Ces 
catastrophes ont frappé la cour de stupeur, 
jointes aux menaces de Nostradamus qu'on 
ferait mieux de châtier que de laisser ainsi ven- 
dre ses prophéties, qui induisent à de vaines et 
superstitieuses croyances (i). » 



Aussitôt François II décédé, Catherine s'était 
impérieusement arrogé le commandement de la 
maison royale. Elle fît fermer les portes du. pa- 
lais, appela sous les armes les compagnies de 
service, convoqua le Conseil privé et déclara 
« que son second fils, Charles de France, duc 
d'Orléans, succédait à son frère sous le nom de 
Charles IX ». 

Pourtant, l'ancienne constitution du royaume, 
qui n'avait pas encore été discutée, attribuait la 
régence au roi de Navarre comme premier 
prince du sang, la reine-mère n'ayant droit qu'à 
la tutelle de son fîls. Mais pour Catherine de 
Médicis, les traditions comptaient peu ; elle vou- 
lait la régence et saurait bien l'obtenir de par sa 

(1) Dépêche de Chanlonnay au roi a'Espogne ; Orléans, 
12 janvier 1561. Archives nationales, K. 149-I, |)ièce n" 27. Le 
marquis de Beaupréau était dans sa quatorzième année. 



]10 CATHERINE DE MEDICIS 

diplomatie et de par son autorité. Après avoir 
liabilement reculé l'ouverture des Etats-Géné- 
riux, elle sut s'attacher Antoine de Bourbon et 
lui faire abandonner tout projet de régence, en lui 
o itroyant la Lieutenance-générale du royaume. 
Puis, elle pensa du même coup abattre la pré- 
somption et l'orgueil des Guises, en rendant la 
liberté au prince de Gondé. Aussitôt que dans 
l'entourage de la reine-mère on eut connais- 
sance de ce projet de délivrance du prince, 
Mme de Saint- André fit parvenir secrètement 
au prisonnier cette curieuse lettre d'espoir ré- 
digée en un systèine de langage convenu : 

« Croyez-moi, Prince, préparez-vous à 
la mort. Aussi bien vous sied-il mal de 
« vous défendre. Qui veut vous perdre est 
ami de l'État. On ne peut rien voir de 
« plus coupable que vous. Ceux qui 
par un véritable zèle pour le roi 
« vous ont rendu si criminel étaient 
honnêtes gens et incapables d'être 
« subornés. Je prends trop d'intérêt à 
tous les maux que vous avez faits en 
« votre vie pour vouloir vous taire 
que Tarrôt de votre mort n'est plus 
« un si grand secret (t). » 

1 Mysièms d.'s Sciences occultes ; pp. 231 et 212 (ann 'e ^560. 



CATIlERINi: Dli MKDR.IS lU 

Lorsqu'on lit cette lettre exactement dans 
Tordre des lignes où elle est écrite, il semble 
qu'elle ne laisse aucun doute sur les sentiments 
haineux que Mme de Saint- André paraissait 
manifester à l'égard du prince de Condé. xMais il 
n'en est plus de même, lorsqu'on donne à ce 
document son véritable sens, en ne lisant que 
les lignes impaires de cette étrange missive, et 
qui seules sont ici guillemettées pour en faciliter 
la juste lecture. 

Ainsi, Catherine semble nettement se décla- 
rer pour le parti huguenot. De plus, elle aban- 
donne les cantiques pour chanter le Psaume VI 
qui est celui de la pénitence, pendant que le 
peuple, connaissant les opinions nouvelles de 
la reine-mère, clame sans crainte la chanson hu- 
guenote d'Eustorgde Beaulieu: 

C'est la Prestraille et Mryr.erie 
Laquelle abuse tant de gens 
Si aux Luthériens on crye 
Disant : « Qu'on les cruciiie 
Ou gelle aux charbons ardenls !» 
C'est la Prestraille et Moynerie 
Laquelle abuse tant de gens('l). 

(1) Le Chansonnier huguenol du seiz'ème siècle, piibhé avec 



112 CATHERINE DE MEDICIS 

L'appui ouvertement assuré du roi de Navarre, 
du prince de Gondé et surtout des trois Ghas- 
tillons, jointe l'assentiment déguisé de plu- 
sieurs autres provinciaux, faisaient de la Ré- 
forme un parti d'autant plus redoutable, qu'à la 
fin de i56o il personnifiait déjà la résistance aux 
excès du pouvoir des Guises. Gatherine Tavait 
bien compris. Très imbue du scepticisme italien 
dont son parent Strozzi avait été le novateur, 
elle évitait de se prononcer franchement entre 
les deux religions. Pour l'instant, la Réforme 
étant triomphante, Catherine était donc en appa- 
rence pour la Réforme. Gela ne l'empêchait pas 
de recevoir les conseils du GardinaldeTournon, 
avec la mcme complaisance et la même atten- 
tion qu'elle accordait aux paroles de l'Amiral 
de Goligny. 

Mais cette situation imprécise n'était pas sans 
danger pour la sécurité royale. Dans les pro- 

prélace par HENRY-LÉONAno Bohdier ; Paris, Tross, 1870, 
2 vol. in-16. Voir à la p. 169 du t. I, celle chanson composée 
par EusTORG de Beaulieu, poêle et musicien huguenot. 
Celait un ancien prêtre, de mœurs assez légères, paraît-il. 
Il fut ensuite organiste dans son pays natal en Limousin; 
puis, embrassant avec ardeur la Réforme, il se réfugia à 
Genève en 1537. Tout en étant souvent assez triviales, ses 
poésies et chansons contiennent quelques traits acérés qi i 
ne sont certes pas sans valeur. 



^ J/C^^^ 






fLJyt^ éy/tf;?w^^/t^> cr~UK«^-^^^ dMjffi^^£>fxih ^^c-tfK 







Horoscope de Gaston d'Orléans 
dr:2SSÉ par Cosme Ruggieri. 

[Man. B. N.) 



114 CATHERINE DE MEDICIS 

viaces les seigneurs, voyant le double jeu de la 
reine-mère, avaient pris parti selon leurs ten- 
dances religieuseset se divisaient en deux armées 
toujours prêtes à se combattre. Nombreux furent 
les mouvements tumultueux que causa cette po- 
litique « des parties égales » entreprise par 
Catherine. On en vit un terrible exemple à 
Paris, dans le combat de la maison du Pavaniei% 
puis à Beauvais où la ridicule comédie du car- 
dinal Odet de Chastillon donna naissance à une 
atroce sédition. 

Dans ces troubles, Catherine avait remarqué 
que c'était toujours le parti catholique qui joiiait 
le rôle d'agresseur, et que toujours aussi, les 
séditieux avaient trouvé un appui parmi les 
hautes personnalités des corps anciennement 
constitués. Elle en conclut bientôt que l'ancien 
clan n'était ni moins puissant, ni moins prompt 
à l'attaque ou à la défense, que l'était le clan 
nouveau des calvinistes. En outre, si par la sa- 
tyre et les psaumes, les huguenots ne ménageaient 
ni leurs sentiments de haine pour les papistes 
ni leur admiration pour l'inclination de Cathe- 
rine et de son fils vers la Réforme, les prédica- 
teurs catholiques proclamaient véhémentement 
que le changement de religion du roi et de la 



CATUEIUNE D1-: MI::i)ICIS 



reine-mère déliait tous les sujets du serment de 
fidélité (i). Le danger était donc imminent pour 
la monarchie et pour la paix du royaume. 

Après mûres réllexions, Catherine ne vit qu'un 
remède à cette situation : faire sacrer son fils 
au plus tôt et avec éclat, espérant qu'une céré- 
monie brillante raviverait les traditions reli- 
gieuses du royaume, et resserrerait les liens entre 
le jeune roi et son peuple. Ce sacre, depuis long- 
temps annoncé, avait été ajourné pour raisons 
d'économies. Catherine décida qu'étant donnée 
, l'urgence, on s'arrangerait aisément des finances 
en réalisant sur d'autres points les économies 
désirées, et aussitôt elle consulta son astrologue 
Gabriel Simeoni pour savoir quel jour serait le 
plus favorable à la célébration de cet important 
événement. Mais Gabriel Simeoni était en Italie, 
à Chiaramonte, et Catherine ne recevant pas la 
réponse aussi promptement qu'elle le désirait, 
convoqua les principaux seigneurs du royaume 
pour le sacre qu'elle fixa au ii mai de l'année 
i56i. « Nous irons à Reims, écrit-elle à l'évêque 
d^ Limoges, faire sacrer le roi mon tils le ii® 

(1) Dépiche de Suriano au doge de Venise, 16 mai 1561. 
Bibliothèque nationale, manuscrit fonds italien, filza 4 bis, 
fol. 26. 



116 CATHERINE UE MEDICIS 

du may et, au partir de là, luy ferons faire son 
entrée à Paris les premiers jours de juin (i). » 

Dans l'entourage de la reine on commentait 
cette résolution dont on devinait aisément le 
but : « On dit ici secrètement, écrit Trockmorton, 
que la reine-mère, sentant qu'elle n'est plus en 
faveur, a formé le projet de faire sacrer le roi 
aussitôt que cela se pourra. Elle pense ainsi 
pouvoir combattre les difficultés qu'on tire de 
la minorité du roi et donner à ce dernier une 
autorité suffisante pour choisir les gouverneurs 
qui lui conviendront, ainsi qu'il a été fait pour 
son frère décédé. Dans ce dessin, on commence 
à lui attribuer l'idée de transporter la cour à 
Reims, le lundi quinze jours après Pâques (2). «. 



(1) Lettres de Catherine de Médicis à Vévêque de Limoges et 
à l'ambassadeur de France en Espagne : 27 mars 1561 (t. I, 
pp. 176-178). 

(2) Dépêche de l'ambassadeur anglais Trockmorton à la reine 
d'Angleterre, Paris, 31 mars 1562. Document analysé dans 
Calendars of state papers, 15Q1-1ÔQ2, n° 77. Ainsi que me l'a 
fait très justement observer M. Marlet, cette dernière phrase 
de Trockmorton : le lundi quinze jours après Pâques, ne 
peut signifier : « le lundi quinzième jour du mois après 
Pâques » qui fut le 6 avril de l'année 1561, car le 15 avril 
fut un mardi. Cela veut donc dire le lundi qui suit Pâques 
de quinze jours, c'est-à-dire le 21 avril; ce en quoi Trock- 
morton fait erreur, puisque nous avons la preuve que Ca- 
therine avait fixé, dans le même temps, le sacre au 11 mai. 



CATHERINE DE MEDICIS 117 

Mais soudain, au moment des dernières dis- 
positions, Catherine fut assaillie par de nouvelles 
alarmes. Les résultats des observations astro- 
logiques de Gabriel Simeoni n'arrivaient toujours 
pas, et l'on parlait d'une conspiration ourdie par 
les Guises qui devait éclater à Reims pendant 
la cérémonie (i). L'astrologue avait peut-être 
prévu ce complot?... Fallait-il reculer la céré- 
monie ?. . . Questions auxquelles semble répondre 
Tornabuoni qui, le 3i mars, informait le duc 
de Florence « que le sacre se fera à Reims, 
puis l'entrée du roi au mois de juillet », seule- 
ment (2). 

Peu àpeu ces bruits de conspiration s'éteignent; 
Catherine reprend confiance, lorsque subite- 
ment elle tombe malade et se croit empoison- 
née (3). Enfin, le mieux se faisant sentir et toute 
crainte de mort étant écartée, la reine-mère 
reprend son projet. Ne recevant toujours rien de 
Gabriel Simeoni, le 2 avril elle se décide à don- 



(1) Lettre de Chanlonnay au roi Philippe II cFEspagne, 9 avril 
1561. Archives nationales, K. 1494, pièce n*' 75. 

(2) Dépêche de Tornabuoni au duc de Florence, Paris, 
31 mars 1561. Négociations entre la France et la Toscane, 
i. III, pp. 448 et 449. 

(3) Lettre de Sechelles, 1" mai 1561, Calendras, 1561-63, et 
Alph. de Ruble, t. III. 



118 CATHERINE DE MÉDICIS 

n3r des ordres, en vue des préparatifs du sacre^ 
au grand écuyer, M. de Boisy : 

« Le sacre du roy aura lieu le mois prochain , 
où il est bien raisonnable que vous vous trou- 
viez avec une partie des gentilshommes de sa 
maison. Toutefois, il ne nous a semblé, attendu 
la dépense et le long séjour qu'ils ont fait à 
Orléans, qu'il fût à propos de les faire tous 
venir, mais seulement 25 de chaque compagnie... 
puis ils retourneront chez eux... Les autres figu- 
reront à l'entrée du roy à Paris (i). » 

Après de nouvelles hésitations basées sur de 
nouveaux troubles religieux, tels que les prêches 
huguenots pratiqués publiquement dans les 
appartements de l'Amiral, le renouvellement de 
la défense déjà faite aux protestants de se réunir 
secrètement, l'arrestation de plusieurs ministres 
du culte calviniste, dont un chez Mme de Hoye, 
la cour arriva enfin à Reims le i3 mai. Une 
entrée solennelle du roi fut suivie des réceptions 
d'usage, et le i5, jour de l'Ascension, le sacre 
fut célébré en une magnificence extraordinaire> 
où le prince de Condé et l'amiral de Coligny 

(1) LeUre de Catherine de Médicis : A M. de Boisy, grand 
écuyer el capitaine des Cent Gentilshommes du roy mon fils. 
Fontainebleau, 2 avril 1561. 



CATI.IERINE DE RIEDICIS \]*f 

s'étaient fait excuser- (i). Pendant la durée de la 
messe qui fut célébrée par le cardinal de Lor- 
raine, et des offices divers qui durèrent depuis 
huit heures du matin jusqu'à une heure de 
l'après-midi, Charles IX ne cessa de pleurer, 
« et ses larmes, dit Pierre Mathieu, furent prises 
pour présages des calamités effroyables dont 
son règne fut comblé (2) ». 



La réponse de Gabriel Simeoni n'arriva à 
Paris que dans les premiers jours de juin, alors 
que tout était terminé. Cependant, par le début 
de cette réponse, il semble que l'astrologue 
avait averti Catherine d'un retard probable dans 
renvoi de sa prédiction. Quoi qu'il en soit, voici 
ce très curieux document traduit in extenso pour 
la première fois : 

(1) Le président Jacques de Montagne, dans l'un des deux 
fragments qui nous restent de sa grande Histoire de l'Eu- 
rope (1559 à 1587), a raconté avec beaucoup de détails le 
sacre de Charles IX'. Ce récit, qui contient l'exposé de faits 
introuvables dans d'autres documents, a été publié pour la 
première fois par le baron Alphonse de Ruble, en appendice 
du t. III de son important ouvrage sur Antoine de Bourbon 
et Jeanne dAlbrel, p. 354. 

(2) Pierre Mathieu, Histoire de France, t. I, p. 243, et 
Alph. de Huble, t. III, p. 98. 



120 CATHERINE DE MEDICIS 



« Madame 

« J'ai écrit il y a deux jours longuement à 
V. M. dans l'attente (comme celui qui n'a pas 
beaucoup à* dépenser pour les hostelleries) de 
quelque bonne et prompte résolution d'Elle. Par 
ce moyen m'est venu le désir (pendant lequel 
j'ai toujours étudié pour vous être agréable) de 
savoir quel serait le jour le plus opportun pour 
le couronnement du roi, et pour vous fortifier. 
Il ne se peut trouver un jour plus heureux que 
le 16 juin pour la raison qu'un astrologue con- 
naîtra sur la jointe figure que je vous envoie 
en même temps que l'heure qui sera à peu près 
midi, quand il lui sera posé la couronne sur la 
tête. D'autre part, ayant donné un coup d'œil à 
la révolution de cette année, je trouve que la 
Lune est arrivée à l'emplacement de Saturne^ 
Saturne occupant celui du Soleil^ du Lion et de 
Mercure. Mars, uni à la Lune, a changé du Dra- 
gon el du Lion l'aspect quadrilataire de la Lune] 
de sorte que cette année il résulte de grands 
ennuis pour la cause de la religion, qui auront 
un grand développement, d'autant plus que aSo- 
turne sortira vers les premiers jours de juillet 
vainqueur du Cancer. 




Michel Nostradamus. 
{Gravure du temps.) 



122 , CATHERINE DE MEDICIS 

« Et si certains hommes terrestres se mo- 
quent des choses du ciel, les accidents néan- 
moins réalisés éclairciront entre aujourd'hui 
et deux ans leur incrédulité. 

« Madame, je prie Dieu qu'il accorde bonheur 
et longue vie à V. M. et à tous ses royaux en- 
fants, et pendant qu'Elle peut, par le bien, pro- 
pager la bonté et la vertu de ses serviteurs, ne 
naissant pas tous les jours, ni ne vivant éternel- 
lement, ainsi faits beau contraste. (Quelle heure 
a V. M.?) 

« De Chiaramonte le dernier jour de mai i56i. 

(( De V. M. très chrétienne, 

« Votre humble serviteur, 

u Gabriel Simeoni (i). » 

Une figure horoscopique accompagne ce texte 
astrologique, ainsi qu'une légende latine où Si- 
meoni répète ce qu'il a précédemment exposé en 
langue italienne. Chacun, à la cour de France, 
interpréta selon ses sentiments le retard apporté 
dans l'envoi de l'astrologue et l'impatience de 
Catherine à célébrer le sacre de son fils. Peut- 

(1) Bibliothèque nationale, Manuscrii italien, fonds Dupiiy, 
vol. n° 588, fol. 174 et 176. (Traduction inédite.) Voir fac- 
similé de Toriginal italien, p. 165 du présent ouvrage. 



CATHERINE DE MEDICIS 12;^ 

être que Gabriel Simeoni, doutant de la valeur de 
ses pronostics, avait-il trouvé ce subterfuge pour 
s'éviter une critique qui, plus tard, aurait pu être 
soulevée par Timprécision de sa prédiction?... 

Quant à Catherine, elle attachait certaine- 
ment une grande importance aux conseils de ses 
magiciens. Mais dans son esprit et dans sa mé- 
thode gouvernementale, les prévisions diploma- 
tiques passaient bien avant les prévisions astro- 
logiques. Et si elle se décida à ne pas attendre 
davantage la consultation de Simeoni, c'est uni- 
quement pour les raisons politiques que Suria- 
no nous expose très clairement, c'est-à-dire Fim- 
portante question des Etats-Généraux dont Ca- 
therine redoutait l'assemblée pour sa régence. 

« Cette question des États, dit l'ambassadeur 
du doge, actuellement donne à penser à la séré- 
nissime reine qui, pour les déranger dans leurs 
projets et ne pas les laisser se réunir à l'époque 
fixée en mai, a imaginé cet expédient (le sacre), 
grâce auquel les États sont ajournés en août, et 
à cette époque se fera une autre prorogation 
sous un autre prétexte (i). » 

(1) Dépêche de Suriano au doge de Venise, Paris, 29^ mars 
l')61. Bibliothèque nationale, fonds italien, manuscrit n° 1721, 
filza 4, fol. 270. Traduction inédite. 



124 CATHERINE DE MEDICIS 

Ainsi, Catherine de Médicis sut-elle, toute sa 
vie, subordonner adroitement les questions de 
conscience aux questions de gouvernement. Et 
lorsque les sciences occultes ne lui donnaient 
pas satisfaction, les machinations politiques, 
plus rapides et plus sûres, mais aussi plus per- 
ceptibles à l'attention de ses adversaires, lui 
fournissaient des moyens avec lesquels toujours 
elle triomphait. L'un des chapitres suivants va 
nous fournir une nouvelle preuve de cette tac- 
tique étrange et parfois criminelle. 



CHAPITRE IV 



LE MIROIR MAGIQUE 



En complément des études du ciel, des cal^ 
culs génésiaques et généthliaques, le devin, tout 
comme le déiste prêtre, possède son temple, 
son sanctuaire pour la célé'bration des grands 
mystères ésotériques. Quittant les clartés as- 
trales, il pénètre dans l'ombre du laboratoire. 
Et là, en même temps qu'il change de méthode, 
l'astrologue change de nom. Il devient le sorcier, 
le magicien noir qui, après avoir fixé le cours 
et le rôle des constellations infinies, va com- 
mander aux monstres impudiques et sterco- 
raires qui peuplent les ténèbres. 

Le magicien Henry Khunrath, qui vivait à 
Tépoque de Catherine de Médicis, nous a laissé 
la description du cabinet d'un initié à la haute 



126 CATHERINE DE MEDICIS 

science (i), installation faite selon les règles 
prescrites par les rituels hermétiques. Par ce 
document, nous savons donc dans quel entou- 
rage matériel les magiciens de Catherine opé- 
raient les prodiges qui subjuguaient cette reine 
au château de Ghaumont-sur-Loire (2). 

(1) Henry Khunrath, Amphilhealram sapientiae aeternae 
solius veraechristiano. Kabalesîicum diuinomagicum, physico- 
chlmicum, tealrinum cathoUcum. Un vol. petit in-foL 
publié à Hanovre en 1609, avec portrait de l'auteur. Stanis- 
las de Guaita, qui possédait un exemplaire de ce très rare 
ouvrage, avait acheté en 1893 à mon ami regretté Anatole 
Claudin un curieux manuscrit relatif aux travaux de Khun- 
rath et intitulé : Henry Khunrath, Opuscules hermétiques et 
théosophiques avec des commentaires de Jean Arnaut et plu- 
sieurs autres traités dalcfiymie. Le tout collafionné et recueilly 
par le S" Louis Charpentier, berger à Montevrin, s. d. En 
1907, ce manuscrit, in-t de 300 pages relié parchemm, passa 
dans la Bibliothèque Chacornac et catalogué 50 francs. En 
1906, Lucien Bodin possédait également un manuscrit de 
lun des livres de Khunrath, traduit par Charles Gueydon : 
La Moelle de la Philosophie hermétique. 

(2) Ce château historique appartient aujourd'hui au prince 
Amédée de Broglie. 

Cette scène de magie est la seule qui, à notre connais- 
sance, ait en lieu au château de Chaumont-sur-Loire. Mris 
en ce qui touche les actes mystérieux de la reine-mère, au 
Château de Blois, nous avons plus de détails. La Saussaye, 
notamment, nous dit qu'en cette demeure historique, sur la 
vieille tour dite du Poix, Catherine avait fait élever un petit 
édifice avec ces deux mots latins gravés au-dessus de la 
porte d'entrée : Uraniœ sacrum. (Camille Piton, le Quartier 
dei Halles, p. 387.) Cette tour, dans les caves de laquelle fut 
tué le cardinal de Guise, existe encore, et sa dédicace à la 



CATHERINE DE MEDICIS ]27 

En une chambre, sans ornement, et mollement 
éclairée d'un jour imprécis que laissent passer 
comme à regret des vitrages verdatres, c'est 
l'alignement attendu des bocaux et flacons con- 
tenant les produits nécessaires aux combinai- 
sons et mélanges du grand-œuvre. Adroite, sous 
la hotte de la cheminée, sont placés l'athanor 
alchimique, l'œuf philosophique, les creusets et 
l'alambic de Porta. Une fontaine, pour la purifi- 
cation quotidienne de l'opérateur, est à côté de 
l'autel aux pantacles et aux exorcismes é loca- 
teurs. Sur la table de travail, au milieu des 
livres, de* l'encrier, de la plume, du couteau et 
des parchemins vierges destinés aux pactes, 
une tête de mort rappelle au magicien l'ultime 
but de toute chose. Et dans une cassolette, 
brûle sans cesse le parfum qui chasse les mau- 
vais esprits et les fantômes nuisibles : intime 
mélange de menthe et de palma-christi. Au mur 
de gauche, voisinant avec des devises hébraï- 
ques, et en face des cercles goétiques tracés sur 

déesse de Fastronomie indique suffisamment à quel usage 
cette construction était destinée. De plus, au mois d'août 
de l'année 1555, Nostradamus s'était rendu au château de 
Blois, sur l'ordre de Henri II, pour y dresser Ihoroscope 
« des enfants de France >». [Histoire et chronique de Pro- 
vence de César de Nos!^radamus', Lyon, 1614, in-fol., p. 776.) 



128 CATHERLNE DE MEDICIS 

le sol, le miroir magique offre son regard d'acier 
clair aux yeux du consultant. Enfin, Tastrolabe, 
la baguette divinatoire et ordonnatrice, le 
sablier, la balance, le pentacorde, la sphère ar- 
millaire et un fauteuil de repos, complètent cet 
ameublement austère et mystique. 

Telle était l'installation qui caractérisait l'ap- 
partement que Catherine consacrait aux travaux 
de ses magiciens dans le château de Chaumont- 
sur-Loire, local situé dans le corps de bâtiments 
compris entre la chapelle et l'aile gauche de 
cette royale demeure, et que visita André Féli- 
bien vers 1680 : 

« Il y a plusieurs appartemens dans tous ces 
bastimens, dit cet auteur. Dans les plus anciens 
e^t une grande salle, fort spacieuse, qui a vue 
du costé de l'eau. La tradition veut que la reyne 
Catherine ait demeuré dans ce chasteau et que 
c'estoit dans cette mesme salle, qu'elle tenoit 
ses assemblées quand elle conféroit avec les 
astrologues et les devineurs ausquels elle avoit 
beaucoup de foy. Il y a, comme j'ay dit, encore 
quelques meubles qui luy ont appartenu... (i) » 

(1) André Félibien : Maisons royalles des bords de la 
Loire. Mémoires pour servir à l'histoire des maisons royalles 
et bastimens de France par André Félibien, sieur des Avaux. 



CATHERINE DE MÉDICIS 129 



Des expériences d'occultisme auxquelles Ca- 
therine a pu se livrer dans cette salle en compa- 
gnie de ses familiers nécromants, les chroni- 
queurs nous ont principalement conservé le 
détail d'une évocation pratiquée à l'aide du mi- 
roir magique, divination que les occultistes 
intitulent Catpplromantie ou encore Cristalo- 
mande (i). 

Bien que rédigés en 1681, ces mémoires ne furent édités 
qu'en 1878 par J. Baur. Les manuscrits d'André Félibien 
sont conservés à la Bibliothèque nationale. 

(1) La divination par le miroir magique se pratiquait, et 
se pratique encore de diverses manières. Ordinairement les 
personnages évoqués apparaissaient à un enfant auquel on 
avait bandé les yeux, et qui tournait le dos au miroir. A la 
page 252 de son Incrédulité et mescréance du sortilège plai- 
nemenl convaincue, Paris, 1622, P. de l'Ancre nous dit ; 
'< P\ thagore avoit un miroir d'acier bien net, dans lequel il 
escrivoit tout ce que bon luy sembloit, et le monstroit par 
après à la lune estant dans son plein. Et fichant la pointe 
de sa vue sur icelle, il pouvoit lire tout ce qui estoit con- 
tenu dans le miroir, de même que s'il eust esté escrit dans 
la lune mesme. » Le même auteur nous assure que, lors 
de la guerre du Milanais entre François le-- et Charles- 
Quint, un magicien apprenait, par ce système, aux astro- 
logues parisiens les événements qui se déroulaient en la 
ville de Milan. P. de l'Ancre nous décrit encore un mode 
d'évocation qui se rattache au miroir magique, et que 
Cagliostro devait utiliser plus tard avec tant de succès pour 
Marie-Antoinette : « On prend, dit cet auteur, une fiole de 
verre ventrue remplie d'eau, dans laquelle une femme grosse 
ou un enfant pur peuvent voir certains nuages et figures 
au lieu de responces. >» On dispesait des flambeaux allu- 



13} CATHERINE DE MEDICIS 

« On a ouï-dire à la mareschàlle de Raiz, 
rapporte Simon Goulart, que la royne Catherine 
de Médicis, désireuse de sçavoir que devien- 

més autour de cette bouteille, et Ton invoquait les esprits 
des personnages à voix basse ; le magicien interprétait et 
traduisait les figures et les nuages divers cfui apparais- 
saient dans la bouteille aux yeux du voyant. (P. 153 de 
l'ouvrage précité.) Aujourd'hui, en Chine et dans certaines 
autres contrées orientales, on trouve encore des miroirs 
magiques extrêmement curieux. Ils sont ordinairement cons- 
truits de matières mauvaises conductrices de l'électricité, 
et ornés de prières magiques et sentances kabbalistiques. 
Aux Indes, les fakirs s'en servent pour fixer la volonté de 
leurs consultants dans les évocations des morts, et au 
seizième siècle, Thomassi Boroneilo nous explique comment 
les magiciens italiens opéraient ce genre de divination en 
sinspirant des sorcières thessaliennes qui écrivaient, sur 
leurs miroirs magiques, des oracles avec du sang humain et 
en lisaient les réponses sur le disque pâli de la lune. Notons 
aussi que l'historien grec Pausanias nous parle d'un 
miroir magique qui était conservé au temple de Cérès et 
que les malades venaient consulter en foule pour obtenir, 
de la déesse, leur guérison. De nos jours, des occultistes 
comme S. Bell, J. Baissac, Badaud, Papus, Sédir, et autres, 
ont repris ce genre d'évocation et en ont développé la théorie 
magique dans quelques ouvrages peu répandus. Mais le 
savant docteur Charcot a su nous démontrer comment les 
sensitifs, sous l'influence de la suggestion, voient, en elTet, 
très nettement, des images suggérées, non seulement dans 
les miroirs magiques, mais sur de simples feuilles de papier 
blanc qui en tiennent facilement lieu. Darwan a décrit et 
commenté savamment ces troublantes expériences du doc- 
teur Charcot, qui nous permettent de supposer qu'au 
seizième siècle la suggestion était parfaitement connue 
des magiciens de Catherine de Médicis, et que cette reir.c 



CATIIEULNE DE MliDICIS 13| 

droyent ses enfants, et qui leur succéderoit, 
celui qui entreprenoit de l'en asseurer, les luy 
(it voir en un miroir représentant une salle en 
laquelle chascun fit autant de tours qu'il devoit 
régner d'années. Et que le roy Henri III ayant 
fait les siens, le duc de Guise le traversa (le mi- 
roir), comme un éclair. Puis le prince de Na- 
varre se présenta qui en fit vingl-deux tou s et 
incontinent après disparut (i). » 

Outre Simon Goulart, plusieurs autres chro- 
niqueurs du temps, tel que Nicolas Pasquier (2), 
nous confirmèrent cette cirleu.se scène de sor- 
cellerie. Mais si, à part quelques variantes dans 



a fort bien pu, de bonne foi, assister à des apparitions de 
figures royales en un miroir magique, figures à elle suggé- 
rées par Nostradamus. 

(1) Simon Goulart, Trésor d'histoires admirables, t, IV, 
p. 438. 

(2) Voir : Œuvres u'Estienne Pasquier, conseiller et avo- 
cat général du roy en la Chambre des comptes de Paris. Ses 
lettres, ses œuvres meslées et les lettres de Nicolas Pasquier, 
/ils d'Estienne; t. II, lib. I, p. 1057. Publié en 2 voluiTies 
in-4, à Amsterdam, en 1723, Parmi les ouvrages modernes 
qui ont rapporté très succinctement cette expérience du 
miroir magique de Catherine, voir Colin de Plancy et 
P.-L. Jacob : Curiosités des Sciences occultes, p. 2H0. Paris 
Garnier frères, 1885. Notons encore un ouvrage peu commun : 
VEspion Turc, Paris, 1710, p. 3.53 du t. IV, ouvrage qui 
contient la curieuse gravure représentant celle scène 
d'évocation, et reproduite ici, p. 159. 



132 CATHERINE DE MEDICIS 

les détails, tous sont d'accord sur le fond du 
prodige réalisé au château de Chaumont-sur- 
Loire, les uns l'attribuèrent à Nostradamus, 
tandis que les autres nous présentèrent le Flo- 
rentin Gosme Ruggieri comme en étant Fauteur. 
Selon les recherches du célèbre occultiste mo- 
derne, Sédir, ce serait bien Nostradamus qui 
fut l'opérateur dans cette expérience restée célè- 
bre ; et, en sa qualité d'initié à la haute science, 
Sédir nous expose la formule magique étable 
par le devin de Salon, pour la réussite de ces 
pratiques mystérieuses qui appartiennent aux 
rites les plus élevés et les plus purs du genre, 
qu'enseignent les Clavicules de Salomon (i). 

(1) Les Kabalistes et magiciens considèrent Salomon 
comme leur maître. Ils déclarent que Dieu lui ayant donné 
la sagesse, il lui avait, en même temps, communiqué toutes 
les connaissances du monde visible et invisible. Entre 
toutes ces sciences, Salomon possédait la plus sublime, 
c'est-à-dire l'art d'évoquer les esprits et de leur com- 
mander. En outre, les occultistes prétendent que Salomon 
possédait un anneau talismanique qui lui donnait plein pou- 
voir sur tous les êtres intermédiaires entre Dieu et les 
hommes. Cet anneau existe encore, enfermé dans le tom- 
beau de Salomon, et quiconque le posséderait deviendrait le 
maître incontesté du monde. Seulement on ignore l'empla- 
cement de ce fameux tombeau. Il ne reste du grand maître 
de la magie, que des formules, des règlements rituels et des 
figures magiques, contenus dans divers ouvrages attribués 
à Salomon et notamment dans les Véritables Clavicules de 



CATMKHLNE DK MUDICIS 18S 



xKprès avoir préparé une plaque rectangulaire 
d'acier luisante, bien polie, et légèrement con- 
cave, Nostraclamus écrivit aux quatre coins de 
ce miroir, avec du sang de pigeon mâle, les 
noms suivants (i) : 



Jéhovah I --' Elouim 

MlTTATRON I Ad ON A Y 



Puis il mit le miroir dans un linge neuf, très 
blanc. Et un soir du commencement de l'année 



Salomon, in-18 imprimé à Memphis, chez Alibeck VÉgyptien. 
Voir le manuscrit de la Clavicule de Salomon ; Bibliothèque 
de TArsenal, n° 76, p. 28. 

(1) Jéhovah : nom de Dieu chez les Hébreux. — Mit- 
tatron ou Mithras : dieu des anciens Perses sous le nom 
duquel on adorait le feu. — Elohim : génie infernal deja 
vingt-sixième légion de Furfur, comte des enfers. — Adonay 
ou Adonis, monstre qui, selon Wierus, remplit certaines 
fonctions dans les incendies terrestres. Wierus ou Jean 
Wier, était un célèbre démonographe brabançon, élève 
d'Agrippa. On lui doit les cinq livres Dex prestiges des Démons, 
traduits en français par Jacques Grevin de Clermont, 
Paris, 1509, un volume in-8. 



134: CATHERINE DE MEDICTS 



i56oj alors qu'au-dessus des bois de Cliaumont 
s^élevait lentement la lune nouvelle, à la pre- 
mière heure qui suivit le coucher du soleil, 
Nostradamus s'approcha de Tune des fenêtres du 
laboratoire, l'ouvrit et, regardant le ciel avec 
dévotion, il dit : 

« Éternel î Roi éternel ! DieuinefTable qui 
4^vez créé toutes choses pour l'amour de moi, et 
par un jugement occulte pour la santé de 
l'homme, regardez-moi, Nostradamus, votre 
serviteur très indigne, et considérez mon in- 
tention pure. Daignez m'envoyer votre ange 
Anael sur ce miroir, qui mande, commande et 
ordonne à ses compagnons et à vos sujets que 
vous avez faits, ô Tout-Puissant, qui avez été, 
<[ui êtes et qui serez éternellement. Qu'en voire 
nom ils prient et agissent dans la droiture pour 
m'instruire et me montrer ce que je leur deman- 
derai. » 

Dans un réchaud de fer neuf^ sur des char- 
bons ardents, Nostradamus jeta ensuite dj 
safran oriental qui est le parfum convenable à 
Anael, et toujours priant, il njouta : 

« Et ce, pour ce, et avec ce que je verse devant- 
vôtre face, ô mon Dieu, qui êtes tri-un, bon et 
dans la plus sublime élévaticn, qi;i voyez au- 



CATHERINE DE MEDICIS 13.> 

dessus des chérubins et des séraphins, et qui 
devez juger les sièL-les par le feu, exaucez-moi ! » 
En prononçant ces paroles sacramentelles,. 
NostraJamus parfumait le miroir, le balançant 
de la main droite au-dessus du réchaud d'où 
s'élevait en colonne vaporeuse la fumée odo- 
rante du safran, et répétait par trois fois Forai- 
son précédente à l'Eternel. La prière terminée,. 
le magicien souffla trois fois sur le miroir et dit 
encore : « V^enez, Anael (i), venez, et que ce soit 
votre bon plaisir d'être en moi par votre volonté 
au nom du Père Tout-Puissant +, au nom du 
Fils Très-Sage +? ^u nom du Saint-Esprit très 
aimable +• Venez, Anael, au nom du terrible 
Jéhovah ! Venez, Anael, par la vertu de l'immorr 
tel Elohlm ! Venez, Anael, par le bras du tout- 
puissant MiTTATRON ! Venez à moi-, Nostradamus, 
et commandez à vos sujets qu'avec amour, joie 
et paix, ils fassent voir à mes yeux les choses 
qui me sont cachées. Amen. » Puis il revint vers 
la fenêtre, éleva à nouveau les yeux vers le ciel 
étoile et prononça cette conjuration suprême. 
« Seigneur Tout-Puissant, qui faites mouvoir 

(1) A remarquer que ce mot Anael est gravé sur la mé- 
daille talismanique de Catherine de Médicis reproduite ici 

p. 187. 



13; CATIIEUINE DE MEUICIS 

tout ce qui vous plaît, exaucez ma prière, et que 
mon désir vous soit agréable. Regardez, s'il 
vous plaît, Seigneur, ce miroir et bénissez-le, 
afin qu'ANAEL, Tun de vos sujets, s'arrête sur lui, 
avec ses compagnons pour satisfaire Nostrada- 
mus, votre pauvre et misérable serviteur, 
Dieu béni et très exalté de tous les esprits cé- 
lestes, qui vivez et régnez dans l'éternité des 
bons. Ainsi soit-il. » 

Lentement, Nostradamus fit le signe de la 
croix sur sa poitrine et sur le miroir, signe qu'il 
répéta durant quarante-cinq jours, chaque soir à 
la même heure crépusculaire. Enfin, le quarante- 
cinquième jour, à la nuit tombante, Tange Anael 
apparut au magicien sous la forme d\in bel 
enfant blond qui le salua et lui annonça que 
ses compagnons et lui étaient prêts à obéir aux 
ordres de Nostradamus. Celui-ci remercia la 
vision, et la pria d'apparaître dans le miroir ou 
d'y faire apparaître, chaque fois qu'il en mani- 
festerait le désir, les personnages dont il évo- 
querait l'esprit et les formes. 

Le lendemain, vers minuit, Catherine de Médi- 
cis fut enfin admise dans le laboratoire. A l'aide 
d'une croix de bois bénite et carbonisée à sa plus 
grande extrémité, Nostradamus avait tracé sur 



CATHERINE DE MEDICIS 137 

le sol le double cercle ma^iqae^ selon les données 
contenues dans le grimoire du pape Honorius, el 
disposé sur cette figure géométrique: un crâne 
humain^ un libia^ une lampe à la/lamme pâle et 
un chat endormi du sommeil magnétique. Le 
miroir avait été placé sur le manteau d une che- 
minée dans laquelle brûlaient des bûches sau- 
poudrées de safran oriental. Accroupi au milieu 
du double cercle, la baguette magique en main 
droite, Nostradamus fit la conjuration d'appel : 

« Au nom de Dieu Tout-Puissant en qui nous 
vivons, nous nous mouvons et avons notre être, 
je supplie humblement l'Ange, gardien de ce 
miroir, d'apparaître! » 

Ces paroles prononcées avec énergie, l'ange 
Anael parut. Catherine de Médicis lui dit tout 
ce qu'elle attendait de lui, et Nostradamus 
ajouta : 

« Je supplie humblement l'esprit de ce miroir 
de me favoriser d'une vision qui m'intéresse 
et qui m'instruise (i). » 

(1) SÉDiB, les Miroirs magiques; divination, clairvoyance, 
etc. Paris, Ghamuel, 1895, une brochure in-S ; et Papus, 
Traité de magie pratique, pp. 308 et suiv. Voir aussi: J. Baib- 
SAC, Histoire de la Diablerie chrétienne, s. d., in-8, chap. IV; 
l'es Miroirs magiques, et l'ouvrage de L. Bell: le Miroir de 
Cagliosiro, Paris, 1860, in-12. 

8. 




CosJfÉ 
D'après une estampe de la coll 




llUGGIERI. 

f tion William Reygser (xvii* s. 



140 CATHERINE DE WEDICIS 

Attentive, Catherine regardait le miroir. Tout 
d'abord, la plaque d'acier poli ne lui révéla qu'un 
intérieur mystérieux, aux angles sombres et im- 
précis. Puis, trois fantômes, vagues dans leurs 
contours se dessinèrent en un épais brouillard. 
Du geste et de la parole, Nostradamus, touchant 
de sa baguette le miroir, reprit la conjuration, 
et jeta de nouveau du safran oriental dans le 
foyer. Alors il s'opéra soudain un changement 
sur la plaque métallique. Les lignes des per- 
sonnages s'accentuèrent, les épaisses vapeurs 
se déchirèrent et Catherine de Médicis reconnut 
ses trois fils. Se mouvant sur le miroir, chacune 
des ombres esquissées accomplit un nombre res- 
pectif de tours le long des murs de la salle figu- 
rée. François II tourna une fois seulement, 
Charles IX quatorze -et Henri III quinze fois. 
Mais brusquement Catherine tressaillit : elle 
venait de reconnaître Henri de Bourbon qui, 
vingt et une fois, fit le tour de la salle. Nostra- 
damus dit à la reine effrayée que son troisième 
fils mourrait assassiné et que Henri de Bourbon 
succéderait, en effet, pour une durée de vingt 
et une années, au dernier des Valois. 

Une à une les ombres disparurent et, dit 
Nicolas Pasquier, a après cela tout-es choses se 



CVTIIEHINE DE MEDICIS 141 

rendirent invisibles, pour ce que la reyne-mère 
n'en voulut voir davantage (i) ». 

Le miroir étant redevenu vide et net, Nostrada- 
mus prononça par trois fois la formule de renvoi : 

« Au nom du Dieu Tout-Puissant, je congédie 
de ce miroir tous les esprits qui y sont descen- 
dus; et que la paix de Dieu soit pour toujours 
entre eux et moi (2). » 



Catherine était satisfaite. Elle était enfin 
fixée sur le sort réservé à la couronne de France. 

(1) Lettres de Nicolas Pasquier, t. II, p. 1057 et Biblio- 
thèque nationale, L. B. 34-827! Voir aussi : les Châteaux de 
Blois restauré, Chambord, Chauniont, Amboise et Chenon- 
ceaux, par Alphonse Baillargé. (Un volume in-8, publié à 
Blois en 1852, p. 79.) 

(2) SÉDiR, les Miroirs magiques ; adaptation : Formule de 
Nostradamus, p. 56. Selon Sédir, Nostradamus n'était pas 
astrologue, mais bien voyant, et toutes ses prophéties lui 
furent présentées par le miroir magique (p. 44 de la bro- 
chure précitée). C'était bien aussi l'opinion de Théodore 
Bonys qui, dans son étude publiée en 1806, essaie de prouver 
que Nostradamus n'était qu'un voyant extralucide. Les bâti- 
ments du château de Chaumont-sur-Loire dans lesquels 
était compris le laboratoire des magiciens de Catherine, 
et où se déroula la scène sus-décrite, ont été démolis au 
dix-huitième siècle par Berlin de Vaugien. (Voir : Catherine 
de Médicis et le château de Chaumont, par Joseph de Croy, 
1897, p. 28.) 



U2 CATHERINE DE ^lEDICIS 

Pour elle, pour son autoritaire orgueil, il y avait 
encore bon nombre d'années de royauté assu- 
rée. C'est tout ce qu'elle demandait au destin. 

Cette scène d'évocation, connue du cardinal 
de Lorraine, peu à peu vit sa réalisation. Fran- 
çois II, en i56o, vivait son unique tour de salle ^ et 
Charles IX accomplira les sept prévus. Quant 
au troisième fils de Catherine, le duc d'Anjou, 
qui devait régner sous le nom de Henri III, il 
était ouvertement le favori de sa mère. Profitant 
de la mort du connétable de Montmorency, elle 
lui fit décerner en 1067, avec le titre de lieute- 
nant-général du royaume, le commandement 
des armées françaises. Deux ans après éclataient 
les batailles de Jarnac et de Moncontour, qui 
donnèrent un certain lustre au nouveau lieute- 
nant-général^ lustre évidemment dû aux réels ta- 
lents de son coadjuteur, le maréchal deTavannes. 

Or, Nostradamus étant mort à Salon peu de 
temps après la fameuse évocation de Chaumont, 
Cosme Ruggieri succéda en titre à l'auteur des 
Centuries, dans la confiance mystique de Ca- 
therine. Lorsque le courrier, qui vint annoncer 
la victoire de Moncontour, arriva la nuit au 
Louvre, après être venu si rapidement qu'il avait 
crevé trois chevaux, on éveilla la reine-mère 



CATHERINE DE MEDICIS 143 

pour lui faire part de l'heureux message. Sans 
aucune manifestation de surprise, elle dit: Cesi 
bien \ je le savais. En effet, dit Brantôme, la 
veille au soir elle avait raconté à son entourage 
le triomphe de son fils et quelques circonstances 
de la bataille gagnée, détails que venait de lui ré- 
véler son astrologue-magicien Cosme Ruggieri. 

Cette victoire, plutôt que la valeur personnelle 
du duc d'Anjou, valut à ce prince d'être choisi, 
au cours de l'année iDyS, par les Polonais pour 
succéder à leur roi^ Sigismond-Auguste, mort 
sans héritier mâle. Lors du départ du duc, Ca- 
therine, se rappelant l'oracle du miroir magique^ 
dit à son fils : Allez ; vous reviendrez bientôt (i). 
Effectivement, il revint Tannée suivante, appelé 
au trône par la mort prématurée de son frère, 
événement dans lequel la magie devait encore 
jouer un rôle prépondérant et cyniquement tra- 
gique. 

Au commencement de l'année 157:?, Catherine 
apprit qu'un astrol-ogue du Béarn ave it égale- 
ment prédit à Henri de Navarre qu'il seroit un 
jour roy de France (2). Elle entra aussitôt dans 

(1) Colin de PLANCY,art. Universités occultes, pp. 673 et suiv . 

(2) Mémoires de Maximilien de Béthiine, duc de Sully, t. I, 
p. 14r% ÉdiLioii de Londres, lUr ; 8 vol. in- 12. 



144 CATHERINE DE MEDICIS 

une grande fureur, et dès cet instant, elle voua 
une baine mortelle au futur Henri IV. Au mas- 
sacre de la Saint-Barth(Memy, Charles IX ayrnt 
sauvé Henri de Navarre en l'obligeant à se rendie 
à la messe, Catherine, quelques jours après la 
trop mémorable hécatombe, consulta Cosme 
Ruggieri sur ce qu'elleclevait faire du Béarnais 
et du.prince de Condé. Cosme répondit qu'ayant 
dresse les horoscopes de ces deux personnages, 
il pouvait assurer Sa Majesté qu'ils ne cause- 
roient aucun trouble dans le roijaume (i). 

Vingt-six ans plus tard, cette réponse habile, 
dont a pu témoigner La Noue, devait heureuse- 
ment servir l'astrologue florentin. Et nous ver- 
ronsplus loin comment, grâce à cette affirmation, 
Cosme Ruggieri échappa à la hache du boir- 
rcau. 

(1) Pierre Bayle, t. II, p. 983, note C. En ce qui concerne 
rétude de divers phénomènes psychiques et psychologiques 
se rattachant à ceux des miroirs magiques, voir les docu- 
mentés travaux de Courtier, Youriévitch, Bergson, Brissaud 
et d'Arsonval, sur les Visions de lueurs dans J'obscurilé par 
les sensitifs^ et publiés par l'Institut général psycholot^içue de 
Paris. 



CHAPITRE V 



DES CHEFS PROTESTANTS 



La seconde paix conclue entre catholiques et 
protestants fut signée le 28 mars i568. Par allu- 
sion aux deux plénipotentiaires de cour chargés 
d'en établir les conclusions, le seigneur de Ma- 
lassis et Biron qui était boiteux, cet accord 
fut surnommé la Paix boiteuse et mal assise. 
Ceux qui ne s'y fièrent pas, dit le Laboureur, 
furent les plus habiles. Défait, celte paix ne fut 
qu'une fiction. Pas de marque de réconcilia- 
tion, pas de calme dans les esprits; les deux 
partis s'étaient séparés en un sombre silence 
dans lequel chacun concentrait ses rancunes, 
n'osant ouvertement démontrer la colère res- 

9 



]4o CATHERINE DE RIEDICIS 

sentie par rimposition de cette entente factice. 

Le prince de Gondé, l'amiral de Goligny, 
d'Andelot et les autres chefs calvinistes, s'étaient 
respectivement retirés dans leur résidence par- 
ticulière, sentant bien qu'en ces temps de trahi- 
son et de surprise, la dispersion constituait une 
importante chance de salut. Ceci n'empêchait 
pas le parti huguenot de rester solidement ho- 
mogène, decontinuerle groupement de ses forces 
matérielles et morales, de poursuivre son prosé- 
lytisme et de réunir des fonds pour parer aux 
éventualités prochaines. 

De son côté, le parti papiste n'était pas dans 
l'inaction. Les chaires retentissaient plus que 
jamais d'invectives contre les sectaires de Cal- 
vin, de réflexions séditieuses contre la paix, d'ex- 
hortations violentes à la rompre au plus tôt. 
Hautement, les prédicateurs déclaraient que gar- 
der la foi aux hérétiques était une faute par 
devant Dieu, et qu'au contraire c'était une action 
pieuse, juste et utile pour le salut du monde^ 
que de les massacrer sans merci. De tels dis- 
cours firent promptement naître de nouveaux 
désordres publics et des assassinats dont les vic- 
times ne purent jamais obtenir une équitable 
justice. Le poignard, le feu, le poison, la magie 



CATHERINE DE MEDICIS HT 



noire, les supplices lents en des cachots secrets, 
les attaques sournoises et les pillages dans les. 
campagnes affolées, recommencèrent leur œuvre 
exterminatrice. De ces odieux moyens, les au- 
teurs calvinistes prétendent qu'en trois mois 
plus de dix mille personnes moururent. Sans- 
doute, leur calcul n'est pas exempt d'exagéra- 
tion, et les protestants ne sauraient nier qu'il 
y eut tout autant d'excès fanatiques et cruels de 
leur côté, que dans le camp catholique. 

Ce qui notamment gênait le parti huguenot^ 
c'est qu'à la cour, il n'avait plus aucune person- 
nalité capable de le tenir au courant des combi- 
naisons d'attaque ou de défense que préparait 
le gouvernement de Catherine. La reine-mère, 
ayant reconnu le résultat négatif de quelques- 
uns de ses projets exécutés, conclut qu'il y avait 
des indiscrétions commises au sein même du 
Conseil d'Etat. C'est alors qu'elle institua un 
conseil particulier duquel, selon Davila, sortit, 
peu de temps après, le Conseil privé. De cette 
intime assemblée, fut exclu le chancelier de 
l'Hospital, disgracié soudain comme étant le 
plus suspect de tous les conseillers royaux. 
Ceux qui suivirent le chancelier, désirant ardem- 
menfle maintien de la paix et l'exhortation à la to- 



Ii8 CATHERINE DE MEDICIS 

lérance, furent, bien que catholiques, considérés 
comme un groupe depolitiques dangereux pour la 
couronne, et dont le sacrifice de conscience n'ap- 
parut, aux yeux de Catherine et des doctrinaires 
de cour, que sous la forme d'une monstrueuse 
trahison à l'égard de Dieu et à l'égard du roi. 
L'intransigeance du cardinal de Lorraine di- 
rigea l'action principale de la reine-mère contre 
les chefs protestants. En revanche, c'est sur ce 
prélat que les réformés firent tomber la majeure 
partie de leurs chansons satiriques et pamphlets, 
la morgue de leurs apologies et complaintes, 
et tous les éclats de leurs protestations contre 
la paix violée et contre la gente catholique. 
Dans ces haineux couplets, les plus doux qua- 
lificatifs donnés au pape, sont ordinairement ceux 
de Bélitre, Ante- Christ et la Troisième corne 
décrite par Saint-Jean. Un sonnet du temps, 
reprochant au clergé l'entassement de ses ri- 
chesses, critique en ces termes les pèlerinages, 
les reliques et le purgatoire : 

Aux mailles de tels rets et à telles pentières (l), 
Vous prîtes des Comtés et des Duchés entières, 
Vous approchant des Rois beaucoup plus que des cieux! 

(1) Pentières, sorte de filets. 



CATHERINE DE MEDICIS 141) 

Dans ces insolentes manifestations, ni le roi, 
ni la reine-mère n'étaient oubliés. Au contraire, 
Catherine et Charles IX constatèrent bientôt 
que la part d'injures, à eux destinée, n'était certes 
pas la moindre. Catherine en fut tout particu- 
lièrement indignée; et c'est alors qu'elle décida 
de ne plus rien ménager pour l'anéantissement 
des chefs parpaillots. 

Déjà, au commencement de décembre i563, 
elle avait tenté de se débarrasser du prince de 
Condé, en lui faisant adresser, par l'intermédiaire 
du fameux parfumeur René Bianchi, une pomme 
de senteur empoisonnée. Mais Le Cros, chirur- 
gien du prince, qui était présent lors de la ré- 
ception du cadeau royal, se doutant du danger 
que cette pomme contenait en raison de sa pro- 
venance, l'enleva des mains de Condé et la porta 
à ses narines. Subitement le visage du chirur- 
gien enfla d'une inquiétante façon. On renouvela 
l'expérience sur un chien auquel on fit manger 
des raclures de cette pomme, mélangées avec 
du pain. A peine l'animal avait-il goûté à cette 
préparation, qu'il tombait raide mort (i). Devant 

(1) Discours merveilleux de la vie, actions et déportements 
de la reyne Catherine de Médicis, etc. (p. 29, édition de 1836.) 
Bibliothèque du Sénat. 



150 CATHERINE DE MEDICIS 

cet insuccès, Catherine avait, sans doute, jugé 
prudent de laisser passer quelque temps avant 
de renouveler sa tentative. Mais cinq années 
s'étant écoulées, et les événements politiques 
-exigeant une reprise de défense sérieuse, elle 
pensa qu'elle ne devait plus avoir d'hésitation 
pour la suppression des dirigeants huguenots. 
Le prince de Gondé s'était retiré dans son 
château de Noyers, en Bourgogne. L'amiral de 
Coligny vint l'y rejoindre aussitôt qu'il eut con- 
naissance des plans de la reine-mère. Pendant 
que les deux chefs délibéraient surPétatde leurs 
affaires, Tavannes recevait l'ordre d'arrêter en 
premier le prince de Gondé. Mais Tavannes s'ar- 
rangea de telle manière que leprince fut averti des 
mesures qui se tramaient autour de sa personne. 
Aussi, sans encombre, à la fm du mois d'août 
i568, Gondé, sa famille, l'Amiral et la femme de 
d'Andelot, sortaient-ils de Noyers, se dirigeant 
vers la Rochelle qu'ils atteignirent sains et saufs 
le 18 septembre. A la complaisance de Tavannes 
s'était jointe, en cours de route, celle du maréchal 
de Vieilleville, chargé de poursuivre les fugitifs. 
Quand ils furent à la Rochelle, Gondé écrivit à 
Vieilleville une plaisante lettre par laquelle il lui 
fit part de la sécurité de sa personne et des siens. 



CATHERINE DE MÉDICIS ]5l 

«J'ai tant fui que j'ai pu, dit-il, et que terre 
m'a duré : mais étant à la Rochelle, j'ai trouvé 
la mer; et d'autant que je ne sais nager, j'ai été 
contraint de tourner la tête et de regagner la 
terre non avec les pieds, mais avec les mains, 
et me défendre de mes ennemis (i). » 

Les plans dressés par Catherine, pour l'arres- 
tation des autres chefs de la Réforme, ne furent 
pas mieux couronnés de succès. Le cardinal Odet 
de ChastiJlon, bien que porteur de larobe rouge, 
était un militant'protestant dont l'ardeur égalait 
cellede son frère TAmiraL II vivait alors avec Isa- 
belle de Hauteville, damedeLoré. Rencontrée à la 
courdeMargueritedeFrance,duchesse de Savoie, 
le cardinal vécut d'abord maritalement avec elle. 
Mais ce concubinage, joint à d'autres désordres 
de sa vie, lui ayant valu d'être cité à la barre du 
Saint-Office en i56o, par une bulle que la reine 
Catherine refusa de reconnaître, ce prélat s'était 
décidé à épouser Isabelle le i'^' décembre 1064. 

Malgré son apostasie, Odet de Ghastillon avait 
conservé la robe et le titre de cardinal. Il goû- 

(1) Mémoires de Condé, ou recueil pour servir à VHistoire 
de France, contenant ce qui s'est passé de plus mémorable 
dans ce royaume sous les règnes de François II et de 
Charles IX ; nouvelle édition, Paris, 1741, six vol. in-4. Voir 
passini ce recueil de pièces curieuses. 



152 CATHERINE DE MEDICIS 

tait une existence luxueuse en son domaine 
épiscopalbeauvaisien, lorsqu'au commencement 
de septembre i568, étant à Sénarpont, dans la 
Somme, il eut connaissance'de Tarrestalion ou de 
l'assassinat qui se préparait contre lui. Ceux qui 
l'en avertirent étaient précisément les affidés de 
cour auxquels Catherine avait confié la mission 
de supprimer le cardinal. Sans hésitation, le 
5 septembre i568, Odet de Chastillon écrivait la 
lettre ci-après au roi : 

« Ayant eu plusieurs avertissements, coup sur 
coup, des entreprises qui étaient dressées contre 
moi et aguets qui se faisaient pour me surprendre 
au premier jour en ma maison par ceux-mêmes 
qu'on avait employés pour être de la partie, et 
connaissant que ceux qui se sont de longue main 
déclarés mes ennemis et ceux de tous les miens, 
avaient aujourd'hui le glaive de la puissance en 
la main, j'ai été contraint, à mon grand regret, de 
quitter ma maison et ce royaume. Pas de dé- 
fiance du roi. Ne pas le prendre à mal ; il est natu- 
rel à l'homme de chercher à préserver sa vie (i) . » 

A la même date, le cardinal écrivait une lettre 



(1) Correspondance du cardinal de Châîillon, publiée par 
M. LÉON Marlet. Paris, Picard, 1885, un vol. in-8, IP par- 
tie, pp. 89 et 90. 



CATHEaiNE DE MEDICIS 153 

semblable à la reine-mère, lettre clans laquelle 
le prélat-apostat, tenant peut-être à se ménager 
les bonnes grâces de Catherine, déclare « con- 
naître son naturel enclin de soi-même à toute 
bonté et droiture, et éloigné d'injustice et de 
cruauté (i) ». Mais Thistoire ne nous dit pas si 
Catherine prit cette phrase comme étant l'expres- 
sion d'un réel sentiment, ou comme une mor- 
dante ironie ? 



« Donc, dit Henri Estienne, se voyant frustrée 
de ce côté, suivant son axiome : 

Il faut tout tenter et faire 
Pour son ennemy desfaire, 

la reine-mère continue la guerre. Et considé- 
rant que son appétit de dominer ne pouvait 
prendre racine qu'en arrachant du monde ceux 
qui la costoyaient de trop près à son gré (2), 
lâcha les procédés purement humains de sup- 
pression, pour recourir aux moyens magiques. 
Le 8 juin 1569, don Frances de Alava, ambas- 
sadeur d'Espagne à Paris, écrivait au roi, son 

(1) LÉON Marlet, ouvrage précité^ IP partie, pp. 90 et 91. 

(2) Discours merveilleux de la vie, actions et déporîements de 
la reyne Catherine, p. 29. 



154 CATHERINE DE MEDICIS 

maître, les très curieux détails que voici, sur un 
mode d'envoûtement peu commun : 

« J'ai tiré au clair une chose extrêmement 
plaisante et par laquelle, alors même qu'on n'en 
aurait pas d'autre témoignage, on pourrait juger 
ce que valent ceux d'ici. C'est assavoir qu'un 
Italien a offert à la reine de France de tuer le 
prince de Gondé, l'Amiral et d'Andelot, dès le 
temps où elle était encore à Paris. Enfin, on a 
accordé un tel crédit audit Italien, qu'il y a six 
mois (décembre i568), il a été enfermé en une 
chambre avec un ouvrier allemand que ledit Ita- 
lien a amené de Strasbourg. Cet Allemand a fait 
faire trois figures d'hommes de bronze, de 
la taille du prince de Condé, de PAmiral et d'An- 
delot, pleines de vis aux jointures et à la poi- 
trine, pour les ouvrir et fermer, et pour tenir les 
deux bras fortement adhérents, ainsi que les 
cuisses, le visage regardant en haut, les cheveux 
très longs et les pointes des cheveux dressées. 
Tous les jours, ledit Italien ne fait que regarder 
ia nativité des trois personnages susdits et son 
astrolabe, et serrer et desserrer les vis (i). » 

(1) Dépêche de Don Frances de Alaua, ambassadeur d'Espagne 
à Paris, au roi d'Espagne ; Paris, 8 juin 1569. (Archives natio- 
nales, K. 1514, n° 119.) Traduction inédite de M. LéonMarlet. 



CATHERINE DE MEDICIS 155 

Mais cet envoûlemeni d'airain n'avait sans 
doute que de très lents effets, contre lesquels 
s'impatientait la reine-mère. Trois mois aupara- 
vant, à Jarnac, le i3 mars 1669, Catherine avait 
eu soin de devancer le résultat demandé à l'art 
magique. La jambe cassée d'un coup de pied de 
cheval, Condé combattit longtemps entouré par 
les gardes du duc d'Anjou, frère du roi. Ren- 
versé de son cheval, il se battit encore ayant 
un genou à terre, et ne se rendit que lorsque ses 
forces épuisées ne lui permirent plus de défense. 
En se rendant, on lui avait promis la vie sauve. 
Mais, Montesquiou, capitaine des gardes du duc 
d'Anjou, survint et, sachant qui était ce prison- 
nier, lui fît lâchement sauter la cervelle, d'un 
coup de pistolet. « Condé, dit Brantôme, avoit 
été secrètement recommandé à plusieurs favoris 
de Monseigneur et quelques autres (1). » 

Des ordres avaient, en effet, été donnés pour 
n'épargner aucun des calvinistes distingués. 
C'est ainsi que le fameux Stuartj meurtrier du 
connétable Montmorency, à Saint-Denis, égale- 
ment prisonnier à Jarnac, fut, après la bataille, 
tué à coups de poignard. D'autres périrent de la 

(1) Œuvres de Brantôme ; édition Lalaunne, t. IV, p. 347. 



15G CATHERINE DE MEDICIS 

même façon, froidement assassinés. El La Noue, 
qui devait être du nombre de ces victimes, ne 
dut la vie qu'à son ancien camarade, le capi- 
taine Martigues. 

Catherine de Médicis était alors malade à 
Metz ; et c'est là qu'au cours d'une nuit de fièvre, 
selon Marguerite de Navarre, elle avait, dans 
un songe, vu par avance la réalisation de ses 
vœux touchant la mort de Gondé : 

i( Dieu protège particulièrement les grands... 
dit Marguerite de Navarre, il leur donne par de 
bons génies quelques avertissements secrets des 
accidents qui leur sont préparés soit en bien, 
soit en mal. 

« La reine Catherine, ma mère, étant dange- 
reusement malade à Metz, et ayant autour de 
son lit le roi Charles, ma sœur et mon frère de 
Lorraine et force dames et princesses, elle s'écria 
comme si elle eût vu donner la bataille de Jar- 
nac : Voyez comme ils fuient I Mon fils a la 
victoire!... Voyez-vous dans cette haie le prince 
de Condé mort?.., » 

« Tous ceux qui étaient là, la croyaient dans 
le délire; mais la nuit d'après, M. de Losses 
lui en apportant la nouvelle : Je le savais bien, 
dit-elle, ne Vavais-je pas vu devant-hier?... » 



CATHERINE DE MEDICIS 157 

Alors on reconnut bien que ce n'était pas rêverie 
de la fièvre, mais un avertissement particulier 
que Dieu donne aux personnes illustres et rares, 

« Pour moi, conclut cette reine galante, 
j'avouerai n'avoir jamais été proche de quelques 
signalés accidents, ou sinistres, ou heureux, 
sans que je n'en aie eu quelque avertissement ou 
en. songe, ou autrement (i). » 

Revenant à l'envoûtement d'airain. Don Fran. 
ces de Alava écrivait au roi d'Espagne, qu'indé- 
pendamment des blessures que Condé avait 
reçues au combat de Jarnac, l'action magique 
des vis manipulées par l'envoûteur italien et son 
acolyte allemand sur la statue de bronze figu- 
rant ce prince s'était manifestée par une série 
de marques singulières, visibles sur le corps du 
défunt: « Quand est mort Condé, ajoute cet am- 
bassadeur dans sa dépêche précitée, on dit 
qu'on a vu des marques nettes à sa cuisse, dès 
qu'il était mort. » 



Débarrassée du prince, Catherine n'attendit 
pas plus pour d'Andelot les eîTets de l'envoûte- 

(1) Cit. du comte de Ségur dans sa Galerie morale et poli- 
îiqiie, t. II, p. 356, Des Songes, Paris, 1819. 



158 CATHERINE DE MEDICIS 

ment, qu'elle ne les avait attendus pour Condé. 
D'Andelot était un très sincère huguenot, au ca- 
ractère loyal et généreux, qui avait su s'attacher 
fermement Tamitié et la confiance de tous les 
religionnaires. C'était donc une importante per- 
sonnalité dans le parti calviniste, que Catherine 
avait intérêt à anéantir au plus tôt. L'envoûtement 
d^airain n'agissant pas, la reine-mère eut cette 
fois recours au poison: « M.d'Andelotestmortà 
Saintes, dit un avis anonyme adressé le lo mai 
1569 à l'ambassadeur d'Angleterre. D'après les 
apparences, on croit qu'il a été empoisonné (1). » 

Neuf jours plus tard, Catherine et Charles IX 
ne se contiennent plus de joie. Ils ont eu officiel- 
lement connaissance de la mort de d'Andelot, 
exactement survenue à Saintes le 7 mai; à la 
date du 19, Catherine écrivait ce qui suit à Four- 
quevaux, ambassadeur de France en Espagne : 

« La nouvelle de la mort de d'Andelot nous a 
fort réjouis. J'espère que Dieu fera aux autres, à 
la fin, recevoir le même traitement qu'ils méri- 
tent ('2) . » 



(1) Calendars, 1659-70, n« 25:t. Voir aussi Bouchet : Preuves 
de Vhisloire de la Maison Coligny, pp. 118 et suivantes. 

(2) Lettres de Catherine de Médicis, t. III, p. 211, Monceaux, 
19 mai 1569. 



160 CATHERINE DE MEDICIS 

A la même date et au même ambassadeur, 
Charles IX écrivait de son côté tout l'enthou- 
siasme qu'il éprouvait devant cette dispari- 
tion : 

« Mon frère, le duc d'Anjou, m'a averti que 
d'Andelot était mort, qui m'a été confirmé de 
plusieurs endroits. J'espère que Notre-Seigneur, 
pour la querelle duquel nous combattons, nous 
assistera pour nous donner moyen de venir à 
bout du reste qui est cause de tant de maux de 
la chrétienté (i). » 

Norris, ambassadeur d'Angleterre à la cour 
de France, n'omet pas de signaler, dans une dé- 
pêche du 27 mai 1569, « la grande rumeur qui 
règne à Paris, à cause d'un Italien-Florentin qui 
s'est vanté d'avoir empoisonné M. d'Andelot et 
fait également boire un breuvage toxique à 
l'Amiral (2). » 

La Mothe-Fénelon, ambassadeur de France à 
Londres, eut beau protester contre cette dépê- 
che de Norris, et déclarer à la reine d'Angleterre 

(1) Lettres de Charles IX, à Fourqaeuaux, ambassadeur de 
France en Espagne, publiées par C. Donais; Paris, Picard, 
éditeur, 1897, 1 vol. in-8. Voir cette dépêche, pp. 209 et 210. 
Monceaux, le 19 mai 1569. 

(2) Calendars, dépèche de Norris datée de Paris, 27 mai 
1569. 



CATHERINE DE MEDICIS 101 

que l'annonce de ces empoisonnements n'était 
qu'une calomnie lancée contre Catherine de Mé- 
dicis, personne « n'abandonna la certitude de ce 
qui était advenu audit sieur d'Andelot, lequel 
ayant été ouvert s.'est trouvé empoisonné et qu'il 
s'en suivra bientôt la semblable épreuve des aul- 
tres ». En outre, La Mothe-Fénelon écrit à Cathe- 
rine qu'à la cour d'Angleterre l'émoi est tel « que 
depuis cela, l'on a ordonné je ne sais quoi de 
plus exprès en l'essai accoutumé du boire et du 
manger de la reine, et on a ôté aucuns Italiens 
de son service (i) ». Quant à lord Hansdon, il a 
confiance qu'on vengera la « déplorable mort du 
prince de Condé et le cruel assassinat de d'An- 
delot, mort empoisonné par un Italien chargé 
de cela par la reine-mère (2) ». Cependant que 
don Frances de Alava maintient toujours son opi- 
nion sur Y envoûtement cf airain^ et qu'il affirme 
pourd'Andelotce qu'il affirmait pour Condé, c'est- 
à-dire « la présence des marques du sortilège, 
également visibles sur le corps de d'Andelot ». 
Qui était-il donc ce sorcier italien- florentin 

(1) Correspondance diplomatiqae de La Molhe-Fénelon, t. II, 
pp. 16 et Ï7. Cette dépêche, adressée à la reine-mère, est 
datée de Londres, 10 juin 1569. 

(2) Dépêche de Lord Hansdon, datée de Paris, 14 juin 1569 
[Calendars, n» 300, années 156i>-70). 



162 CATHERINE DE MEDICIS 

que l'unanimité désignait comme agent secret 
de la reine-mère ? Les documents n'indiquent 
rien de précis à cet égard ; mais il est permis 
d'avancer que c'est sans doute le fameux Cosme 
Ruggieri, que nous retrouverons d'ailleurs plus 
tard dans semblables besognes. Le 4 juin 1569, 
l'ambassadeur anglais Norris signale la pré- 
sence du sorcier italien à Lyon, et le 12 du 
même mois, cet agent diplomatique nous dit 
« que M. d'Alençon, deuxième frère du roi, a 
reçu des lettres du roi portant que l'Amiral a 
fait tirer à quatre chevaux, à Saintes, un person- 
nage de la suite du duc d'Alençon, qui, ayant 
été reçu par d'Andelot sous prétexte de service, 
l'a empoisonné, suborné à cet efîet par M. de 
Martigues. Le duc de Deux-Ponts, ayant aussi 
découvert une trahison secrète dans son camp, 
a de même fait exécuter quatre Français (1) ». 



Wolfgang de Bavière, duc de Deux-Ponts et 
fils de Louis II, venait de pénétrer en France pour 
joindre ses forces à celles de l'amiral de Coligny . 

(1) Dépêches de Norris, Paris, 14 juin 1569 et de La Mothe- 
Fénelon, Londres, 28 juin 1569. 



CATHERINE DE MEDICIS ir,3 

Il s'était emparé de la Charité; et après avoir 
passé la Loire le 20 mai, se disposait à réunir 
son armée à celle des protestants du Poitou. 
C'est dans les premiersjoursde juin que le duc 
de Deux-Ponts déjoua le complot tramé contre 
lui, et dont Norris nous parle dans sa dépêche 
précitée. Mais les hommes de confiance de la 
reine-mère tenaient sans doute à honneur de 
réparer au plus vite cet échec ; aussi allaient-ils 
bientôt réussir. 

Le 10 juin, le. duc de Deux-Ponts était à Es- 
cars, près Limoges, où résidait momentanément 
Catherine. Celle-ci, apprenant Tinsuccès de cette 
nouvelle entreprise occulte, écrivit le 12 du 
même mois la lettre suivante à son fils Charles : 

« Monsieur mon fils, le Coc s'an retourne qui 
ha présenté vostre présent à vostre frère, qui l'a 
trouvé si beau et plus aystimé la fason de quoy 
Valon lui ha conté que lui avés envoyé, et dist 
qui ne vous peult fayre aultre remersiement de 
tant d'aseuranse que lui donne de vostre bonne 
grase que de anployer sa vie et la luy esposer 
pour vostre service... é est byen mary de celles 
qui se sont perdeues, mais cet né pas sa faulte, 
ni la myenne, car depuis que je y suis, je fayt 
marcher vostre armaye en tele diligense, que si 



161 CATHERINE DE MEDICIS 

les reystres (i) eussent voleu marcher jeudi le 
jour de fa feste Dieu (2), je me pouvais dyre la 
plus heureuse femme du monde et vostre frère 
le plus glorieulx ; car vous eusiés eu la fin de 
cette guerre, aystant réduis le duc de Dus Pons 
en lieu qui l'estoyt à nous ; mes Dieu ne l'a pas 
voleu ; car j'euse esté trop ayse d'avoyr esté auca- 
sion de vous mestre en repos par le moyen de 
vostre frère et de tant de jeans de bien qui sont 
ici, et qui en sont enragés: mes puiz qui n'est 
avenu, il n'ont perdu le cœur, ayspérant encore 
que yl soit joins aveques l'Amiral, qui ne ne 
Tauron pour sela de chercher l'aucasion et Taven- 
tage de vous fayre le service qu'ils désirent tous. . . 
« De Limoges cet XIP de jouin 1569 
« Vostre bonne et afectionnée mère 



« Gaterine 



). » 



Or, le jour même de son arrivée à Escars, 10 
juin, le duc de Deux-Ponts, après avoir dîné en 
compagnie de la reine de Navarre, se sentit 

(1) Ces reîtres étaient ceux que Bassompierre et le comte 
Rhingrave avaient amenés au duc d'Anjou. (Mémoires de 
Caslelnau, p. 534.) 

(2) La Fête-Dieu tombait, cette année-là, le jeudi 9 juin. 

(3) Revue Historique, 1876, t. IV, p. 54. [Collection Benjamin 
Fillon.) 



Mal 



ama. 



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\y auclTo elle non bc troPfO da jf'^rJe/r ju j>cr if^oj?cru/)quaJa(^ 
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àcJilcVLO [il c^ualc Jemprç jtuii^t^ ncï4MrhL.dcmùcàl _ _ 
CQQnoJctir cjual ejgorno joJIc mtoliotr Pp' la. corp'nâitzoru de! l[e, 
tt-Dcr 4:rhft(ait ULraJut dcîfa. Jua hadui&i, miic cne dd^ 
^^'' di ûijnqnâ nonJenzDotna trduarr wn vmfciiQJ/tmc tc,r 
le rnowni^Uf un va) rcKc ajhmùao co^nôJci/im Tieila prf^rAÂiflTf., 
(n ic lem^idâ rtuicncc ton rhom, c};t Jam circa. ûA n\c\xp(ju>mû 
ûua.nivjli Mm ^ofh. U (cmia. inta^ ■ Tn dtrtr la^midù lifs 
Un'^ccchia/n aÏÏa ruxûluticju: Ji awiftoAn/io, tniw chéUiluni 
licniihx a.1 luûpo diSatrifito^ Jctàirnc o ce nftin do quelle J^i - 
Jols, d( Clouj. su ai Mcfcuriû^ Hcvrt^ Cûnalunro con U Jtt9ta.c( 
coifo di Vrû.cjo)i£, €( (^lowL. nclra^r>€tfo auadrafc clclLx lic/iûC, : 
ÀinoroiiO auc/h an no qrandiJSnni mjtidii porcc^irv del'oL 




\Ttranrw tm. 



Ctdo, ql'acctd^nh ncn iinuno ab^ar^chuih: ct)Uf. 

-fuan la Um ctu.rtu l Uuoi Jc.'uitvry:o. najcnio ojm 

LranL JcmPrr col, Âttc (auA'hom (ja. U M-Vj 

i^\rLnyamc-nlk W A, ultime /, ^ajjfu 



oiono, ne 



Q^l)rLcTSynUon 




1 ;(; CATHERINE DE MEDICIS 

subitement indisposé, et une forte fièvre cjuarle 
l'empoigna dans la nuit. L'Amiral et la Roche- 
foucauld, apprenant que le duc n'était éloigné de 
leur camp que de deux lieues environ, vinrent le 
voir et « le trouvèrent sans voix, à toute extré- 
mité ». En quelques heures, dit Norris (i), il 
mourut le i3 juin, après avoir chargé Coligny 
de prendre le commandement de son armée. 
Catherine n'avait donc pas attendu longtemps 
la satisfaction de son désir. 



Cependant, l'amiral de Coligny, principale tête 
parmi les têtes dirigeantes du parti calviniste, 
survivait toujours et multipliait ses efforts contre 
les adversaires des théories luthériennes. Uen- 
voâîemeni d'airain ne réussissdLiii pas mieux pour 
lui qu'il n'avait réussi pour Gondé et d'Andelot, 
Catherine continua l'application de son système. 

Le 18 juillet 1069, l'ambassadeur Norris nous 
dit « qu'il est informé que le capitaine allemand 
Hayz, est dépêché par la reine-mère pour aller 
chercher à détruire par poison l'Amiral, et que 

(1) Dépêche de Norris à la reine d'Angleterre, Orléans. 
20 juin 1569 (Calendars, 1569-71, n° 303). 



CA.THERINE DE MEDICIS 1<)7 

cet Allemand a reçu la même récompense que 
d'autres ont déjà reçue pour la même cause (i) ». 
Environ trois semaines plus tard, don Frances 
de Alava écrivait ce qui suit au roi d'Espagne : 

« Dans la dernière audience que j'ai eue du roi 
et de la reine de France, jeteur ai dit que j'avais 
en mon logis un Allemand qui venait d'arriver du 
camp de l'Amiral, et qui rendait bon compte de 
ce qui s'y passait et que le dit Allemand savait 
que la mort de l'Amiral était combinée. La mère 
et le fils se rapprochant de moi, me firent passer 
dans un cabinet où il n'y avait personne et me 
dirent que, au nom de Dieu, je n'en parlasse à 
personne parce qu'ils attendaient à chaque instant 
une bonne nouvelle à ce sujet; cela dit avec une 
joie d'où il. résulte clairement qu'ils ont combiné 
cette mort. Ils considéraient si bien cette mort 
comme faite, que je leur demandai si c'étaient 
des Allemands qui devaient tuer l'Amiral (2). » 

Le 3o août 1569, Dominique d'Alba, valet de 
chambre de l'Amiral, était arrêté porteur d'un 



(1) Dépêche de Norris, Orléans, 18 juillet 1569 {Calendars, 
1569-70, n« 327). 

(2) Dépêche de don Frances de Alava au roi d'Espagne, 
8 août 1569. [Archives nationales, K. 1512, n° 2.) Traduction 
inédite de M. Léon Marlet. 



Î68 CATHERINE DE MEDICIS 

passeport signé de Monsieur, frère du roi, qui 
était alors à Plessis-les-Tours. Traduit devant 
un tribunal protestant à Faye-la-Vineuse, Do- 
minique d'Alba subit huit interrogatoires, dont 
le premier eut lieu le i3 septembre. Ces interro- 
gatoires furent tous conclus par les aveux com- 
plets de Dominique. Il déclara « qu'il avait été 
instamment sollicité, pressé et pratiqué par La 
Rivière, capitaine des gardes, et Deslauriers, 
clerc de Ruzé, secrétaire de Monsieur, frère du 
roy, de faire mourir de glaive ou par poison, 
Monsieur l'Admirai, son maître; et qu'après avoir 
promis audit sieur La Rivière d'empoisonner 
ledit sieur Admirai, il avait reçu d'icelui La Ri- 
vière aux dites fins, argent et poison en forme 
de poudre blanche (i) ». 

Ce poison fut dûment examiné par un conseil 
composé de médecins et d'apothicaires, assemblé 
à la Haye-en-Touraine (aujourd'hui La Haye- 
Descartes), et le 20 septembre, Dominique d'Alba 
était condamné à la potence. 

En dépit de toutes les précautions et surveil- 
lance exercées autour de sa personne, Coligny 

(1) Jean de Serres, Mémoires de la troisième guerre 
civile. Sentence reproduite par Delaborde dans son ouvrage 
intitulé : V Amiral de Coligny, t. III, pp. 565 à 567. 



CATHERINE DE MEDICIS 169 

avait-il quand même absorbé précédemment une 
quantité de poison qui avait déterminé la mala- 
die dont il souffrit assez longtemps ? Nul ne le 
sait ; mais il est certain que sa vie fut en dan- 
ger, indépendamment de sa blessure du 3 oc- 
tobre 1569, reçue au combat de Moncontour. 

Ni le fer, ni le poison ne réussissant contre 
cette énergie valeureuse, Catherine n'abandon- 
nait pas la sournoise combinaison de Venvoûte- 
ment d'airain : 

« On dit, ajoute don Frances de Alava dans 
sa dépêche sus-mentionnée, on dit qu'on a vu 
il y a quinze jours, à la statue de l'Amiral, les 
mêmes marques (que celles constatées pour le 
prince de Condé et d'Andelot). De là peut être 
venu le bruit qui s'est répandu ces jours-ci 
qu'il était mort, et maintenant qu'on voit que 
c'est une farce, attendu qu'on sait qu'il est vi- 
vant et en bonne santé, les auteurs de cette 
bonne œuvre donnent à entendre que ladite 
statue ou figure n'a pas montré les marques de 
mort comme firent celles de Condé et d'Ande- 
lot; elle n'a fait qu'indiquer la maladie dange- 
reuse qu'a subie l'Amiral et signifier la mort de 
son fils aîné... Et le sortilège recommence en 
grand secret, et l'espérance renaît à ce qu'on 

]0 



170 CATHERINE DE MÉDICIS 

m'affirme, subventionnant de nouveau les opé- 
rateurs. Quand la reine est partie de cette ville 
(Paris) pour le camp (de Limoges), elle a écrit 
au cardinal de Lorraine et à l'évêque de Sens^ 
que dans très peu de temps ils apprendraient 
une nouvelle qui causerait au pape et à la chré- 
tienté, la plus grande joie qu'ils aient éprouvée 
depuis vingt ans. Ce doit être le bon espoir 
quon a des effets dudit sortilège (i). » 

Or, ce bon espoir de la reine-mère fut tout 
autant déçu que les précédents. Trois années 
allaient encore s'écouler dans des alternatives 
de luttes et de paix éphémère, entre le noble ca- 
ractère de Goligny et Phabile duplicité de Cathe- 
rine. Mais après la maladresse de Maurevert^ 
quand arrivera la nuit rouge de la Saint- Barthé- 
lémy, l'épieu du Lorrain Besme débarrassera 
enfin le trône, les Guises et tous les papistes, de 
cette grande figure huguenote que fut Gaspard de 
Goligny, et dont le spectre ensanglanté nous 
apparaît encore à travers quatre siècles, comme 
la principale des convictions intrépides, loyales 
et braves, lâchement anéanties au sein de la plus 
effroyable des collisions religieuses. 

(1) Dépêche de don Frances de Alava, déjà citée. 



CHAPITRE VI 



L ENVOUTEMENT DE CHARLES IX ET COSME RUGGIERI. 



Durant trois jours et trois nuits la Saint-Bar- 
théiemy a rougi le pavé parisien. Catherine de 
Médicis et ses dames d'honneur se sont offert 
la lubrique satisfaction d'examiner sur des 
cadavres nus certaines virilités masculines (i), 
alors que la Seine charriait force corps de hugue- 
nots maigres : ceux des victimes obèses et grasses 
ayant été réservés aux apothicaires qui en tirè- 
rent la graisse nécessaire à leurs préparations 
pharmaceutiques (2). Et au gibet de Montfau- 
con, sous le vol funèbre des corbeaux, se balance 



(1) Mémoires de Salhj, t. I, pp. 59 et 60, note 60. 

(2) Histoire universelle de J.-A de Thou, t. VI, p. 427 ; édi- 
tion de Londres, 1734. 



172 CATHERINE DE MEDICIS 

le corps de l'infortuné Gaspard de Goligny, 
dans la bouche duquel un sinistre plaisant à 
fixé le cure-dents que l'amiral ne quittait 
jamais... (i). 

Pendant que le pape Grégoire XTII rendait 
publiquement à Rome des actions de grâce pour 
ce haut-fait d'armes exécuté en faveur du triom- 
phe de la chrétienté, pendant que le légat de ce 
pontife venait féliciter Gharles IX et l'exhorter à 
continuer la guerre sainte contre les calvinistes, 
Elisabeth d'Autriche, femme de Charles, appre- 
nant que cet ensemble de crimes était le résul- 
tat d'un ordre de son époux, se tordait de dou- 
leur au pied de son crucifix (2). Et Catherine, fière 
de l'exploit, qu'en compagnie des Guises, elle 
avait su faire accomplir à son fils, écrit à Phi- 
lippe II d'Espagne une longue lettre dans la- 
quelle s'exhale sa reconnaissance vers Dieu, qui 
a donné à Charles « l'énergique moyen de se 
défayre de ses sugès rebelles à la Providence et 



(1) Feuillet de Conches, Causeries d'an curieux, t. II, 
p. 315, 

(2) Fragmens d'histoire et de littéralure, La Haye, 1706, chez 
Adrien Moetiens. 1 vol. in-12, p. 2. Anatole Claudin a démon- 
tré comment Larroque de Rouen était l'auteur de cet ouvrage 
anonyme, et comment il n'a jamais été édité à La Haye, 
mais à Rouen. 



CATHERINE DE MEDICIS 173 



à leur maître souverain (i)». Cependant qu'une 
médaille commémorative du massacre était frap- 
pée et que Jacques Moysson faisait vibrer sa 
lyre : 

Chante ton Roy et chante sa couronne ! 
Chante qu'il est de la Foy chevalier? 
Chante qu'il est de l'Église pilier ! 
Chante de luy l'une et l'autre colonne ! 
Chante qu'il a une devise bonne ! 

Pour Piété et justice lier, 
Rechante encor' de l'Ordre le colier, 
Et le beau lys qui en France fleuronne. 
Chante du Roy le tiltre Très-Chrestien, 
Ses jeunes ans et son sceptre ancien. 

Et chante encor sa Majesté sacrée, 
Chante qu'il doit en ses mains empoigner 
La pomme ronde et Monarque régner, 
La terre étant aux Valoys consacrée (2). 

Mais toutes ces louanges, toutes ces félicita- 
tions n'enlèvent pas dans l'âme de Charles IX 
Tangoisse profonde que le remords y a creusée. 

(1) Musée des Archives nationales, K. 1530 — B. 34, n" 24. 
Négociations France-Espagne, et cat. n° 702. 

(2) Discours des présages et miracles advenus en la personne 
du Roy et parmy la France dès le commencement de son règne, 
Par F. DE Belleforest-Comingeois. Lyon, MichelJove, 1568, 
p. 2. 

10. 



174 CATHERINE DE MEDICIS 

Il est inquiet, taciturne, cherche en vain une 
réaction contre l'ennui dans des exercices vio- 
lents qui ne lui donnent qu'épuisement et fati- 
gue, et qu'aucun calme sommeil ne vient réparer. 
Durant des mois, il mène une vie des plus agi- 
tées, sans trouver un palliatif aux douleurs 
morales que son crime inutile a fait naître en 
lui. 

Lorsque son frère, le duc d'Anjou, partit pour 
la Pologne, il Taccompagna jusqu'à Vitry, non 
pas pour lui faire honneur, mais pour mieux 
goûter le plaisir qu'il éprouvait en voyant un 
rival quitter définitivement son royaume. De 
retour à Paris, se sentant débarrassé d'une in- 
fluence qu'il jugeait aussi néfaste à ses décisions 
que l'était celle de sa mère, Charles pensa goû- 
ter enfin quelque repos. Son espoir fut déçu... 

Lamentablement il traîne son existence. Sa 
taille haute s'affaisse^ et en dépit de ses vingt- 
quatre ans, il a toute Tapparence d'un vieillard. 
Ses épaules sont courbées, et son visage pâle a 
des rictus que la souffrance d'une phtisie fait 
naître par intervalles sur ses joues décharnées. 
Sa physionomie prend de temps en temps de 
farouches expressions qui inquiètent et effrayent 
même la reine-mère. La nuit, il croit voir appa- 



CATHERINE DE MÉDICIS 



175 



raître des spectres. En des cauchemars effrayants 
il s'éveille brusquement, baigné de sueur, Tima- 
gination frappée par des visions de sang, enten- 




Gabriel Simeoni. 
{Gravure du temps.) 

danfc des cris et des malédictions (i). Et, ainsi 
que le dit Voltaire : 

Dieu déployant sur lui sa vengeance sévère, 
Marqua ce roi mourant du sceau de sa colère. 

Mais nul ne veut croire à l'action pure et simple 
du remords, jointe à l'excès des sports auxquels 



(1) UEspriî de la Ligue ou histoire des troubles de France 
pendant les seize et dix-septième siècles, t. II, p. 81. Cet ou- 
vrage anonyme est dû à Pierre Anquetil, historien né à Paris 
en 1733, mort en 1808. (3 vol. in-12, publiés à Paris en 1767.) 



176 CATHERINE DE MEDIGIS 

se livre le jeune prince. Nul ne veut croire à la 
maladie qui rapidement stérilise cet organisme 
affaibli. En dehors de ces causes, les médecins 
s'obstinent à chercher l'origine du mal. Et comme 
ils ne trouvent rien, on conclut bientôt dans l'en- 
tourage royal que Charles IX est victime de 
sombres machinations. On parle de poison, de 
force occulte, de maléfices, dans lesquels les 
magiciens de la reine-mère pourraient bien jouer 
le rôle principal. Et, en peu de jours, la majeure 
partie de la cour et de la ville est convaincue 
que le roi succombe à un sortilège. 



Cependant, depuis le terrible massacre, on 
goûtait une paix qui, mieux qu'une franche agi- 
tation, laissait pressentir les troubles qui se pré- 
paraient dans l'ombre, et qu'un ensemble d'indi- 
ces annonçaient comme étant proches de leur 
réalisation. Désunion entre la reine-mère et ses 
enfants, esprit de faction permanent chez les sei- 
gneurs de province, mécontentement sourd du 
peuple, brigandage ouvertement pratiqué sur les 
routes de France, transactions commerciales en- 
travées, franchise, loyauté, foi jurée disparues 



CATHERINE DE MEDICIS 177 



des consciences, et division des familles de par 
les luttes dogmatiques dont retentissaient les 
voùtesdes temples et des églises. Partout la tra- 
hison, la perfidie, les désordres anarchistes, se 
manifestaient sous l'indifférence politique d'un 
prince en lutte avec lui-même et les siens, souf- 
frant de ses peines, ennuyé de vivre, et ne soup- 
çonnant même plus l'importance de son rôle 
social Son frère, leduc d'Alençon, esprit ardent, 
mais léger dans ses actions et avide de gloire, 
était surtout soucieux de satisfaire sa présomp- 
tion et la jalousie qu'il ressentait contre Charles 
et contj'e le roi de Pologne. Il enviait le géné- 
ralisme des armées qu'avait possédé le duc d'An- 
jou. 11 enviait aussi le titre de lieutenant-géné- 
ral du royaume. Et, escomptant déjà la mort 
de Charles, il pensait, avec ces deux puissants 
emplois, empêcher le retour du roi de Pologne 
pour succéder à son frère sur le trône de France. 
Ces idées, ces projets, lui étaient suggérés par 
des gens intéressés à troubler l'ordre monarchi- 
que, et dont l'intelligence était bien supérieure 
à celle d'un duc d'Alençon. C'était d'une part, 
tous les calvinistes survivant à Thécatombe ; et 
de l'autre, le roi de Navarre, le prince de Condé, 
les Montmorency, leurs partisans, et quelques 



178 CATHERINE DE MEDICIS 

penseurs écrivains et gens de robe : groupe for- 
midable des Malconlenls qui se dressaient en 
vengeurs-justiciers des égorgements pratiqués. 
Heureux de pouvoir profiter de l'inaptitude 
royale et de remuer les haines sous l'égide d'un 
frère de roi, ce parti des Malcoûlenls usa de l'in- 
fluence qu'avaient sur le duc d'Alençon Joseph 
de Boniface, sieur de La Môle, et son ami le 
comte Annibal de Coconas^ deux intrigants 
audacieux, galants baladins de cour, dont les 
maîtresses étaient pour le premier la reine Mar- 
got et pour le second la duchesse de Nemours, 
mère du duc de Guise. Ces premiers jalons posés, 
les Malconlenls commencèrent leur sape esour- 
noise et recrutèrent promptement de nouveaux 
adhérents : bourgeois aisés, mercenaires sans 
enrôlement, et d'autres individualités de tous 
états, tel que ralchimisteGrandry(i), prometteur 
magnifique qui devait changer en or pur tout le 
plomb destiné aux arquebusades, et fournir au 

(1) Pierre de Grandry dit Granchamps, maître d'hôtel ordi- 
naire du roi, était un gentilhomme calviniste c|ui avait réussi 
à s'enfuir de la cour lors du massacre de la Saint-Barthé- 
lémy. Voir sur ce personnage les Mémoires de Sully, t. I, 
p. 55 et note 56. M. William Reysser possédait daas sa 
remarquable collection, un manuscrit d'alchimie attribué à 
Grandry, et duquel j'ai extrait le très curieux dessin sym- 
bolique reproduit à la page 203 du présent volume. 



Catherine de medicis 179 

parti des sommes bien supérieures à la dépense 
que nécessitaient les entreprises projetées. 

C'est au sein de cette association que naquit 
le fameux complot dit des jours gras. Il s'agis- 
sait de tirer de la cour, qui depuis peu s'était 
installée à Saint-Germain-en-Laye, les princes 
de Navarre et de Condé qui y vivaient en un vé- 
ritable esclavage sous l'étroite surveillance de 
la reine-mère, et de leur confier le commande- 
ment de certaines places fortes déjà garnies de 
troupes religionnaires. Mais les conjurés se hâ- 
tèrent trop et furent malhabiles dans l'exécution 
de leur plan. Catherine veillait. Elle sut tout ce 
qu'elle voulait savoir par l'aveu de La Môle qui 
pensait, en avouant, échapper aux poursuites 
ro^^ales. Il fut pourtant arrêté ainsi que son ami 
Coconas et gardé à vue au donjon de Vincennes 
pendant que les maréchaux deCossé et de Mont- 
morency étaient envoyés à la Bastille. Quant au 
prince de Condé, il s'échappa en compagnie de 
Thoré, se réfugia en son gouvernement de Picar- 
die, et quelque temps après passa en Allemagne. 

En hâte la cour était partie de Saint-Germain 
pour venir à Paris, puis au château de Vin- 
cennes, Dans une litière, par une nuit froide 
d'avril, à deux heures du matin, Charles IX fut 



180 CATHERINE DE MEDICIS 



contraint de fuir en gémissant sous l'aiguillon 
delà maladie: Du moins, disait-il, s'ils avaient 
attendu ma mort! 

Du château de Vincennes, Charles écrivit la 
lettre suivante à M. delà Valette, son lieutenant- 
général en Guyenne, lettre jusqu'alors inédite et 
qui résume parfaitement Thistorique du complot: 

« Monsieur de la Valette, on vous a cy-devant 
peu faire entendre ce qui sestoit passé contre moy 
et mon estât, a Sainct-Germain-en-Laye, depuis 
ces jours passez ; il sest descouvert encores icy 
une méchante et malheureuse affaire laquelle 
maiantesté confirmée par plusieurs divers advis, 
je faictz ranforcer mes gardes et aitres dedans 
lanclos de ce chasteau, ung corps de gardes de 
Suisses. Jl avoit dès lors esté pris quelques per- 
sonnes coulpables de ladicte entreprise, et depuis 
il n'en a esté prins encores d'autres, entre 
lesquelz sont la Molle et le conte de Coconnas, 
qui sont entre les mains des gens de ma court 
de parlement, pour leur estre faict leur procès, 
sestant ja par les interrogatoires que Ion leur a 
peu faire et leurs confessions volontaires vérif- 
fîées, comme ilz ont voulu suborner mes frères, 
le duc d'Allançon et le roy de Navarre, hors 
d'auprès de moy, pour leur faire entreprendre 



CATHERINE DE MEDICIS 181 

quelque chose au préiudice démon aucloritéet 
du repos de mon estât. Pour lequel effect, ilz 
avoient desposé des chevaux en certains en- 
droicts et prins ung lieu ou ilz se debvoient 
rendre ; ayant bien à louer Dieu, de ce que par 
sa grâce, leur mauvais desseing n'a esté exécuté 
et mesdicts frères, aiant congneula malice et in- 
tention de ceux qui les ont ainsi malheureusement 
voullu déduire, mont déclaré tout ce quilz en 
estoient sceu, conforme a ce que dessus, espé- 
rans bien que par la confection du procès qui 
faire seroict faictz a ceux qui se trouvent au jour- 
dhui prisonniers, il se poura descouvrir quel- 
que chose davantage, de ce quoy tendoit le but 
de celte malheureuse entreprise ; cependant, je 
ne veux oublier à vous dire, que mon cousin le 
prince de Condé, aiant eu quelque fraieur, pour 
lui avoir esté donné à entendre que je fairois 
prisonniers mesdicts frères, est sorti d'Amiens, 
et cest retiré du costé des Ardennes ainsi que je 
iay entendu. Mais jespère que comme son parle- 
ment a esté fondé sur ung faulx donné a enten- 
dre, quant il aura la vérité des choses connue, 
j'ai donné ordre le luy faire savoir, il s'en retour- 
nera audict Amiens, pour continuer a pourvoir 
aux affaires de son gouvernement, selon la charge 

11 



1S2 CATHERINE DE MEDICIS 

que je lui en ay donné, et que je luy avois envoie 
expressément. Je vous ay bien voullu adverlir 
de ce que dessuz aussi particullièrement affin 
que vous n'en davairez en peine sur les bruicts 
qui en pourroient courir. Et aussi affin, que vous 
ayez l'oeuil sur ce qui est de vostre charge, ne 
voullant néantmoins que pour cela, ceux de la 
nouvelle opinion ni autres, qui se contiendront 
paisiblement en icelle soient aucunement mo- 
lestez, ains contenus et conservés ainsi que je 
vous ay tousiours mandé estre mon intention. 
Priant le créateur, M. delà Vallette, vous avoir 
en sa saincte digne garde ; escript au bois de 
Vincennes, le i5 avril i574- 

« Charles (i). » 

En même temps qu'il donnait ces ordres par- 
ticuliers, Charles IX constituait une Commis- 
sion spéciale pour instruire d'urgence le procès cri- 
minel de La Môle^ Coconas el leurs complices, 

(1) Lectre du Roy à Monsieur de la Vallette, sur la conspira- 
tion de la Molle et Coconas. Au-dessous de la signature de 
Charles IX, on lit : Fizes. Et sur le repli de la lettre : Mon- 
sieur la Valette, Chevalier de mon ordre, Conseiller en mon privé 
Conseil, Cappilaine de cinquante hommes et mon Lieutenant- 
Général en Guienne. Archives nationales ; Registre des Arretz 
donnez contre aulcuns Princes, Seigneurs et aultres accusés 
de crime de lèze-Maiesté. (U-785 — R» fol. 118, 119 et 120.) 



CATHERINE DE MEDICIS 183 

« Charles, par la grâce de Dieu, Roy de France, 
à nos amis et féaux Conseillers en notre Con- 
seil privé, le Premier Président en dite Cour 
du Parlement et plus ancien Président séant en 
la Chambre de la Tournelle de notre Court, salut. 

« Désirant qu'il soit procédé en haulte dili- 
gence et par personnages recommandés de 
grande intégrité et prudhemmie, à la confection 
des procès criminels et extraordinaires contre 
tous ceux qui se trouveront chargés et coupa- 
bles de la damnable, méprisante et malheureuse 
conspiration qui a été faiàte à Tencontre de 
nostre personne et celle de la Reyne nostre très 
bonne Dame et Mère, contre les principaux Offi- 
ciers de nostre couronne et générallement con- 
tre tout nostre estât et à l'entière ruine et sub- 
version d'iceluy. 

« Nous vous avons commis, ordonné et dé- 
puté, commissons, ordonnons et députons par 
ces présentes pour avec deux plus anciens Con- 
seillers, tous de nostre dite Cour, l'un de la 
grande Chambre, l'autre de ladite Tournelles, va- 
queren toute diligenceet tous aultresaffairespost- 
posées et cessans, et sans aucune intermission 
ni discontinuation tant aux jours fériés que non 
fériés, et à toutes heures, à Tlnstruction entière 



184 CATHERINE DE MEDICIS 

desdits procès, nonobstant oppositions et appel- 
lations quelconques et sans préjudice d'icelles. 

« Pour lesdits procès par vous instruits, et 
deux de vous en l'absence ou légitime empesche- 
ment de maladie des aultres, pourvu quePun de 
vous Présidens susdit y assiste toujours, estre 
procédé aux jugements définitifs d'iceux par les 
deux Chambres assemblées. 

« De ce faire nous avons donné et donnons 
plein pouvoir, puissante autorité, Commission 
et mandement extraordinaire par ces dites pré- 
sentes mesures de faire saisir et arrêter toutes 
personnes de quelque qualité qu'elles soient, 
si de ce faict se trouveront chargées et soup- 
çonnées, mandons et commandons à tous nos 
justiciers. Officiers et subjects que nous avons, 
en ce faisant, obéissent et entendent diligem^- 
ment prestent et donnent confort, ayde et pro- 
viseurs à tous sergens et Commissaires, d'exé- 
cuter vos mandemens tous ainsi que s'ils étoient 
émanés de nous. Si donnons en mandemens à 
nos amez et féaux Conseillers les gens tenans 
nostre dite Cour du Parlement, que nos pré- 
sentes lettres de commission ils facent enregis- 
trer au greffe d'icelle nostre Cour et audicts 
conseillers par nous commis et députez pour 



CATHERINE DE MEDICIS 185 

ladite instruction et jugement obéir et entendre 
par tous nos efforts en ce qui concernera lefaict 
de ladite commission. 

« Car tel est nostre plaisir. » 

(( Charles (i). » 

L'instruction préliminaire du procès ne fut 
pas compliquée. Le duc d'Alençon, pressé par 
sa mère, avoua également tous les détails de la 
conspiration, et cela sans même solliciter la 
grâce de ceux qui s'étaient aveuglément dévoués 
pour lui. Le roi de Navarre, qui connaissait bien 
ce faible caractère, ne s'y trompa pas. Le 
voyant un jour enfermé avec Catherine, il dit 
au duc de Bouillon : C'est fait, noire homme 
dit tout (2). 

Henri de Navarre eut la fermeté de ne pas 
imiter le duc d'Alençon. Aux questions qui lui 
furent posées, il répondit en se défendant 
comme d'un déshonneur des aveux humiliants 
que l'on voulait tirer de lui, se^ rejetant fière- 
ment sur les mauvais procédés pratiqués à son 

(1) Bibliothèque nationale. Manuscrit fonds français ; collec- 
tion Dupuy, vol. 590, fol. 21 et recto. Document inédit. 

(2) L'Esprit de la Ligue, livre quatrième ; t. II, pp. 89 et 
suirantes. 



186 CATHERINE DE MEDICIS 

égard, et se plaignant surtout de lespèce de 
captivité dans laquelle* on l'obligeait à vivre. 
Enfin, il conclut que lors même il aurait effecti- 
vement cherché à s'enfuir, nul ne pouvait s'en 
plaindre, puisqu'il était traité en gêneur à la 
cour, et qu'en conséquence, il se sentait tout 
disposé à recommencer celte tentative d'évasion 
si l'on ne changeait d'allure à son adresse. 
Cette fermeté lui fit certes grand honneur, mais 
ne sauva pas ceux que l'on voulait sacrifier à 
titre d'exemple. 

Le projet pur et simple de délivrer les prin- 
ces protestants ne parut pas suffisant à Cathe- 
rine. Elle sentit qu'on la trompait, et chercha 
dans la trame du complot les sources d'un at- 
tentat direct contre la personne du roi. C'est 
alors que l'affaire La Môle et Coconas, chan- 
geant de forme, devint un véritable procès de 
sorcellerie. 



Quelques jours avant la lettre de Charles à 
I\I. de la Vallette, Catherine de Médicis avait 
appris que La IMôle portait au cou une amulette 
sur laquelle étaient gravés des signes cabalis- 
tiques. Pour l'esprit perspicace de la reine-mère 



CATHEniNE DE MEDICIS 



187 



ce fut là une importante révélation. Immédiate- 
ment elle chargeait Lanssac d'écrire la lettre 
suivante au procureur-général, La Guesle : 




MÉDAILLE TALISMANIQUE 

DE Catherine de Médici!^ 



« Monsieur, 

« La Royne-Mère du Roy m'a commandé vous 
mander que vous donniez, s'il vous plaît, bon 
ordre que personne, quel qu'il soit, ne parle 
aulx prisonniers, mesmement à La Molle, si ce 
ne sont les juges ordonnez pour faire leur procès, 
et qu'ayant entendu que le dict La Molle porte au 
col quelques chiffres ou caractères, et au doibt 



183 CATHERINE DE MÉDICIS 

des anneaulx, que vous les luy faciez hoster, 
voir ce que c'est el les garder ; aussi il avoit sur 
luy cinq ou six cens escuz et des bagues qui 
sont moyens pour tenter à corrompre les gardes ; 
parquoy il lui fault aussy hoster et faire bien 
garder tout, comme vous sçavez qu'il faut faire, 
qui est tout ce que je vous diray, sinon me re- 
commander à vostre bonne grâce. 

« Au boys de Vincennes, ceste vigille de 
Pasques, au soir, [lo avril 1574.] 

« Vostre obéissant parfaict amy pour vous 
faire service. 

« Lanssac (1). » 

On procéda bientôt à une perquisition au do- 
micile de La Môle. On y découvrit des livres de 
sorcellerie et une correspondance qui démontrait 
les relations de ce gentilhomme avec le premier 
magicien de la reine-mère, Cosme Ruggieri (2). 

(1) Original conservé à la Bibliothèque nationale ; manus- 
crits, fonds Dupuy, n° 590, fol. 25. 

(2) Cosme Ruggieri était le plus jeune des deux fils de 
Ruggieri-le- Vieux {Vecchio Ruggier), l'un des plus savants 
hommes du seizième siècle, et qui fut médecin de Laurent 
de Médicis, duc d'Urbin, père de Catherine. Ruggieri-le- 
Vieux était tellement considéré à la cour des Médicis, que 
les ducs Laurent et Cosme acceptèrent d'être les parrains 
des deux fils du médecin; selon la coutume ils donnèrent 



CATHERINE DE MEDICIS 189 

En outre, on y trouva plusieurs petites sta- 
tuettes de cire vierge, dont deux offraient des 
détails plus particulièrement étranges : l'une 
était à moitié fondue ; l'autre avait une épingle 
plantée à l'emplacement figuré du cœur. 

Cette découverte acheva de bouleverser les 
esprits : « Certains veulent que le Roi soit ma- 
lade, écrit Alamanni au prince héritier de Tos- 
cane, et qu'on ait trouvé certaines images de 

leurs prenons à leurs filleuls. Cosme Ruggieri eut comme 
principal maître son père. Ses études terminées, il vint en 
France à la suite de Catherine de Médicis. Au sein de la 
cour de Henri II, à côté de Nostradamus et de Régnier, il 
acquit promptement un grand renom par ses horoscopes, ses 
talismans, ses cérémonies magiques et surtout par ses 
envoûtements de haine et d'amour. Catherine, qui appréciait 
hautement la science de ce personnage, lui fit donner l'ab- 
baye de Saint-Mahé en Basse-Bretagne, et c'est pour lui 
qu'elle fit construire, par Bullant, la colonne observatoire de 
l'Hôtel de Soissons, qui subsiste encore accolée à la Bourse 
de Commerce de Paris. Cosme possédait une maison dont 
M. Camille Piton a retrouvé l'acte de vente aux Archives 
nationales (S. 1090). Cet immeuble était situé rue du Four 
à l'enseigne du Lyon noir. Cosme accompagnait Catherine 
dans tous ses déplacements en des châteaux divers. A 
Chaumont-sur-Loire, par exemple, M. le Prince Amédée de 
Broglie a minutieusement conservé la chambre que l'astro- 
logue soi-disant y occupait. Vergnaud-Romagnési et, plus 
tard, de la Saussaye, nous ont laissé quelques détails sur 
les études astrologiques de Catherine en compagnie de 
Cosme au château de Chambord (Blois, 1857 ; p. 55, 1 vol. 
in-8). 

11. 



190 CATHERINE DE MEDTCIS 

cire ; celles-ci consumées, la vie de Sa Majesté 
aurait fini. On dit aussi qu'on a beaucoup agi 
près de M. d'Alençon pour le décider à conspi- 
rer contre le Roi et à tuer quelques-uns de ses 
serviteurs et quelques Dames par voie de nécro- 
mancie, et Cosme en est inculpé pour une part, 
par les officiers ministres du Roi (i). » 

Le lendemain, 27 avril, Dale, ambassadeur 
d'Angleterre, annonce aussi cet événement en 
une dépêche qu'il adresse à lord Rurghley, ajou- 
tant qu'indépendamment des figures de cire, on 
a trouvé « dans la chambre de La Môle, une 
étrange médaille pour quelque enchantement ma- 
gique ou autre chose semblable (2) ». 

Mis à la torture, on demanda à La Môle si ces 
statuettes ne représentaient pas le roi et si, par 
des manœuvres obscures de fart magique, il 
n'avait pas conçu le désir de nuire à la santé de 
Charles IX. La Môle avoua qu'effectivement, 
sur les conseils de Cosme Ruggieri, il s'était 
livré aux pratiques occultes de fenvoûtement. 
Chaque soir, à la chaleur douce d'un foyer, il 



(1) Dépêche d'Alamanni au prince héritier de Toscane; 
26 avril 1574. Négociations diplomatiques entre la France et 
la Toscane, t. III, p. 928 {Traduction analytique inédite). 

(2) Calendars : 1572-1574, n" 1398; 27 avril 1574. 



CATHERINE DE MEDICIS l'Jl 

avait lentement fait fondre l'une de ces statuettes 
de cire, persuadé qu'au fur et à mesure qu'elle se 
consumait, l'existence de la personne ainsi re- 
présentée allait également en décroissance. Mtiis 
il refusa d'avouer que cette statuette représen- 
tait le roi. 

En dépit de cette dernière négation, l'unanime 
conviction fut que Charles IX était envoûté. 
Aussi, Catherine n'hésita-t-elle pas. Sans ména- 
gement, elle fit arrêter le modeleur des crimi- 
nelles statuettes, Cosme Kuggieri, que peu de 
temps auparavant elle avait placé auprès du 
duc d'Alençon sous prétexte de donner à ce 
prince des leçons de langue italienne, mais en 
réalité pour la tenir au courant des menées du 
parti des malcontents. 

Quelques jours après la Saint-Barthélémy, 
elle avait même questionné Cosme sur l'avenir 
qui était réservé au duc d'Alençon. C'est l'am- 
bassadeur toscan, Petrucci, qui nous transmet 
ce questionnaire bizarre : 

« La Reine-mère a parlé sur le fait des hugue- 
nots, écrit-il, avec M. Cosme Ruggieri en sa 
qualité d'astrologue. Il lui a répondu « que cela 
« a été fait au bénéfice plutôt d'un ami du Roi, 
« que du Roi lui-même ». Interrogé sur cet ami, 



192 CATHERINE DE MEDICIS 

il dit : « Le Roi d'Espagne ». Et Sa Majesté 
ajouta : « Et de quelle façon ? » Puis, elle fit ins- 
tance près de lui pour savoir quelle ressemblance 
il y avait entre ses fils. Il répondit « qu'entre le 
Roi et Monsieur il n'y avait aucune ressem- 
blance; mais qu'il y en avait une certaine avec 
le duc d'Alençon, comme le savait bien Sa Ma- 
jesté. » Et il insista sur son opinion : « qu'il n'y 
avait pas de ressemblance entre le Roi et Mon- 
sieur ». Enfin, elle a ordonné à l'astrologue 
d'étudier le genre de la grandeur du duc d'Alen- 
çon, d'où elle viendra et quand elle viendra (i). 

L'astrologue avait donc trompé la confiance 
de la mère au profit du fils, en travaillant pour 
le parti des malcontents , et Catherine n'était 
pas femme à accepter impunément une telle 
trahison de l'un de ses pensionnaires intimes. 

Cependant , prévenu en temps opportun , 
Cosme Rugierri avait pu s'enfuir et se réfu- 
gier chez Alamanni, ambassadeur du prince 
héritier de Toscane en France, qui, outre cette 
information, nous donne quelques détails sur les 
débuts de l'astrologue à la Cour de Catherine : 

(1) Dépêche de Vambassadeur toscan Petrucci au prince héri- 
tier de Toscane; Paris, 2 septembre 1572. (Même source que 
ci-dessus, t. III, pp. 835 et 836.) 



CATHERINE DE MEDICIS 193 

« Il y a trois ans passés déjà (en 1571) (1), dit 
cet ambassadeur, qu'un certain Gosme Ruggieri, 
qui avait été déjà en France avec Domenico 
Bonsi, est venu ici avec M. Tommasso, son 
frère, s'établir très pauvre en cette Cour et, à 
cause du défaut de moyens au début, resta près 
du commandeur Pitrucci, mon prédécesseur (2) ; 
c'est par sa faveur, je crois, qu'il commença à 
se faire connaître pour un homme de haute intel- 
ligence et assez instruit, de sorte que M. Mont- 
morin, premier Écuyer de la Reine Très-Chré- 
tienne (3), fut satisfait de Tavoir près de lui 
pour enseigner la langue italienne aux pages de 
Sa Majesté. 

« Il faisait profession, entr'autres choses, de 
connaître assez bien l'astrologie et surtout l'as- 
trologie judiciaire, consistant à prédire l'ave- 
nir. De là quelques-uns ont conclu (quoique 

(1) Cosme Ruggieri était certainement à la Cour de France 
bien avant cette date. 

(2) Dans une dépêche datée du 27 août 1572, Petrucci, 
alors ambassadeur de Toscane en France, dit à Concini, 
secrétaire d'Etat du grand-duché de Toscane, que c'est à 
Cosme Ruggieri qu'il dut d'être protégé par la Reine-mère, 
contre le massacre de la Saint-Rarthélemy. (Collection de 
documents inédits -.Négociaîions diplomatiques entre la France 
et la Toscane, t. III, p. 810.) 

(3) Elisabeth d'Autriche, femme de Charles IX. 



191 CATHERINE DE MEDICIS 

faussement à mon avis) qu'il pratiquait aussi 
un peu de ce qui touche à la nécromancie. A 
cause de cela et des faveurs que lui ont faites 
Giaji-Galeazzo, Frigoso et l'abbé Guadugni, 
il arriva, il y a peu de temps, dans un tel cré- 
dit près de la Reine mère du Roi, qu'en outre 
qu'il avait continuellement Toreille de Sa Ma- 
jesté et savait une infinité de choses de cette 
façon et d'autres, il fut choisi, il y a peu de 
mois, pour enseigner la langue Toscane au duc 
d'Alençon, ce dont il tiraitde raisonnables profits. 
« Cet homme avait, pendant ce temps, fait 
quelques amitiés françaises, dont la plus intime, 
la plus importante, était La Môle, très en faveur 
près dudit Seigneur-duc, et qui aujourd'hui est 
en prison. .Mais, soit que ce fut sa destinée, soit 
qu'il Teût mérité, il a paru bon à Sa Majesté (la 
reine-mère) il y a quatre jours (c'est-à-dire le 
22 avril) de l'avoir [Cosme Ruggieri] en son pou- 
voir. Celui-ci, prévenu, partit de la Cour où il 
était, le XXII courant et s'en vint, non à Paris, 
mais dans les faubourgs hors Paris où est ma 
maison (i)... » 

(1) Dépêche d'Alamanni au prince héritier de Toscane ; 
Paris, 26 avril 1574. (Même source que ci-dessus ; t. III, 
pp. 920 à 923 {Traduction inédile). 



CATHERINE DE MEDICIS 195 

Alamaiini le reçut donc chez lui sans rien 
soupçonner. Mais ayant été averti par l'un des 
capitaines chargés d'arrêter l'astrologue, l'am- 
bassadeur toscan consentit à livrer le fugitif à cet 
ofQcier. Gosme fut arrêté au sortir de chez Ala- 
manni, celui-ci n'ayant pas voulu que l'arres- 
tation eût lieu en son domicile. 

Catherine de Médicis, apprenant les péripéties 
de cette arrestation, accusa l'ambassadeur toscan 
d'être complice del'envoûteur. Alamanni se ren- 
dit sans retard à la Cour pour se justifier : 

« Je dis, ajoute-t il dans sa dépêche précitée, 
je dis que ce Gosme n'était pas connu de moi 
sinon depuis que j'étais en France, sachant à 
peine, bien qu'il fût Florentin, qui il était (i). » 

Cette justification bien accueillie du Roi et 
de la reine-mère, Alamanni ne fut pas davan- 
tage inquiété. 

Gosme Ruggieri aussitôt arrêté, Catherine 
donnait l'ordre à Lanssac d'aviser de cette arres- 
tation le procureur général du parlement de 
Paris : 

(1) Dépêche d'Alamanni précitée. 



196 CATHERINE DE MEDIGIS 

(( Monsieur, 

v< La Royne-Mère du Roy m'a commandé vous 
escripre que le petit Cosme, négromancien que 
vous sçavez, a estéprins prisonnier et mis entre 
les mains du Presvostde l'Hostel qui a comman- 
dement de le vous amener affm de le faire dili- 
gemment et incontinent interroger, ouijr et très 
expressément examiner par Messieurs les Pré- 
sidents premier et de Boinville, et surtout le 
faire interroger sur certaines ymaiges de cire 
qu'on dict qu'on a trouvées parmy les besongnes 
de la Molle ainsi qu'a dict le Lieutenant du Che- 
valier du Guet et dont ladicte dame Royne avoit 
commandé à M. de Bonneuil, filz de Monsieur 
le premier Président, d'en avertir mon dict sieur 
le premier Président, pour en sçavoir la vé- 
rité, dont Sa Majesté a grand désir de sçavoir 
des nouvelles. Si vous en sçavez, vous me ferez 
grand plaisir d'en mander par ce porteur. Et ce 
tant, je me recommande très affectueusement 
à vostre bonne grâce. 

« Du boys de Vincennes ce vingt-deuxième 
d'Apvril 1574. 

« Votre obéissant et parfaict amy à vous ser- 
vir. 

« Lanssac (1). » 



CATHERINE DE MEDICIS 197 

Mais une chose que le duc d'Alençon n'avait 
pas avouée à sa mère, c'est que lui aussi pos- 
sédait une amulette préparée par Cosme Rug- 
gieri, et dont le port constant sur la poitrine 
devait favoriser l'exécution des projets que ce 

HumillSSimo jerut^ 

Signature de l'astrologue Gabriel Simeoni. 
{Man. B. N.) 

quatrième fils de Catherine avait conçu contre 
son frère. Pressé de questions, il finit par révéler 
à sa mère la possession de ce talisman. Cosme 
Ruggieri ne voulant rien dire, la reine-mère se 
servit de la découverte nouvelle qu'elle venait 
de faire en la personne du duc d'Alençon, pour 
obliger Tastrologue à entrer dans la voie des 
aveux. Voici ce qu'elle même écrivit à ce sujet 
au procureur général ; 

(1) Original conservé à la Bibliothèque nationale; manus- 
crit, fonds Dapuy, n° 590, fol. 26. 



19S CVTIIERINE DE MEDIGIS 



« Monsieur le Procureur 

« A ce soir l'on me dit de vostre part que 
Cosme ne disoit rien ; c'est chose certaine qu'il 
a faict ce que mon fils d'Alençon avoit sur luy, 
et que Ton m'a dict qu'il a faict une figure de 
cire à qui il a donné des coups par la teste, et 
que c'est contre le Roy, et que laditte figure a esté 
trouvée parmy les besongnes de la Molle ; aussy 
que où il logeait à Paris il a beaucoup de mes- 
chantes choses et délivres et aultres papiers; je 
vous prie d'en advertirde ma part, de tout ce que 
dessus, le premier Président et le Président Hen- 
nequin, et me mander tout ce qu'il aura confessé, 
et si ladite figure s'est trouvée, et qu'au cas 
qu'elle soit faicte que je la voye. 

« Du boys de VincenneS; le vingt-neuvième 

d'Apvril. 

« Je suis, 

« Caterine (i). » 

Le même jour, à onze heures du soir, la reine- 
mère ayant recueilli quelques détails complé- 



(1) Original conservé à la Bibliothèque nationale ; manus- 
crit, fonds français, n» 18452, fol. 1. 



CATHERINE DE MEDICIS lOf) 

mentaires sur cette affaire, adressait à la Guesle 
les curieux détails que voici : 

« MoNS[EUR LE Procureur, 

« Je vous envoyé ce porteur, qui est à moy, 
qui vous dira ce que le Lieutenant du Prévost de 
FHostel luy adict, que Cosme luy dit, quand il le 
prit, et affin qu'il ne change je luy ay faict dire 
et je vous Tescrisicy ; qui est que le dict Cosme 
incontinent quilfut pris, luy demanda si le Roy 
vomissoit et s'il saignoit encores ; et s'il avoit 
douleur de teste et comment il alloit de la Mole 
et qu'il l'aymeroit tant qu'il vivroit. Faictez luy 
tout dire, et envoyez quérir le dict Lieutenant et 
communiquez la présente au premier Président et 
au Président Hennequin ; et que l'on sçache la vé- 
rité du mal du Roy, et que Ton luy fasse deffaire 
s'il a faict quelque enchantement pour faire aimer 
La Molle à mon fils d'Alençon, qu'il le deffasse. 

« A onze heures du soir, ce vingt-neufièsme 

d'Apvril. Je suis, 

« Caterine (i). » 



(1) Original conservé à la Bibliothèque nationale] manus- 
crit, fonds français, n» 18452, fol. 2. 



200 CATHERINE DE MEDICIS 



Ainsi le fait se précisait : Charles IX était en- 
voûté. Il était la proie de ce que le docteur 
Johannès intitule le crime des crimes. 

L'envoûtement ! Ce nom seul a quelque chose 
de terrifiant. C'est l'acte le plus sourd, le plus 
sombrement dangereux, le plus complexe de 
tous les actes de la, magie noire. C'est la con- 
quête d'une existence par une autre plus virile, 
plus magnétiquement forte. C'est la fixation, la 
concentration sur le voit de tous les principes 
vitaux de l'être qui doit mourir. C'est la mysté- 
rieuse personniflcation de l'ennemi en un gro- 
tesque modelage de cire vierge dans lequel 
entrent des cheveux, des rognures d'ongles, des 
excréments même, provenant de la personne dé- 
signée. C'est aussi le crapaud qui, d'après les 
goétiques rites a été préparé, élevé, nourri dans 
les conditions les plus favorables pour que la 
blessure qui sera faite à ce batracien, constitue 
réellement une source d'épuisement pour l'en- 
voûté. C'est la pire des machinations où l'ago- 
nisant se sentant enserré dans des rets invisibles, 
assiste à sa propre extinction, sans lutte, sans 
défense, sans espoir. 



CATHERINE DE MEDICIS 201 

Les distances ne comptent pas dans l'envoû- 
tement; et à travers l'espace, le magicien noir 
réduit son adversaire à l'impuissance. Par des 
gestes autoritaires, par des vociférations, par 
des imprécations brutales, par des appels aux 
forces infernales semeuses de discordes, Ten- 
voûteur assassine lâchement dans les ténèbres(i). 

On comprend alors tout ce qu'une telle pra- 
tique devait avoir d'affolant pour les imagina- 
tions du XVP siècle. Et si quelque sentiment 
maternel existait encore dans le cœur de Cathe- 

(1) Sur les théories diverses de Venvoûlement voir : Les cu- 
rieuses et savantes études de M. de Rochas d'Aiglun; le 
livre fort intéressant de Jules Bois sur le Satanisme et la 
Magie; la brochure du docteur Papus intitulée Peuî-on 
envoùîerl (1893) et à laquelle, en 1904, Marius Decrespe répon- 
dit par sa lettre ouverte où il démontre que VOn peut envoû- 
ter et où il explique le mécanisme de Venvoûlement. Voir 
aussi Y Envoûtement expérimental de Porte du Trait des Ages, 
brochure publiée en 1904 ; VÉtude sur Venvoûlement publiée 
en 1906 par J. Phaneg, et les Envoûtements d'amour du doc- 
teur J. Regnault. En ce qui me concerne, j'ai assisté, alors 
que je collaborais à la revue les Forces Mentales en 1907, aux 
troublantes expériences d'envoûtement exécutées par C. 
R. Sadler, expériences basées sur celles de M. de Rochas et 
qui démontrèrent péremptoirement la possibilité de ces 
criminelles actions occultes, que les lois modernes recon- 
naîtront et puniront certainement un jour, tout comme 
elles inquiétèrent les juristes de jadis. Il est bien entendu 
que je ne parle que de l'envoûtement basé sur le sommeil 
hypnotique, le seul qui, scientifiquement, a été expliqué et 
prouvé. 



202 CATHERINE DE MEDICIS 

rine, on conçoit toute l'inquiétude qui put naître 
en elle devant les statuettes de Cosme Ruggierï, 
personnifiant son fils. On devine toute la frayeur 
qui dut la saisir, elle qui, quelques années aupa- 
ravant, avait chargé ce même nécromant d'en- 
voûter les Condé, Coligny et d'Andelot, pour 
détruire sous le souffle magique ces trois exis- 
tences qui la gênaient. 



Egalement mis à la torture, Coconas ne crai- 
gnit pas d'affirmer les relations étroites que son 
ami La Môle entretenait avec Gosme Ruggieri. 
Jean Le Laboureur nous a laissé des extraits de 
l'interrogatoire subi par les accusés. Voici quel- 
ques réponses de Coconas : 

« Interrogé que c'est de l'image de cire, a dit 
qu'il n'en sçait rien et que Gosme et La Môle 
s'entretiennent comme les doigts de la main. 

« Interrogé s'il sçait qu'on ait fait quelques 
portraits ou caractères contre le Roy, a dit que 
non, et qu'il en parloit en bas à un capitaine de 
ceste ville qui luy a dit qu'ils avoient rompu 
toutes les bagues de La Môle et avoit demandé 
au dit capitaine s'ils avoient rompu une grosse 



CATHERINE DE MÉDICIS 



203 



bague comme le doigt, et que s'il y avoit quel- 
que chose on le 
trouveroit là. 

(( Il dit encore 
que quant à atten- 
ter à la personne 
du Roy, il n'en 
entendit jamais 
parler. 

« Interrogé s'il 
sçavoit autre 
cliose de la figure 
de cire, a dit que 
non et que s'il y a 
homme qui en sa- 
che quelque chose 
c'est Cosme (i). » 

Cependant, Pe- 
lât du roi empi- 
rait. Le charme 

n'était pas conjuré ; et une note anonyme de 
l'époque nous décrit le piteux état de Charles IX 
qui agonisait: 




Figure alchimique 

tirée du grimoire 

DE Pierre Grandry. 



(1) Le Laboureur, Addition ci de Casîelnau, t. II, p. 408, 
Pierre Bayle, t. II, p. 981 aux remarques A et E. Voir ausbi 
]\]ÉZERAY, Abrégé chronologique, t. V, p. 180. 



204 CATHERINE DE MEDICIS 

« Le Roy, dit ce document, par l'indisposi- 
tion de sa personne et longueur de maladie, est 
réduit en telle maigreur et foiblesse qu'il n'a 
plus que la peau et les os, et les jambes et 
cuisses si amoindries et atténuées qu'il ne se 
peust soustenir; mercredy dernier se trouva tant 
failly de haleine et paroles à l'occasion du flux 
de sang par la bouche, qu'on en attendoit plus la 
mort que la vie, mais depuis sa saignée s'est 
mieux trouvé. Vray est que hier la nuit il fut 
plus esmu que de coustume et n'entroit-on point 
dans sa chambre ; mais, le soleil se haussant;, 
la Royne y vint et 'y entrèrent assez de gens, 
mesmement les prestres qui y firent le service 
où se trouva la Royne sa mère (i). » 

I^es débats marchèrent promptement, Cosme 
Ruggieri subit également la torture ; et bien 
qu'il fût le principal inculpé dans la partie sor- 
cellerie du procès, il fut assez adroit pour s'en 
tirer relativement avec avantage. Pendant que 
La Môle et Coconas étaient condamnés à la peine 
capitale, pendant que l'alchimiste Grandry voyait 
pendre son secrétaire et que lui-même peu de 
jours après était arrêté avec d'autres gen- 

(1) Record office : Stade papers France, anonyme et sans 
date. 



CATHERINE DE MEDICIS 205 

tilshommes (i), Cosme Ruggieri était simple- 
ment envoyé aux galères. 

Le 3o avril i574, la chambre des Tournelles 
clôturait cette singulière affaire en rendant l'ar- 
rêt suivant, publié ici pour la première fois : 

« Veu par la Cour, les chambres et Tournelle 
assemblées le procès criminel et extraordinaire 
faict pour raison de la conspiration et conj uracion 
faicte contre Pestât du Roy en son Royaume, a la 
requeste du procureur général du Roy, allencon- 
tre de Joseph de Bonnifaice, sieur de la Molle, 
prisonnier es prisons de la conciergerie du pallais 
a Paris; conclusions dudit procureur général, où, 
et interrogé par ladicte cour plusieurs jours, 
iceiluy de la Molle, sur les cas, crimes etdélicts 
a lui imposez et tout considéré: il sera dit, que 
la cour a déclaré et déclare ledit Bonnifaice, 
attainct et convaincu de crime de lèze-Majesté; 
et pour la réparation dicellela condemnéa estre 
décapité sur ung eschaffault, qui sera dressé 
en la place de grève, son corps mis en quatre 
quartiers, qui seront attachez à quatre pottances, 
qui seront mises hors les quatre principalles por- 
tes de ceste ville. Et sa teste, mise sur ung pot- 

(1) Alamanni, dépêche au prince héritier de Toscane, 
25 avril 157i ; source précitée. 

12 



203 CATHERINE DE MEDICIS 

teau qui sera planté en ladicte place de grève; 
et déclaré tous et chacuns les biens dudict de la 
Molle enquis et confisquez au Roy. Et néanmoins, 
auparavant ladicte exécution, ladicte Cour a or- 
donné que ledit Bonniface, sera mis en torture 
et question, pour savoir par sa bouche, ceux qui 
sont participans de ladicte conspiration et con- 
juration. 

« Mesme arrest a esté donné contre Amieral 
de Coconnas. 

« Iceux arrèstz, ont esté prononcez et exécut- 
téz le XA^.Y^ jour d'Avril 1674 (1). » 

Cet arrêt fut exécuté à la lettre. En montant 
à Téchafaud, Coconas prononça la conclusion 
que Ton pouvait tirer de cette affaire : « Messieurs, 
dit-il aux courtisans témoins de l'exécution, vous 
voyez que les petits sont pris et que les grands 
demeurent, eux qui ont fait la faute (2). » 

La nuit venue. Madame de Nevers et sa com- 
pagne la reine Margot, vinrent en place de Grève 
avec leurs serviteurs, et enlevèrent les têtes des 
deux suppliciés, fichées sur deux poteaux. Puis, 

(1) Arrest donné contre La Molle et Coconnas, criminelz de 
lèze Maiesté, le XXX^ d'avril 1574. Archives nationales : 
Registre des Arrelz donnez contre aulciins Princes, etc. (U. 785. 
R, fol. 118, 119 et 120). Document inédit. 

(2) U Esprit de la Ligue : livre quatrième, t. II, p. 91. 



CATHERINE DE MÉDICIS 207 

dans leurs carrosses, elles firent transporter ces 
restes chez elles, pour donner à leurs amants 
une sépulture digne des heures agréables qu'elles 
avaient pu vivre au contact de ces lèvres blémies. 
Mais avant de les livrer à la terre, dans la cha- 
pelle Saint-Martin à Montmartre (i), elles voulu- 
rent picturalement en perpétuer le souvenir tra- 
gique. En un tableau étrangement impression- 
nant, récemment signalé par un chercheur dans 
une collection particulière d'Auvergne, les traits 
fins et sévères de La Môle aux cheveux noirs pla- 
qués sur les tempes, et la carnation splendide- 
ment blonde de Coconas, furent fixés par un 
artiste anonyme. Posées sur un plat d'argent à 
godrons, la tête de La Môle à droite et celle de 
Coconas à gauche, éternellement se regardent 
dans la mort (2). 



Cette double exécution sembla verser un peu 
de calme dans Tâme de Charles IX. A la cour, 
les partisans du roi et de la reine-mère consi- 

(i) Le Divorce satyrique, ou les amours de la reyne Margue- 
rite, pp. 197 et 198. 

(2) Intermédiaire des chercheurs et curieux, 10 décem- 
bre 1908, pp. 878 et 879, article signé : Cz. 



208 CATHERINE DE MEDICIS 

dérèrent que le sortilège étant ainsi détruit, 
tout danger mortel était désormais éloigné de 
la personne royale. Le chroniqueur anonyme 
déjà cité nous donne quelques détails, dignes 
d'attention, sur Tépilogue de ce drame : 

« Depuis qu'il a entendu l'exécution de Coco- 
nas, dit cet observateur, le Roy a meilleur vi- 
sage que devant, disant qu'il esperoit tant vivre 
qu'il verroit la fin de ces conspirateurs contre 
lesquels il se montra fort ennemy et demandant 
fort la vengeance. M*" le duc d'Alençon, entendant 
Testât du procès de la Môle et du conte de Co- 
conas, supplia le Roy de leur pardonner, ou à tous 
moyens leur remettre la mort, publique et igno- 
minieuse ; il en a esté refusé, puis se retira à la 
Reine sa mère et à genoux la supplia, puisqu'il a 
receu tant d'honneur que d'estre son filz, qu'elle 
luy fasse ceste faveur et prière envers le Roy que 
ses gens ne meurent pas par supplice publique et 
que, s'il est possible, elle obtienne du Roy leur 
rémission. En parlant, cette dame obtint du Roy 
le supplice secret, comme aucuns disent, et que 
Ton escriproit au parlement pour surseoir l'exé- 
cution ; mais le porteur des lettres arrivant à 
Paris trouva la porte Saint-Antoine fermée, 
et cependant l'exécution du supplice fut telle- 



CATHERINE DE MEDICIS 209 

ment avancée qu'en un moment ils furent tous 
deux exécutés, ce que l'on dict avoir esté faict 
par l'avertissement d'un parfumeur milanois 
nommé René qui vint raconter le cas au premier 
Président, comme il estoit passé en court, di- 
sant davantage que la Reine-mère avoit obtenu 
leur rémission, qui fut cause de les faires sortir 
plus tost de la Conciergerie et de faire cheminer 
hastivemeut la charette et incontinent qu'arri- 
vèrent en Grève de les faire exécuter sans faire 
les proclamations accoustumées. La mesme 
après-disner, furent constitués prisonniers deux 
astrologiens, faisant profession de la judiciaire, 
i'ung Italien nommé messire Novio, pension- 
naire de la Reine-mère, et Paultre François 
nommé La Rrosse, demeurant ès-faubourg Saint- 
Germain- des-Prés, et ont esté confrontés à ung 
Italien nommé Cosme, natif de Florence, aussy 
pensionnaire de la Reine-mère, auquel a esté rasé 
tout le poil. Le conte Charles de Mansfeld, qui 
naguères avoit espousé la fille aisnée du mares- 
chal de Brissac, s'est trouvé coupable de cette 
entreprise et s'est retiré doucement au Luxem- 
bourg et a esté poursuivi jusqu'en Lorraine. De- 
puis que M^' le Duc entendit l'exécution de La 
Mole, il en prist tel deuil qu'il en est tombé 

12. 



210 CATHERINE DE MEDICIS 

malade, gardant le lit et la chambre où peu de 
gens ont entré, ne cessant de soupirer et de pleu- 
rer, regrettant sa condition et sa fortune (i). » 

Messire Novio et François Labrosse, ces deux 
confrères de Cosme Ruggieri en astrologie, ne 
restèrent pas longtemps sous les verrous ; le 
24 Toam, Alamanni nous annonce leur libération 
en ces termes : 

(( Les astrologues, qui avaient été tous faits 
prisonniers^ ont été relâchés, excepté Cosme 
qui a été condamné pour neuf ans aux galères, 
à cause de certaines figures faites pour La Môle 
comme talismans d'amour. Mais comme il a 
été trouvé innocent de ce dont il était accusé 
contre le service du Roi, je crois qu'il n^ira pas 
étant passablement soutenu par ses amis (2). » 

Un autre document inédit nous apprend 
qu'environ trois semaines après l'exécution de 
La Môle et de Coconas, le procureur royal or- 
donna une nouvelle série d'arrestations dans 
laquelle nous trouvons l'alchimiste Grandry et 
plusieurs autres gentilshommes calvinistes : 

(1) Record Office. Stade papers, France. Note anonyme de 
répoque reproduite dans le Seizième Siècle et les Valois, 
pp. 389 et 390, par La Perrière. 

(2) Alamanni, dépèche adressée au prince héritier de Tos- 
cane, 2i mai 1574 (source précitée). 



CATHERINE DE MEDICIS 211 



« Veu par la Court, la grand chambre et 
Tournelle assemblés, le procès criminel faict à la 
requeste du procureur général du Roy pour rai- 
son de la conspiracion faicLe contre l'Estat du 
Roy et son royaulme, conclusions dudict Procu- 
reur général, et tout considéré, ladicte Court a 
ordonné que les seigneurs de Thore, Derniers, 
viconte de Thurenne, le seigneur de Grandry dict 
Grandchamp (i), les appelez Lanocle l'aisné, 
Lanocle le jeune, Montagu le jeune, lecappitaine 
Luynes, Tourtaypère, le seigneur de La Vergue, 
le cappitaine Beauchamps, Ponttrain cy-devant 
advocat et à présent de robe courte, Bournon- 
ville qui est à présent au service de Thore, ung 
nommé Lainet Pierre par cy-devant Trésorier de 
la cause, le seigneur de Châteaubrandeau, son 
frère bastard, un nommé Mathare solliciteur de 
la dame de Chaulsné, les nommez Ferrailles, 
Duvau, demourant à Meillant en Auvergne, 

(1) Pierre de Grandry dit Grandchamp, subit deux interro- 
gatoires : le^premier le 14 avril 1574, l'autre le 27 du même 
mois. Au cours du premier interrogatoire, un sieur de Bri- 
non qui ne figure pas sur la liste dressée dans Tarrêt royal 
sus-cité, fut confronté avec Pierre de Grandry. Le détail de 
ces interrogatoires et confrontation, est contenu dans les 
Archives curieuses, 1"^' série, t. VIII, pp. 168, 170, 198 ; et 
le procès-verbal de la question appliquée à La Môle le 
30 avril, p. 208. 



212 CATHERINE DE MEDICIS 

Horne, Denville qui est mareschal de la compai- 
gnye du seingneur de Meru, et ung nommé 
Hercules seront prins au corps et amenez pri- 
sonniers es prisons de la Conciergerie du Palais 
à Paris, pour estre adroit, et s'ilz ne peuvent 
estre pruis, seront ajournez à troys briefs jours 
à son de trompe ou cry public en ladicte Court, 
leurs biens saisiz et dimissoires y establiz jus- 
ques à ce qu'ilz ayent obéy. 

« Et sera Fexécution de ce présent arrest, faicte 
par vertu de Fextraict d'icelluy par le premier 
des huissiers de ladicte Court ou sergent Royal, 
sur ce requis. Faict en Parlement ce vingt-et- 
unième jour de may, l'an 1574. 
« Collacion est faicte. 

« MOELORZ (1). )) 



On a vu que Cosme Ruggieri avait été con- 
damné aux galères. Mais si l'on en croit de Thou 
et Mézeray, la reine-mère ne pouvait ainsi se 
passer de son astrologue, et elle s'empressa de 

(1) Bihliolhèque nationale. Manuscrit, fonds français, collec- 
tion Dupuy, t. 590, fol. 23 et recto. Extrait des registres du 
parlement, copie authentique sur parchemin. Document mé- 
dit. 



CATHERINE DE MEDICIS 



213 



le faire revenir à la cour ainsi que Tavait prévu 
Aiamanni : « La 
reyne-mère, dit 
Mézeray, fort cré- 
dule en matière 
de devins et de 
sorciers, Ten tira 
quelque te m s 
après pour s'en 
servir (i). » 

D'après Jean le 
Laboureur, Ca- 
therine aurait au 
contraire voulu 
voir pendre Gos- 
me ; voici en quels 
ternies s'exprime 
à ce sujet le pané- 
gyriste de la reine 
de Pologne: « S'il 
est vrai que Cos- 
me, dit-il, débita 

des charmes, il en garda un fort bon contre la 
corde, et qui luy réussit de Florentin à Floren- 




Talisman astrologique 
dressé par cosme ruggieri. 



(1) MÉZERAY, Abrégé chronologique, t. V, p. 180, année 
1574. 



2U CATHERINE DE MEDICIS 

tine. Catherine de Médicis le vouloit pendre et il 
ne voulut pas. Et toute la satisfaction qu'elle 
eut, fut de le voir à la chaisne où il n'eut autre 
peine que du voyage de Marseille. Il y fit des 
amis qui obligèrent le capitaine de sa galère à 
le loger chez luy, et jamais sa maison ne fut si 
fréquentée pour sa considération que pour celle 
de cet illustre forçat, qui en fit une académie de 
mathématiques et d'astrologie judiciaire et qui 
avait un garde qui sembloit plus luy estre donné 
par honneur que pour l'observer et pour empê- 
cher qu'il n'échappast (i). » 

Gosme Ruggieri revint donc à la cour auprès 
de Catherine, où il continua ses fonctions de 
conseiller occulte. Mais son rôle maintenant est 
très effacé. C'est à peine si, en i58o, Sarucini, 
ambassadeur toscan à la cour de France, nous 
signale ♦au pasfe»age l'attachement que l'envoû- 
teur continue de pratiquer à l'adresse de l'ancien 
duc d'Alençon, devenu duc d'Anjou en iSyô : 

« Un certain Gosme Ruggieri, écrit cet am- 
bassadeur, qui en d'autres temps a essuyé en ce 
pays beaucoup de bourrasques à cause de l'atta- 
chement absolu qu'il a toujours porté à Mon- 

(1) Jean Le Laboureur, Addition à Casîelneau, t. II, p. 408, 
et Pierre Bayle, t. II, p. 982. Édition de 1697. 



CATHERINE DE MEDICIS 215 

sieur, se trouve aujourd'hui passablement en 
faveur près de Son Altesse, toutefois après M. de 
Mende (i). » Et en conclusion Sarucini ajoute 
que Gosrne est un « homme perspicace, très 
mêlé aux affaires intimes du prince (2) ». 

Pendant tout le règne de Henri III, on le voit 
peu paraître. Ce Roi, qui était cependant, comme 
sa mère, très avide de merveilleux, semble ne 
pas avoir accordé sa protection à l'astrologue 
florentin ; aucun document, à notre connaissance 
du moins, n'en fait authentiquement mention. 
Mais avec Henri IV il y eut encore des heures 
de confiance royale pour le favori de Catherine. 
Il est vrai qu'il connut aussi les ennuis renouve- 
lés d'une accusation de tentative d'envoûtement 
sur la personne de Henri IV, au château de 
Nantes. 

C'est en 1697 qu'un certain familier rapporta 
au roi que Cosme Ruggieri, dans le cabinet par- 
ticulier qui lui servait à la fois et de laboratoire 
et d'atelier de peinture, s'enfermait tous les soirs 
à des heures bien déterminées, pour piquer à 

(1 et 2) Regnaud de Beaune, alors évèque de Mende, et 
plus tard évêque de Bourges. [Dépêche de Sarucini au grand 
duc de Toscane; Paris, 3 janvier 1580. Négociations diploma- 
tiques entre la France et la Toscane, t. IV, pp. 279 et 280. Tra- 
duction inédite de M. Léon Marlet.) 



21G CATHERINE DE MEDICIS 

coups d'aiguille, une image de cire fabriquée à 
l'effigie de Henri IV. L'envoûtementde Charles IX 
était encore dans toutes les mémoires de l'en- 
tourage royal, et il n'en fallut pas davantage 
pour affoler à nouveau les courtisans. Sur Tordre 
de Henri IV, Cosme Ruggieri fut arrêté, pen- 
dant que le président de Tliou et Charles Tur- 
cant étaient chargés d'instruire cette affaire de 
sorcellerie (i). 

Interrogé, Cosme se défendit avec habileté. 
Il rappela les événements de 1674 et déclara aux 
juges que les soupçons de magie, dont plusieurs 
personnages l'avaient chargé, reposaient uni- 
quement sur la science astrologique avec la- 
quelle il avait certes prédit beaucoup d'événe- 
ments tous survenus selon ses calculs, mais que 
l'astrologie ne constituait nullement une science 
diabolique. Il ajouta que, d'ailleurs, depuis qu'il 
était abbé de Saint-Mahé, il ne s'occupait plus 
d'astrologie, ni de sciences magiques. Enfin, il 
insista tout particulièrement sur ce qu'après la 
Saint-Barthélémy, la reine-mère lui ayant de- 
mandé l'horoscope du prince de Condé et du 

(!) DeTuov, Mémoires. Livre VI, pp. 671 et 672. Voir aussi 
Panthéon littéraire, Paris, Desrez, 1836, pour l'édilion de ces 
mémoires, et Pierre Bayle, t. II, p. 983. 



CATHERINE DE MEOICIS 217 

roi de Navarre, il avait sauvé ces deux princes 
en déclarant à Catherine que, suivant ses pro- 
nostics, aucun trouble n'était à redouter de ces 
deux personnages, assurant que cette réponse 
seule les préserva des dangers de mort qui les 
menaçaient sûrement à cette époque. Il chargea 
même, dit-il, François de la Noue d'assurer se- 
crètement le roi de Navarre et le prince de 
Gondé de son affection, et de leur transmettre 
cette réponse faite pour eux à la reine-mère. 
Cosme Ruggieri conclut de ces déclarations 
« qu'un si grand service rendu jadis à Sa Majesté 
démontrait suffisamment la fausseté des accusa- 
tions portées contre lui ». 

De Thou présenta cette défense à Henri IV 
qui répondit « qu'en effet, il se souvenait par- 
faitement de tous ces détails, et qu'au surplus 
il se confiait à la Providence et ne craignait rien 
de ces sortes de maléfices ou charmes, bons 
tout au plus à effrayer des femmelettes ou 
enfants ». Henri IV ordonna aussitôt de cesser 
le procès et de mettre immédiatement Cosme 
Ruggieri en liberté. De Thou ajoute que cer- 
taines dames nobles avaient déjà sollicité la 
grâce de l'astrologue auprès du roi, et que ces 
sollicitations reposaient sur de grandes obliga- 

13 



218 CATHIÎRINE DE MEDICIS 

lions amoureuses qu'elles avaient à ce Florentin. 
Peu de temps après cette affaire, Cosme Rug- 
gieri obtint une pension d'historiographe. Mais 
à partir de i6o3 il se retira en son abbaye de 
Saint-Mahé où il rédigea annuellement des 
almanachs et calendriers sous les noms de 
Jean Querberus, Varieras et du Pèlerin pleureiix 
de Savoie, Ces almanachs-, qui étaient publiés à 
Paris, chez Claude de Montr'a il (i), sontaujour- 



(1) Je dois à Tamicale obligeance de Camille Piton la 
découverte à la Bibliolhcque nationale de deux exemplaires 
des almanachs de Cosme Ruggieri, curieux documents cjui 
n'ont jusqu'alors jamais été signalés aux chercheurs ama- 
teurs de sciences occultes, et dont voici les titres et cotes 
de classement : 

1° « Discours et pronostication très ample, sur la grande 
conjonction qui s'est faicte des deux plus haultes planettes, 
le vingt-quatrième de décembre dernier 1603, et des éclip- 
ses de lan passé dont évènemens viennent en cette année 
1604, an bissextil. Avec très-amples prédictions sur les mois 
pour toute ceste année, faictes en latin par le très-excellent 
mathématicien Jean Ouerberus, alleman-médecin et mathé- 
maticien de Tempereur, et réduict aux méridians de France, 
avec l'almanach et calendrier. A Paris, pour Claude de Mon- 
tf'œil, marchand-libraire tenant sa boutique à la Cour du 
Palais, au nom de Jésus. 1604. Avec privilège du roy. » 
(Bibliothèque nationale. Réserve-p. V = 89 ; brochure in-8 de 
32 pages.) » 

2° « Almanach et pronostication pour l'an de grâce bis- 
sextil Mil six cent quatre, composé par Jean Querberu&, 
Allemand-médecin et mathématicien de l'empereur. A Paris, 
pour Claude de Montr'œil, marchand-libraire tenant sa bou- 



CATHERINE DE MEDICIS 219 

d'hui introuvables. Ils contiennent des prédic- 
tions bizarres, des observations astrologiques 
et astronomiques, et notamment des vers et 
maximes diverses tirés d'auteurs latins. 

Cependant bien qu'éloigné de la cour de 
Henri IV, Gosme Ruggieri ne cessait d'être en 
relations suivies avec le roi. En 1608, à Fon- 
tainebleau, venait au monde le troisième fils 
de Henri IV et de Marie de Médicis^ Jean- 
Baptiste-Gaston d'Orléans, duc d'Anjou; et 
Henri IV demandait à Gosme Ruggieri le thème 
de nativité de ce nouvel héritier, ainsi qu'une 
consultation personnelle sur la situation du 
royaume au moment de cette naissance. A cette 
demande, Gosme répondit par l'horoscope sui- 
vant, publié ici pour la première fois : 

« Sire 

« j'ai différé jusques à présent à vous envoyer 
la nativité de Monseigneur vostre fils le duc 
d'Anjou, parce que le meslange des constella- 
tions et aspects y est telle que j'y voy la nécessité 
de plus d'une foys supputer, estudier, consi- 

tique en la Cour du Palais au nom de Jésus. 16C4. Avec pri- 
vilège du roy. » {Bibliothèque nalionale, Réserve-p. V = 90 ; 
brochure n-8 de 16 pages.) 



220 CATHERINE DE MEPICIS . 

dérer et digérer meurement le tout et en consi- 
dérations des astres et configurations cy-bas 
remarquées (i), j'en fais le jugement qui s'en- 
suit : 

« Qu'il vivera fort longtemps et par le moins 
jusques à soixante et quinze ans (2), sauves les 
calamités universelles desquelles aussi à sa 
naissance le contreguardera biaucoup. Il est 
vray que jusques à six ans, à cause qu'il aura 
le sang autrement plus chaud qu'à son petit 
eâge n'est ordinaire, il ne sera que très bien faict 
que de le faire encor vivre en n'échauffant le sang. 
Au reste, selon les astres, il sera d'une moyenne 
et fort belle stature de corps, assez biau, et de 
bonne grâce, un peu brusque en visage, mais 
néant-moyens de belle majesté outre qu'il sera 
naturellement doué de belles et grasieuses ma- 
nières, aura les yeux grands et noirs, les che- 
veux antièrement frizës; la complession sera 
normale et blanche, et sera l'eâge subject aux 
gouttes, mais en aultres choses très sain et de 
robuste complession. 



(1) Voir page 113 du présent volume la figure horoscopique 
accompagnant ce texte, 

(2) Gaston d'Orléans mourut à Blois en 1660. Il n'était 
donc âgé que de cinquante-deux ans. 



CATIIEIUNK Dli MKDICIS 221 

« Sera de naturel fort soigneux, ingénieux, 
versé en beaucoup de belles choses, amateur 
des lettres et sciences, de naturel doux, bien 
gai comme ay dit, et aura la joye belle et un 
peu brusque, sera gran rémunérateur des servi- 
teurs, très grand capitaine et d'exact jugement 
et conseil en la guerre et aimé universellement 
de touts; fort libéral et habile pour conserver 
ses serviteurs et amis. Aymera bien les armes 
mais avec consentement de Testât auquel il sera 
fort affectionné et sera fort aisé toujours et com- 
mode en faict de richesses, lesquelles outre 
celles qui viendront par nature, acquerra avec 
les armes et par mariagge. 

« Les concours des astres lui promettent quel- 
ques dominations souveraines et non loing de 
la France. 

« Sera marié à une princesse veuve, ou atten- 
dra longtemps avant que de se marier, et ainsi 
plein de raisonnable eage épousera une folle. 
Au reste, sera extrêmement paillard et adonné 
au changement ou nature d'amour, et y sera 
fort heureux estant beau, grand, mâsle et libé- 
ral en ses plaisirs aussi. 

« Aura grand quantité d'enfants masles et fe- 
melles. L'un desquels sera si très heureux et aux 



222 CATHERINE DE MEDICIS 

armes et à tout, que à grand peine y en aura- 
t-il autre pareil de son vivant (i). 

« Sera très riche d'amis et serviteurs. Fera 
quelques voyages conduisant armées or de TEs- 
tat, mais non pas loin g. Voilà pour son regard. 
(Jaant à ce qu'il promet touchant Vostre Majesté 
et le règne, c'est que vous serez biaucoup recher- 
ché et des voysins et de plus éloignés d'amytiés, 
de considérations et dignes, mais par ce que 
nous avons pu supputer contrère tant à sa niiti- 
vité que en nostre révolution de non contents 
que de celui qui vient, Sire, outre ce que je vous 
ay dit en nostre révolution que les Francks se- 
ront plus cours avec les Anglais et Flamands 
qu'avec les Espagnols, parce que les ecclésias- 
tiques sont aussi compris ces soubs constella- 
tions. 

« Vostre Majesté doist avec sa prudence ac- 
coustumée et soin, particulier, considérer et 
pondérer ce que nous sera proposé de leur part, 
car il y aura beaucoup de finesse et de soubpti- 
lité en leur proposition une partye desquelles 
seront originères d'estrangers ou provenant 

(1) Gaston d'Orléans a laissé quatre filles et un gar- 
çon mort à Tâge de deux ans. Ainsi la prédiction de Cosme 
Ruggieri n'eut aucune valeur de réalisation. 




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224: CATIIEIIÏNE DE MEHICIS 

d'humeurs espagnolles dont ce royaUlme n'est 
encor net. 

« Au mesmement aussi ceste nativité est Theur 
de vos plaisirs mais plus avec jeunesse puérile 
qu'avec aultres, car comme vous ayjedit plusieurs 
foys, il y a quelque menée de femmes entière- 
ment contraire au bien et repos de TEstat. Je croy 
aussi par ceste nativité que bien tost nous 
aurons quelque nouvelle amour qui vous fera 
oublier ou cesser toute ancienne affection come 
nous désirerions en la révolution de cèst an. C'est 
l'endroit où je prye très humblement le Créateur, 
Sire, de donner heureuse fin à vos magnanimes 
désirs. 

« De Saint-Mahé le huitième d'Octobre 1608, 
« Très humble et très dévotieux vallet. 

« COSME DE ROGIER (l). » 

En i6i5 l'ancien astrologue de [Catherine re- 
parut à la cour où il devait finir ses jours, a La 
vieillesse, les gouttes et la gravelle, dit le Mer- 
cure François, l'ayant réduit à deux jours près 
de la mort, ses amis lui conseillèrent de penser à 

(1) Bibliothèque nationale : Horoscope de Gaston d'Orléans 
par CosME RuGGiERi. (Manuscrit de la collection Dupuy : 
vol. 590, fol. 280.) {Document inédit.) 



CATHERINE DE MEDICIS 225 

Dieu, et firent venir le Curédela paroisse Saint- 
Médard qu'il ne voulut voir. On luy mena des 
capucins; il se moqua d'eux. Et comme on luy eut 
représenté de se mettre en bon estât pour pou- 
voir obtenir la grâce de Dieu et craindre le 
jugement dernier : Fols que vous estes, leur 
dit-il, alleZj il n y a point d'autres diables que 
les ennemis qui nous tourmentent en ce monde, 
ny d'autre Dieu que les Roy s et Princes qui seuls 
nous peuvent advencer et faire du bien; f ai vescu 
en cette créance, et en cette créance Je veux mou- 
rir (i). Les capucins, ajoute le père Garasse, 
n'oublyèrent ny douceur de paroles, ny rigueur 
de menaces pour le remettre en bon chemin ; mais 
ce kit en vain, car dès lors il alla toujours pro- 
férant de plus en plus de très horribles blas- 
phèmes, comme Lucilio sur le bûcher, jusques 
à ce qu'enfin il finit sa malheureuse vie comme 
Judas. » 

Cette profession d'athéisme, au moment su- 
prême, excita l'indignation du peuple et surtout 
celle du clergé qui décida que la sépulture en 
terre sainte serait refusée au corps de Ruggieri. 
Le maréchal d'Ancre Concini, dont la femme 

(1) Mercure François, t. IV, p. 46, et la Doctrine curieuse du 
P. Garasse, pp. 156 et 157. 

13. 



226 CATHERINE DE MEDICIS 

Léonora Galigaï avait eu des rapports de sor- 
cellerie avec Ruggieri, intervint auprès de 
rÉvêque de Paris pour que l'astrologue-envoû- 
lour fût inhumé en terre consacrée. Mais celte 
démarche fut inutile; l'Evêque persista dans sa 
décision, et le cadavre de Cosnie fut traîné sur 
la claie, puis jeté à la voirie (i). 

Parlant de la science occulte de ce person- 
nage, le Mercure François ne manque pas de 
faire allusion au célèbre drame d'envoûtement 
de Charles IX : « Gosme Ruggieri, dit le ré- 
dacteur de cette publication, promettoit des 
images pour charmer les cœurs d'amour ou de 
haine. Les unes pour rendre les femmes amou- 
reuses de ceux qui les recherchoient, et. les 
autres pour faire mourir en langueur telles per- 
sonnes que Pon voudroit en prononçant leurs 
noms et en invoquant certains démons. Ce mal- 
heureux roula jusques en Tan M. DCIV en ce 
métier infâme, tout Abbé qu'il estoit, servant aux 
passions desréglées de tous les courtisans des- 
bauchez (2). » 

(1) Hayem, Maréchal d'Ancre, Paris, 1910, in-8, p. 97, cita- 
tion faite d'après les Mémoires de Richelieu, éd. Michaud, 
t. I, p. 98. 

(2) Mercure François, t. IV, p. 47. Voir aussi le continuateur 
de de Thou, t. VIII, p. 537, et Pierre Bayle, t. II, p. 987, note E. 



!^^-t^^-^^'-7 



CATHERINE DE iMEDICIS 227 



La mort de Cosme Riiggieri donna naissance, 
environ quinze jours après cet événement, à 
l'édition d'un petit livre ayant pour titre : His- 
toire espouvantable de deux magiciens esiranglez 
par le Diable^ la semaine dernière. Le Mercure 
François déjà cité, nous explique dans les termes 
suivants, quels sont les deux magiciens que men- 
tionne le titre de ce curieux ouvrage anonyme : 

« Le premier de ces deux Magiciens, dit cette 
feuille, estoit ce renommé affronteur César, qui 
a tiré de l'argent de tous les curieux de son 
temps pour leur faire voir des Diables, ou pour 
leur faire trouver des thrésors, et puis s'est 
moqué d'eux. On le faisoit estrangler par son 
Diable, et toutefois il est encores vivant prison- 
nier dans la Bastille, Et le second est cet Abbé 
de Saint'Mahé. » 

Ainsi finit le grand conseiller occulte de Ca- 
therine deMédicis. Plus diplomate que magiste, 
plus adroit que savant, Cosme Ruggieri, en 
dehors de ses almanachs, n'a laissé aucun ou- 
vrage d'observations astrologiques ou d'études 
esotériques (i). 

(1) Parmi les pensionnaires de Catherine de Médicis, 
A. Jal a signalé dans son Dictionnaire critique de biograp/iie 
et d'histoire, p. 1095, un peintre italien du nom de Roger de 



228 CATHERINE DE MEDICIS 



Ruggieri ou de Rugery. Dans les comptes des Bâtimenîs de 
la Reine pour l'année 1581, on trouve ce personnage inscrit 
pour une somme de 400 écus dont voici le détail d'ordon- 
nancement royal : « A M^ Roger de Rugery, painctre ordi- 
naire de la Dame Catherine de Médicis, le somme de 
400 escuz, sur et tant moings des ouvraiges faits de painc- 
tures sur thoille que aultrement, sculture et tournemens de 
festons de lyerre, or, clinquant et aulti'es, que pour les 
façons et estoffes de deux cheriots, et d'une façon de nue, 
le tout faict et attourné de cette sorte et manière tant de la 
dicte paincture que sculture qu'il a promis et commencé 
faire pour la dicte Majesté pour l'aornement dune grande 
salle de forme ovalle, contenant seize thoises de longueur 
et dix-huit thoises et demie de large. » {Archives nationales, 
K. K. 124, fol. 325.) 

Dans les comptes de la Trésorerie de la Reine, pour l'an- 
née 1585, Roger de Ruggieri est encore signalé comme, 
peintre de Mlle de Gondy : « Roger de Rogery, painctre de 
feu Mademoiselle de Gondy, 1 livre, 2 sols tournois. Il ne 
sera icy payé d'autant qu'il est assigné ailleurs. » {Archives 
nationales, K. K. 115, fol. 35.) 

Enfin dans la liste des Pensionnaires du roi Henri III, cet 
artiste figure en qualité de gouverneur des jardins royaux, 
comme successeur du Primatice décédé en 1570 : « Roger 
de Rugeri, peinctre de Sadicte Majesté à Fontainebleau, 
garde et gouverneur du grand jardin de Fontainebleau, en 
lieu et place de Primadicy (Francesco Primaticcio, dit le 
Primatice), pour sa vieille pension : IIIP L et le IP L d'aug- 
mentation, VP L. » {Bibliothèque nationale. Manuscrit de la 
collection Dupuy n° 852, année 1577.) Ce Roger de Ruggieri 
était-il parent de l'astrologue-envoùteur ? Il est permis de 
le supposer ; mais pas plus que Jal, en dépit de mes recher- 
ches dans les archives françaises et italiennes, je n'ai pu en 
découvrir la certitude. Cependant, les dates des ordonnan- 
cements précités nous autorisent à croire que ce peintre 
était certainement venu de Florence à la cour de France, 
sous le patronage de Cosme Ruggieri- Jal a découvert que 



CATHERINE DE MEDICIS 229 



ce Roger de Ruggieri avait une fille, laquelle épousa, le 
5 juin de l'année 1596, Anlhoine de Tabouret, jardinier du 
grand jardin de Fontainebleau. C'est de ce mariage que 
naquit Gabrielle de Tabouret femme du célèbre peintre 
Claude de Hoey mort à Fontainebleau en 1660. Je profite de 
cette citation pour remercier très chaleureusement M. Ma- 
rio Soria de Florence et le docteur Antonio Riva de Milan, 
qui m'ont tous deux particulièrement aidé dans mes recher- 
ches en Italie, sur Cosme Ruggieri. 



CHAPITRE VII 



l'oracle de la tête sanglante et la mort 
de charles ix 



Après l'exécution de La Môle et de Coconas, si 
les troubles physiques et moraux de Charles IX 
subirent une trêve, elle fut de bien courte durée. 
Une rechute avec une phase nouvelle se mani- 
festèrent bientôt dans la santé royale ; et, 
comme pour la première atteinte, les médecins 
ne purent expliquer les effrayants symptômes de 
cette maladie. 

La reine-mère fut à nouveau tourmentée par 
la prévision des conséquences graves qui pou- 
vaient suivre la mort de Charles et co mpromettre 
son autorité, comme elle avait été un instant 
compromise à la mort de François IL Elle 



CATHERINE DE MEDICIS 231 

n'ignorait pas qu'elle pouvait tout perdre avec 
un nouveau règne ; et c'est vraiment bien peu 
connaître Catherine de Médicis que de l'accuser 
d'avoir agi contre ses propres intérêts en pro- 
voquant par le poison (i), sur la personne de son 
fils, la maladie qui devait emporter celui-ci. Au 
contraire, dès qu'elle vit Charles IX en proie à 
une nouvelle crise, elle multiplia ses attentions 
maternelles, consulta ses astrologues après les 
médecins ; et comme l'état du malade empirait 
de jour en joïir, l'un de ses conseillers nécro- 
mants lui proposa de pratiquer en dernier espoir, 
la plus inouïe des opérations divinatoires : la 
céphalomaniie (2), ou la divination par une tête 

(1) « Légende de Dom Claude de Guise, abbé de Çluny, conte- 
nant ses faits et gestes depuis sa nativité jusqu'à la mort 
du cardinal de Lorraine, et des moyens tenus pour faire 
mourir le roy Charles IX. » La meilleure édition de ce rare 
ouvrage est celle de 1581 (sans indication du lieu d'impres- 
sion), publiée par Gilbert Regnault, seigneur de Vaux, qui 
en a écrit l'épi tre dédicatoire et fait à ce li^re de nombreuses 
et curieuses additions. (1 vol. in-8.) ^ 

(2) Pierre de l'Ancre, célèbre démonographe bordelais du 
seizième siècle, nous apprend que la Céphalomanfie se pra- 
tiquait aussi parfois à l'aide 'd'une tète d'animal, notam- 
ment une tète d'âne « rostie, dit cet auteur, sur des char- 
bons ardens, avec quelques paroles prononcées dessus. Si 
les maschoires de cette teste dasne se mouvoient sur la 
demande du magicien qui la luy adressoit, on en tiroit des 
inductions plus ou moins raisonnables. Geste divination 



232 CATHERINE DE MEUICIS 

humaine récemment tranchée dans des condi- 
tions stipulées par les rituels de haute magie. 

C'est Jean Bodin, le savant jurisconsulte et 
démonographe angevin, mort en 1596, qui le 
premier s'est fait le rapporteur de cette horrible 
scène satanique (1). Mais un document anonyme 
du temps, récemment découvert par M. William 
Reysser, nous donne de plus amples détails sur 
ce singulier oracle (2). Pourtant, comme en 
dehors de ces narrations démonologiques, au- 
cune pièce d'archives diplomatiques ne men- 
tionne, à notre connaissance, ce crime de sor- 
cellerie royale, il est permis de faire quelques 
réserves sur son authenticité : quoiqu'il en soit, 
la bonne foi ordinaire de Jean Bodin, que vient 
confirmer ce document italien contemporain de 
l'événement;, nous paraît être une autorisation 



estoit fort usitée chez les Allemands juifs ». {Tableau de 
Vinconslance des mauvais anges et démons. Paris, Nicola 
Euon, 1612; un vol. in-4.) 

(1) Jean Bodin, De la Démonomanie des sorciers, Paris 
1596, un vol. in-4, p. 169. 

(2) Délia communicazione terrestre con i speltri e i demonii. 
Manuscrit italien de la fin du seizième siècle, composé de 
132 feuillets. Outre certaines formules magiques, des études 
sur la nécromancie et l'astrologie, VOracle de la tête san- 
glante y occupe les feuillets 52 à 61 inclusivement. {Extrait 
résumé et traduction inédits.) 



CATHERINE DE MEDICIS 238 

suffisante, pour reproduire ce récit avec une ori- 
ginalité de détails jusqu'alors inédits. Voici donc 
comment il fut procédé à cette infernale céré- 
monie» 

La reine-mère, d'accord avec son fils, ayant 
accepté la consultation magique, il fut décidé que 
l'on achèterait ou que l'on volerait dans les 
faubourgs de la capitale un -enfant juif du 
sexe masculin, beau de visage et innocent de 
mœurs. L'enfant trouve, âgé de six à huit ans, 
fut amené au château de Vincennes où la cour 
résidait alors. On le confia à un aumônier du 
palais qui, en secret, le prépara à la première 
communion. Et après bien des hésitations, 
basées sur certains signes célestes dont l'opéra- 
teur attendait l'apparition qui ne se manifestait 
pas, on fixa définitivement l'occulte séance au 
28 mai 1574, à minuit. 



Dans l'une des neuf tours qui entouraient le 
château féodal, celle située du côté du village 
de Vincennes, dit le chroniqueur anonyme, 
et qui depuis a toujours été désignée jusqu'à 
notre époque sous le sinistre nom de Tour du 



2M CATHERINE DE MEDICIS 

Diable (i), était installé le laboratoire d'un ma- 
gicien noir, ancien moine jacobin apostat, sur 
le nom duquel les documents restent muets. 
Péniblement, Cbarles IX, en compagnie de sa 
mère et de deux affidés intimes, avait quitté sa 
chambre de malade pour se rendre dans cette 
sorte de temple dédié au culte démoniaque. 

Au milieu des classiques appareils d'alchimie 
et d'astronomie, un autel avait été dressé pour 
y célébrer une messe<^à la Mater Tenebra- 
ram lugubre madone que les cabalistes nous 
présentent avec « un visage enveloppé d'un 
triple voile de crêpe, qui cependant n'obstrue 
pas la flamboyante lumière de désespérance 
qui sans cesse s'échappe de ses yeux infer- 
naux. » 

Cette Notre-Dame-des-Ténèbres^ a dit Quin- 



(1) « C'est une construction trapue qui a environ 35 mètres 
de haut sur 20 mètres de large. Trois étages de baies ogi- 
vales, éclairent la façade au-dessus d'un porche voûté. 
Entre celui-ci et les fenêtres du premier étage, au-dessus de 
l'écusson royal gardé par deux anges, s'enfoncent cinq ni- 
ches veuves de leurs statues, ordonnance sobre' et puis- 
sante qui n'est certes pas sans beauté. » [Llle de France^ 
article D'Emile Sedeyn, p.' 257). Ce magnifique ouvrage a 
été publié sous la direction de M. Octave Beauchamp^ 
auquel je dois l'obligeante communication du cliché repré- 
sentant la Tour du Diable, p. 253 du présent volume. 



CATHERIN l: de MEDICIS 235 

cey (i), défie Dieu. Elle est la mère des démen- 
ces et la conseillère des suicides. Profondes 
sont les racines de son pouvoir ; mais heureu- 
sement petite est la nation sur laquelle elle 
règne tous les matins et tous les soirs, à midi 
comme à minuit, à Theure du flux comme à 
l'heure du reflux, appesantissant sa main sur la 
tête de ceux dont la nature a été bouleversée 
de fond en comble par des convulsions inté- 
rieures : 

Toi qu'on implore pour les crimes, 
Que supplient à l'heure livide 
Ceux qui se tuent dans leur péché 
Et ceux qui signèrent le pacte, 
Ceux dont Y A iiîre a déjà pris l'âme... 
Sombre espoir des désespérés, 
Notre-Dame-des-Messes-Noires, 
Notre-Dame-des-Réprouvés !... (2) 

Tout habillé de blanc, l'enfant fut introduit et 
l'office satanique commença. Sur l'autel étaient 
disposés quatre flambeaux, aux quatre coins de 
cette table rituélique recouverte d'une draperie 



(1) Am^ÈDE Barine, Poètes et Nédrosés. Étude sur Thomas 
de Quincey, p. 151. 

(2) Les Litanies de Notre-Dame-des-Ténèbres, par Edouard 
D'HooGHE ; verset 4. 



236 CATHERINE DE MEDICIS 

sombre, brodée du grand pentagramme de Salo- 
mon. Un calice de métal noir, plein de sang 
coagulé sur lequel flottait une hostie blanche, 
un plateau d'argent contenant une grande hos- 
tie noire, et une petite fiole de verre pleine d'un 
liquide rouge rubis, constituaient les princi- 
paux accessoires nécessaires à cette messe ef- 
froyable. 

A l'aide de la baguette magique, le magicieji 
revêtu du costume spécial aux évocations de 
goétie, traça trois cercles autour de l'autel. Il 
parcourut à trois reprises cet ensemble con- 
centrique, en prononçant des paroles sacramen- 
telles qu'il rythmait sur ses pas comptés. Et, 
s'arrêtant brusquement face à Pautel, il sortit 
de sa robe un poignard dont la lame était tran- 
chante et la garde en forme de croix. 

D'un coup sec, il planta cette arme sur l'autel, 
entre le calice et le plateau d'argent. Puis, ou- 
vrant un grimoire, il récita la huitième strophe 
du psaume à la Mater Tenebrarum. Ayant 
achevé cette prière, il cria, à pleine voix, par trois 
fois, l'appel suprême à la vierge des anathèmes : 

AiRAM ! AiRAM ! AiRAM ! . . . (l) 

(1) Airam est le nom latin de la vierge écrit à l'envers : 
Maria = Airam. Cet anagramme démoniaque est considéré 



CATHERINE DE MEDICIS 237 

Subitement, les lumières s'éteignirent ; et le 
nécromant ayant répandu à terre le contenu de 
la fiole de verre, l'atmosphère du laboratoire 
s'emplit d'une phosphorescence pareille à la 
clarté lunaire. 

Tremblant, Tenfant sanglotait, ne compre- 
nant rien à ces choses, mais sentant bien que le 
rôle qu'il allait jouer dans cette scène ne serait 
certes pas le moindre. Affalé dans un fauteuil, 
près de la reine-mère, Charles IX, stupide et 
pitoyable, écoutait et voyait, sans rien dire, cette 
célébration de mystères. Mais il était déjà sé- 
paré de la vie, tant son regard semblait perdu 
par avance dans Tau-delà de ce milieu lugubre- 
ment infernal. 



Cependant, l'instant solennel de la conjura- 
tion était arrivé. Renversant une croix, l'officiant 
piétina cet emblème chrétien en prononçant des 
menaces, des blasphèmes et des malédictions à 
l'adresse du Christ. Puis il consacra par de nou- 
velles prières cabalistiques les deux hosties mé- 

par les cabalistes allemands du seizième siècle, comme le 
plus grave et le plus efficace des appels conjurateurs. 



238 CATHERINE DE MEDICIS 

créantes. Délicatement, le petit juif tendit ses 
lèvres blémies vers l'hostie blanche que lui pré- 
senta le moine-sorcier... 

Aussitôt la communion terminée, Tofficiant 
empoigna l'enfant qui criait, le coucha brutale- 
ment sur l'autel et, s'emparant du poignard 
rituel, d'un seul coup, trancha la gorge de 
l'innocente victime... Les petites mains s'agitè- 
rent... Lourdement le corps décapité roula sur 
le sol, laissant échapper par la blessure béante 
un ruisseau de sang qui entoura bientôt Tautel. 
Prenant la tête toute palpitante encore, le magi- 
cien la plaça sur la grande hostie noire qui 
couvrait le fond de la patère d'argent... 

Deux des cierges furent rallumés. Arrachant 
plusieurs pages à son grimoire, le magicien Jes 
brûla à la flamme de l'un des flambeaux. Puis il 
aspergea de sang la croix renversée, disposa le 
plat contenant la tête au milieu des deux lumiè- 
res, et prononça l'invocation finale d'après le 
Télragammaton traditionnel: Corbeau noir!... 
Corbeau noir ! [\)...^ invitant ainsi le démon à 
proclamer l'oracle par la bouche de l'enfant mort. 
Comme il avait été convenu que le roi poserait 

' (1) Pierre de l'Ancre déjà cité et Ciiriosilés des Sciences 
OccLiUes, par P.-L. Jacob, p. 309, 



CATHERmE DE MÉDICIS 289 

lui-même la question sur le sujet qui l'intéressait, 
Charles IX demanda secrètement au génie des 
ténèbres ce qu'il désirait obtenir, n'osant confier 
à personne sa pensée. 

Alors, assurent les documents, une voix faible 
et lointaine, une voix étrange, à peine humaine, 
se fit entendre comme sortant de cette pauvre 
petite tête de martyre. Et deux mots seulement 
parvinrent aux oreilles du consultant, deux mois 
iolins énigmatiques : Vim patior, « j"y suis 
forcé », dit la tête morte. 



Que signifiait cette réponse brève ? Cela 
voulait-il dire, comme Ta prétendu un auteur, 
que le suppôt des enfers refusait désormais 
sa protection à la reine-mère et aux siens ? 
Quoi qu'il en soit, il paraît qu'aussitôt que Char- 
les IX entendit ces deux mots, un tressaillement 
convulsif s'empara de lui. Puis il s'évanouit dans 
son fauteuil. Lorsqu'il reprit connaissance, ses 
dents claquèrent, ses membres se raidirent et, 
d'une voix rauque, il cria, éperdu : « Eloignez 
cette tête !... Eloignez cette tête!... » 

On éloigna la tête sanglante ; en hâte, on trans- 



2i0 CATHERINE DE 'MEDICIS 

porta le misérable roi dans sa chambre à coucher. 
Une fièvre ardente vint Tenvahir au cours de la 
nuit, en même temps qu'un horrible délire pen- 
dant lequel il ne cessa de répéter, durant trente- 
six heures environ, la même phrase qui expri- 
mait tout l'effroi qu'il avait éprouvé devant le 
crime inutile du sorcier de sa mère : « Éloignez 
cette tête !... Éloignez cette tête !... » 

Ceux qui n'étaient pas dans la confidence du 
sacrifice magique^ pensèrent que Charles IX 
était poursuivi par le remords de la Saint-Barthé- 
lémy, et notamment que le fantôme de l'amiral 
Gaspard de Goligny le tourmentait sans merci. 
D'autres crurentque ce cerveau malade revivait la 
scène d'exécution de La Môle et de Goconas. Mais 
personne ne soupçonna la véritable cause de 
cette agonie agitée, dans l'affreux drame dont la 
Tour du Diable a gardé jusqu'à ce jour le se- 
cret (i). 



(1) Indépendamment du livre de Jean Bodin et du manu- 
scrit italien précités, voir : Eliphas Lévy : Dogme et rituel de 
la Haute-Magie^ t. II, pp. 235 et 236; Les Messes noires : par 
les docteurs Cauffeynon et Jal, pp. 90 à 92 ; Colin de 
Plancy : Dictionnaire infernal, p. 657, et Le véritable trésor des 
Sciences magiques, d' Alphonse Gall vis, p. 43, qui contient 
une gravure des plus fantaisistes représentant, sans aucun 
commentaire, cette scène satanique. 



CATHERINE DE MEDICIS 241 

Enfin, au milieu « de douleurs les plus aiguës 
et tout baigné dans son sang (i) », dit Sully, 
Charles IX mourut le jour de la Pentecôte, 
3o mai i574- H n'avait pas encore vingt-cinq 
ans. 

(1) Mémoires de Sullj, t. I, p. 83. 



U 



CHAPITRE VIII 



AUTRES FORMES DE LA SUPERSTITION DE CATHERINE 
ET INFLUENCE DE l'oCCULTISME SUR l'eSPRIT DE 
SES FILS. 



La croyance de Catherine de Médicis aux mys- 
tères occultes et aux influences heureuses de 
certains objets sur la destinée humaine, se 
manifestait encore par des afifections bizarres et 
le port de talismans étranges. Outre des baladins 
pour sa distraction, elle avait à son service, des 
nains et naines telles que la Turque, la More et 
la Jacquette, êtres difformes et niais qu'elle ai- 
mait, parce que leur présence était réputée pour 
Téloignement des maladies et l'assurance d'une 
longue vie en faveur de ceux qui les possé- 
daient (i). 

(1) Archives nalionales, K-K, 138; années 1553 et 1559; 
K-K, 125 et 130. 



CATHERINE DE MEDICIS 24 

Pour Catherine, le principal de ces fétiches 
humains, c'était La Jardinière, bouffon femelle 
qui est qualifié de folle en pied dès i556 dans 
les comptes de la reine. Si à la Turque et à la 
More, Catherine n'accordait que quelques écus 
pour aller à la foire de Saint- Germain, elle ne 
savait rien refusera La Jardinière. A cette créa- 
ture d'un idiotisme stupide,elle donne des sou- 
liers à double semelle, des robes en menu-vair (i), 
une place d'honneur à toutes les fêtes de la Cour, 
et nomme la Dame Charlotte Mareille gouver- 
nante de ce grotesque personnage. De plus, elle 
mariera La Jardinière à l'un de ses nains, Au- 
guste Romanesque, autre idiot qui porte dague 
et épée. De ce mariage, Catherine signera le con- 
trat en compagnie de Mme de Sauves et de ses 
deux valets de chambre, les Dumoustier, dont 
l'un, remplissant également les fonctions de 
V peintre royal, nous a laissé un croquis de cette 
cérémonie nuptiale (2). 

Jamais Catherine ne se déplace sans La Jar- 
dinière, son perroquet et sa guenon, ce dernier 

{1) Archives nationales, K-K, 127; année 1560, 17 juillet. 
Voir aussi le Dictionnaire critique de biographie et d'histoire, 
de A. Jal, p. 77. 

(2) Bibliothèque nationale, cabinet des estampes et Henri 
Bouchot (ouv. cité antér.), p. 148. 



h 



244: CATHERINE DE MEDICIS 

animal tout autant aimé que la folle, et dont la 
main velue porte bonheur {i). En plus de La Jar- 
dinière et de ces animaux, elle a des petits chiens 
dressés et deux fous qui lui viennent de Pologne : 
le grand Polacre et le petit Polacron, dont le 
gouverneur est M. de Bezon, futé bonhomme, 
malicieux et rieur, sorte de gnome que surveille 
un moinillon de même taille dénommé nonneton 
ou le petit nonnain. Tout un monde de lavan- 
dières, de laquais, de précepteurs est attaché à 
ces fantoches vivants. Une femme ne fait que 
blanchir leur linge de poupées, des valets les 
servent à table en grand cérémonial, des apothi- 
caires les purgent, des prêtres les sermonnent et 
s'ils se confessent, Catherine leur donne quel- 
ques sols de récompense (2). 

Pour obtenir des talismans aux vertus extra- 
ordinaires, elle écrit à Gabriel Simeoni et au 
Milanais Cardan; elle s'attache les magiciens 
La Brosse et Régnier, ainsi que Madame de 

(1) Archives nationales, K-K, 138 et A. Canel, Recherches 
historiques sur les Fous des rois de France, p. 138. Voir aussi 
Ch. Leber, Extraits des comptes de Vespargne depuis Fran- 
çois I" jusqu'à Louis XIII; gages, pensions, gratifications des 
médecins, historiographes, gardes du cabinet des livre, écri- 
vains, confesseurs, astrologues, fous et folles des rois et 
Règnes, etc. » 

(2) Archives nationales, K-K, 138, et Henri Bouchot, p. 149. 



CATHERINE DE MEDICIS 245 

Castellane, pythonisse célèbre pour refficacité 
de ses sacrifices infernaux et ses divers modes 
de divinations magiques (i). Alors, elle porte 
des bagues ornées de caractères cabalistiques, 
des amulettes orientales, des scapulaires con- 
fectionnés d'après les rituels de haute magie, et 
des cornes de licornes. 

« Elle avait grande confiance dans la magie, 
dit Garinet, et elle portait sur son estomac une 
peau (V enfant égorgé! semée de figures, de 
lettres et de caractères. Elle s'imaginait que 
cette peau la garantissait de toute entreprise 
criminelle dirigée contre elle (2). » 

Un autre talisman de Catherine, dont la tra- 
duction n'a jamais été faite, nous a été transmis 
par l'abbé Fauvel. Dans une note anonyme 
ornée de la gravure ici reproduite (p. 187), et 
conservée à la Bibliothèque nationale^ on trouve 
la description suivante de cette étrange médaille: 

« Cette princesse (Catherine) le portoit tou- 
jours sur elle. Il étoit de la façon et fabrique 

(1) Destigny de Caen (ouvrage inachevé ant. cité), p. 200. 
Pour l'astrologue La Brosse, voir VEstoile, édition Lemerre, 
1896, p. 94 du t. VI et pp. 223 et 402 du t. X. 

(2) Jules Garinet, Histoire de la magie en France, p. 153 
(Paris, 1 vol. in-8, édition de 1818), et Henri Bouchot, 
p. 148. 

14. 



246 CATHERINE DE MÉDICIS 



du sieur Régnier, fameux mathématicien qui 
passait pour Magicien,- et en qui elle avoit 
beaucoup de confiance... 

(( On prétend aussy que la vertu de ce Talisman 
étoit pour gouverner souverainement et con- 
noître l'advenir, et qu'il étoit composé de sang 
humain, de sang de bouc et de plusieurs sortes 
de métaux fondus ensemble sous quelques 
constellations particulières qui avoient rapport 
à la nativité de cette princesse. 

(( L'original de ce Talisman^ qui fut trouvé et 
cassé après sa mort arrivée à Blois le 5^ de jan- 
vier 1689, âgée de 70 ans, est à présent conservé 
au cabinet de l'abbé Fauvel qui Ta fait ainsy 
graver et copier très fidèlement (1). » 

Selon le Journal des Choses mémorables^ au 
cours de l'année 1577, à l'apparition d'une 

(1) Note et gravure ajoutées au Discours merveilleux déjà 
cité et attribué à Henry Estienne, selon Barbier et Castel- 
nau, t. I, p. 287. Bibliothèque nationale, L. b, 34 : 827 ~ B). 
Jusqu'à ce jour, les bibliographes étaient d'accord pour 
considérer cet ouvrage comme un vulgaire pamphlet d'une 
valeur historique toute relative. Mais les récentes études de 
M. Léon Marlet sur ce livre, prouvent qu'au contraire, le 
Discours merveilleux d'Henri Estienne doit être consi- 
déré comme un document important pour l'histoire du 
seizième siècle, l'exactitude de chacun des faits qui y sont 
relatés, ayant été minutieusement vérifiée par le savant, 
bibliothécaire du Sénat. 



CATHERINE DE MEDICIS 247 

comète, Catherine fut envahie par la peur de 
mourir : « Quand la comète menaçante épandit 
dans le ciel son audacieuse chevelure présa- 
geant des maux futurs, la reine apeurée, con- 
sciente de sa vie coupable, crut que le destin 
réclamait sa tête abhorrée. Que crains-tu, 
Reine ?... Si elle nous menace d'un malheur, 
c'est la longueur de ta vie, et non sa brièveté 
qu'il nous faut craindre (i)!... » 

C'est peut-êre à ce moment-là que, très in- 
quiète de sa destinée, la reine-mère remit à 
M. de Mesme un second médaillon talismanique, 
dans les circonstances et avec les recomman- 
dations ci-après décrites : 

« Les princes qui ne consultent que leur pas- 
sion dominante de régner, dit un curieux do- 
cument, sacrifient tout pour y parvenir... Ca- 
therine de Médicis fut pareillement possédée 
de cette criminelle passion tout le cours de sa 
vie, témoin ce que nous allons raconter et que 
l'on avoit pris tant soin de nous cacher jusqu'à 
ce jour... 

<( François II étant mort, Catherine de Mé- 
dicis parvint à la régence pendant la minorité de 

(1) Journal des choses mémorables, etc., chap. I, p. 25. 
(Traduction inédite.) 



218 CATHERINE DE MEDICIS 

Charles, son second fils, par le moyen de bri- 
gues et des artifices dont elle se servit. Cepen- 
dant, les guerres civiles qui Taccablèrent d'af- 
faires, de chagrins et d'inquiétudes, et qui la ré- 
duisirent au point de se voir contrainte d'aban- 
donner au prince de Condé le maniement des 
affaires du royaume, luy firent bientôt concevoir 
que la couronne est un fardeau bien accablant 
pour une femme. 

« Au milieu de ses déplaisirs, elle se retira 
dans son cabinet pour s'abandonner entièrement 
à la solitude pendant quelques jours, et ne 
voulut qu'aucun de sa cour l'approchât... Fina- 
lement, elle fit appeler M. de Mesme, homme 
d3 robbe pour qui elle avoit une estime particu- 
lière, comme l'un des plus zélés à son service, 
p^r les preuves signalées qu'il luy en avoit 
donné en plusieurs occasions. 

« Cette Princesse luy confia alors une boëte 
d'acier bien fermée à clef et luy dit que la 
guerre civile luy donnoit de fort mauvais pré- 
sages de sa destinée et qu'elle avoit jugé à pro- 
pos de luy remettre entre les mains ce sacré dé- 
pôt qui étoit le plus riche trésor qu'elle eût dans 
ce monde, avec ordre de ne l'ouvrir jamais, ni 
de la donner à personne, à moins que ce ne fut 



CATHERINE DE MEDICIS 249 

par son commandement signé de sa main, et 
engagea M. de Mesme à faire serment qu'il luy 
tiendroit parole sous peine d'encourir sa haine 
et son indignation. 

« Cette reine étant morte sans retirer la boëte 
des mains de M. de Mesme, et celui-ci étant pa- 
reillement décédé après Catherine de Médicis, 
les héritiers de M. de Mesme la gardèrent (la 
boëte) longtemps dans leur famille sans l'ouvrir. 
Cependant, le temps, qui fait oublier toutes 
choses, rendit les enfants de M. de Mesme assez 
curieux pour l'ouvrir, dans la pensée d'y trou- 
ver un trésor inestimable. La boëte étant ou- 
verte, on trouva une chose qui fait horreur. 
C'étoit une médaille de cuivre oVale, en forme 
de bouclier ou de rondache semblable à celles 
que les anciens Romains consacroient à leurs 
faux Dieux. 

« La gravure de cette médaille représentoit 
Catherine de Médicis étant à genoux en forme de 
suppliante, faisant offrande au Démon qui était 
peint sur un thrône relevé avec des traits les 
plus affreux et les plus horribles que Ton puisse 
imaginer. Cette princesse avait à ses côtés ses 
trois fils : Charles, Henri et le duc d'Alençon, 
avec cette devise : Soit^ pourvu que je règne ! » 



250 CATHERINE DE MEDICIS 

« L'on voit encore cette même médaille au- 
jourd'hui dans la maison de Mesme, dont est 
sorti M. le comte d'Avaux cy-devant ambassa- 
deur en Hollande. Les curieux qui voudront être 
renseignés des circonstances de cette histoire 
secrète, les pouront apprendre de la propre 
bouche de ce ministre (i). » 



Élevés et éduqués dans ces principes, il n'est 
pas surprenant de voir Charles IX et Henri HI 
partager ces étranges croyances. Dès i564, on 
vit Catherine de Médicis livrer son fils Charles 
aux astrologues et magiciens. Cette. année-là, 
elle le conduisit à Salon-de-Craux, chez le cé- 
lèbre Nostradamus qui devait établir son thème 
de nativité. Charles avait entière confiance dans 
la science du savant de Salon. Ne le connaissant 
pas, lorsqu'il arriva aux portes de la ville, en 
compagnie de sa mère, Charles demanda aux 
consuls venus pour le recevoir, si le grand Mi- 



(1) UArt d'assassiner les rois, enseigné par les Jésuites à 
Louis XIV et à Jacques II. Londres, 1696, chez Thomas 
Fulher; 1 vol. in-12 (pp. 173 à 177 inclusivement). Biblio- 
thèque nationale, n° 1632. 



CATHERINE DE MEDICIS 251 



€liei de Nostredame était parmi eux. On le lui 
présenta aussitôt et, donnant la main à l'astro- 
logue, Charles exigea de l'avoir à ses côtés 
durant tout le parcours des portes de la ville 
^ux appartements du château qui lui avaient été 
préparés (i). 

« Pour que Votre Majesté voit combien on est 
léger ici, écrit l'ambassadeur d'Espagne à son 
maître, au sujet de cette visite des souverains 
français au célèbre devin, — je dirai que la 
reine, quand elle a passé par le lieu où vit Nos- 
tradame, l'a fait appeler et lui a assigné deux 
cents écus de gages. Elle lui ordonna de tirer 
l'horoscope du roi et celui de la reine. Comme 
-c'est l'homme le plus malicieux du monde, et il 
ne dit jamais que chose qui plaise à qui que ce 
soit, il résolut dans les dits deux horoscopes de 
flatter le roi et la reine, de sorte qu'ils lui ordon- 
nèrent de suivre leur cour, lui assignant un plus 

li; C'est exactement le 17 octobre de l'année- 156J^ que 
Charles IX et Catherine allèrent visiter Nostradamus. 
Journal du voyage de Charles IX à travers la France, 1564- 
1565, par Abel Jouan, publié en 1566 et réimprimé dans les 
Pièces fugitives sur VHisloire de France, par le marquis 
<I'AuBAis et MÉNARD (Paris, 1759, 3 vol. in-4) ; t. I, 2« partie, 
pp. 11 et 12. Voir aussi, la Vie de Michel Noslradanius, Paris, 
1789, p. 72, et VHisloire et chronique de Provence, par César 
©E Nostradamus, pp. 801 et 802. 



'2-)'2 CATHERINE DE MEDICIS 

grand traitement jusqu'à ce qu'ils se séparèrent 
de lui et le laissèrent à Arles. La reine m'a dit 
aujourd'hui, comme je lui disais que j'espérais 
qu'avec l'aide de Dieu que de l'entrevue (future 
entrevue de Bayonne) sortirait un grand bien 
pour la chrétienté : « Savez-vous, dit-elle, que 
(( Nostradame m'a affirmé qu'en l'année soixante- 
« six (i566), une paix générale régnerait sur le 
(( monde et que le royaume de France serait très 
(( tranquille et que la situation s'affermirait? » 
Et disant cela, elle avait l'air aussi pénétrée que 
si on lui avait cité saint Jean ou saint Luc (i). » 
Quinze jours plus tard, don Frances de Alava, 
revenant sur cette consultation occulte, nous 
donne de curieux détails complémentaires : 
« Demain, écrit-il, part secrètement un gentil- 
homme envoyé à la reine d'Angleterre. Je sais 
que cet ambassadeur (celui d'Angleterre est ja- 
loux. Le premier jour que le roi et la reine vi- 
rentNostradame,il leur affinr.a que le roi se ma- 
riera avec la dite reine (d'Angleterre). Il se pour- 
rait que cela donnât naisj^ance à u:ie négocia- 
tion pour l'amener à leur dévotion, car déjà cet 

(1) Dépêche de Don Frances de Aldia au roi d'Espagne, 
Toulouse 4: février 1565. Archives nationcle?, K. 1503, n° 30. 
[Documenl inédit ; tradaclion de M. L^'on Marlet.) 



254 CATHERINE DE MEDICIS 

ambassadeur (celui d'Angleterre) a envoyé cet 
horoscope à sa maîtresse (i). » 

A priori, Catherine comprend bien que ce 
projet de mariage est une absurdité : unir un 
jouvenceau de quatorze ans à une vieille fille. 
Pourtant, elle s'incline devant Tavertissementdu 
prophète de Salon, et continue ses essais de né- 
gociations dans cette voie. Le gentilhomme cité 
par Alava, et envoyé secrètement à la cour d'An- 
gleterre.., accomplit donc sa mission cependant 
qire Catherine se fait préparer de nouveaux appar- 
teriients^au Louvre, juste au-dessus de ceux de 
saiuture belle-fille, moyen certain de dominer le 
jeune ménage royal (2). Mais l'ambassadeur an- 
glais qui ne voyait dans cette union projetée 
qu'une diplomatie en faveur de la reine d'Ecosse, 
ne cacha ni son mécontentement, ni l'opposition 
qu'il était décidé à faire pour empêcher ce pro- 
jet d'aboutir. Le 4 avril i56'5, Alava écrit en- 
core : 

(( L'ambassadeur d'Angleterre est venu au- 
jourd'hui me voir et a causé avec moi un moment 



(1) Même source, 11° 37. [Documenî ïnédil,. traduction de- 
M. LÉON Marlet.) 

(2) Brrtv, La Région du Louvre et des Tuileries.. (Extrait 
des comptes du Louvre.) 



CATHERINE DE MEDICIS 255 

au sujet de la rein^ d'Ecosse. 11 dit que, avec 
la prophétie de Nostradamus suivant laquelle 
le roi doit épouser sa maîtresse, les Français 
pensent avoir trompé sa dite maîtresse, mais 
que je verrai ce qui se prépare, savoir qu'il y 
aura plus que jamais inimitié avec la France, et 
que les Français se sont de nouveau mêlés des 
affaires d'Ecosse, ce qui peut-être nuirait à la 
reine d'Ecosse et à eux (i). » 

Après quelques nouveau.t essais de rapproche- 
ment, les choses en restèrent là, la reine d'An- 
gleterre ayant répondu habilement à l'ambassa- 
deur de France que pour devenir son époux 
Charles IX était trop , grand et trap petit. 
Ainsi la prédiction de Nostradamus fut nulle, 
sauf pourtant en ce qui concerne la paix annon- 
cée, l'année i566 ayant été, en effet, fort calme. 

Mais cet échec ne diminua enrienlaconfîarce 
qu'elle avait en la divine parole du prophète de 
Salon. Toujours sur les conseils de Nostrada- 
mus, elle tomba bientôt dans les promesses de 
lonomatomancie et entreprit de changer les 
nojnis de ses fils, pour leur en donner d'autres 
plus susceptibles d'influence heureuse sur leur 

(1) Dépêche de Don Frances de Alava. [Document inédil, ii« Ô6, 
de la source précitée.) 



256 CATHERINE DE MEDICIS 

destin, ainsi que le démontrent les calculs de 
Cornélius Agrippa groupés dans sa roue de for- 
lune (i). Déjà, en i548, à la naissance de son 
second fils, Brantôme nous dit que Catherine 
avait donné à cet enfant le nom de Louis, duc 
d'Orléans, « pour lui être un sort heureux comme 
à ses prédécesseurs, les Louis, duc d'Orléans, 
qui ont été tous braves et généreux ». 

Catherine changea donc le nom de ses trois 
autres enfants dans le même but. A Maximilien, 
duc d'Angoulême, son troisième fils, elle donne 
le nom de Charles, qui devint roi sous le nom 
de Charles IX. Puis, le 17 mars de Tannée i565, 
au cours d'une procession solennelle organisée à 
Toulouse, dit encore don Frances de Alava, la 
reine a ordonné que Mme Marguerite et le nou- 
veau duc d'Orléans fussent publiquement con- 
firmés, « de quoi, ajoute cet ambassadeur, les 
hérétiques ont éprouvé un grand dépit et surtout 
de ce qu'on a changé le nom du dit d'Orléans. 
Jusqu'ici il s'appelait Edouard comme ses deux 
parrains : le roi Edouard d'Angleterre et 
M. de Vendôme. Maintenant on lui a donné le 

(1) Eugène Defrance, rOnomaîomancie, étude publiée 
dans les Forces mentales, revue mensuelle de sciences psy- 
chiques, p. 193, année 1907. Voir gravure p. 271 du présent 
livre. 



CATHERINE DE MÉDICIS 257 

nom d'Henri (futur Henri HI) el il a fait quelques 
démonstrations publiques d'être bon catholi- 
que ». La chose ne plut pas à l'ambassadeur d'An- 
gleterre qui, furieux, raconta à Alava les ins- 
tances que Henri II avait faites autrefois auprès 
de la cour d'Angleterre pour qu'Edouard VI 
acceptât d'être le parrain de cet enfant aujour- 
d'hui débaptisé, non seulement pour lui créer 
un sort heureux, mais, dit-il, « pour plaire 
au pape (i) ». 

Ce fut ensuite le tour de François, duc d'Alen- 
çon, qui cessa de s'appeler François pour porter 
le nom d'Hercule. Mais V onomaiomancie ne fut 
pas plus favorable à ce dernier, qu'elle ne 
l'avait été aux précédents : « Maintenant, dit 
Giovanni Michieli, ce pauvre prince risque fort, 
à ce qu'on dit, de perdre un œil, ce qui me rap- 
pelle le pronostic très populaire en France, du 
fameux astrologue appelé Nostradamus, qui 
menace la vie de tous les princes, en annonçant 
que la reine doit les voir tous sur le trône (2). » 

Et Brantôme ajoute en manière de conclu- 

(1) Dépêche de Don Frances de Alava au roi d'Espagne. 
Bordeaux, 29 mars 1565. Archives nationales, K 1503, n° 52. 
[Document inédit, traduction de M. Léon Marlet.) 

(2) Giovanni Michieli, Relations des ambassadeurs véni- 
tiens. (T. I, pp. 422 et 423.) 



258 CATHERINE DE MEDICIS 

sioB : (( La reine par tels changements de noms 
pensoit leur baptiser la fortune plus longue, et 
Yous voyez ce qui en a été; j'ai ouï dire à au- 
cuns que cela porte malheiar. Le roi François II 
ne changea jamais, et persista toujours an sien, 
et ne fut pas plus heureux que les autres en 
longueur de vie (i). » 



Deux ans après la consultation de Nostrada- 
mus à Salon-de-Graux, survinrent, dans la ville 
de Vervins, les troubles causés par la possession 
satanique de Nicole Aubry. Voici comment les 
documents du temps nous content cette singu- 
lière aventure, à laquelle Catherine de Médicis 
et Charles IX s'intéressèrent tout particulière- 
ment. 

Nicole Aubry était fille d'un boucher de Ver- 
vins, mariée à un maître-tailleur de l'endroit. 
Souvent, elle allait prier siir la tombe de son 
grand-père maternel, nommé Vieilliot,^ mort 
sans confession quelques années avant l'événe- 
ment qui nous occupe. Un jour elle crut voir son 

(1) Brantôme, les Grands Capilaines français. Édition 
Lalaune, t. V, p. 293. 



CATHERINE DE MEDICIS 251) 

grand-père sortir du tombeau où il reposait, et 
elle entendit distinctement que le mort lui 
demandait des messes poux le repos de son àme 
qui était en purgatoire. Nicole Aubry, saisie de 
frayeur, tomba gravement malade et toute la 
ville s'intéressa à elle. Mais au bout de quelques 
ïïioiSj la maladie de la jeune femme ne diminuant 
pas d'intensité, on pensa que le diable avait pris 
la forme de Vieilliot, grand-père de Nicole, et 
que celle-ci était maléfîciée. Claude Lautrichet, 
curé de Vervins, et maître Guillaume Lourdet, 
institateur, conjurèrent de quitter le corps de 
Nicole, l'esprit qui, selon eux, se déclarait être 
le bon ange du défunt. Mais à se& paroles et à 
ses effets, dit Boulvèse, l'esprit fui jugé ange 
mauvais des ténèbres et satanique. 

Pierre Delamotte^ religieux jacobin et exor- 
ciste renommé,; fut appelé et on lui présenta la 
malade. Avec les cérémonies ordinaires de l'exor- 
cisme, il réussit à faire avouer au démon enfermé 
dans le corps de Nicole qu'il était Belzébuih 
en personne. Alors, on ordonna des prières 
publiques, des jeûnesy. des macérations, et un 
moine se fouetta même publiquement pour obte- 
nir l'expulsion de Belzébuth du corps de Nicole 
Aubry. Après un nouvel exorcisme, au cours 



260 CATHERINE DE MEDICIS 

d'une messe solennelle, on fît, un dimanche, 
communier la possédée. Et aussitôt^ dit le 
chroniqueur, elle cessa de gambader. L'un des 
prêtres officiants, transporté de joie devant 
cet heureux résultat, s'écria : maître Gonin, 
enfin te voilà vaincu! Mais lorsque l'hostie fut 
digérée, Satan revint et paralysa les membres 
de Nicole, qui se tordait sous l'action du 
maudit. 

Un troisième exorcisme révéla bien d'autres 
phénomènes : « Vingt-neuf démons noirs et sous 
la forme de chats gros comme des moutons, vin- 
rent renforcer Belzébuth. Vingt-six furent heu- 
reusement chassés du corps de Nicole à Notre- 
Dame-de-Liesse; un autre prit la fuite à Pierre- 
pont en déclarant que le reste de la meute démo- 
niaque ne délogerait du corps de la possédée 
que devant messire Jean de Bourg, évêque et 
duc de Laon.» 

Le lendemain de cette séance, les moines de 
Vervins conduisirent Nicole Aubry à Laon, près 
du pieux évêque. Un médecin protestant vint 
pour visiter la malade ; mais Jean de Bourg s'op- 
posa à cet examen et ordonna à Spifaime, che- 
valier de Saint-Jean, de donner asile à Nicole. 
Peu de jours après, en la cathédrale de Laon, 



•CATHERINE DE MEDICIS 2C1 

Jean de Bourg exorcisa la possédée, et « chacun 
reconnu que ce n'était plus Belzébuth qui occu- 
pait le corps et i'àme de Nicole, mais un démon 
plus dangereux encore que Ton nomme Astaroth. 
Jean de Bourg réussit cependant à le faire délo- 
ger dès le commencement de son exorcisme. 
Seulem.ent, tout le monde observa que Nicole 
n'était pas complètement débarrassée et que 
deux autres personnages infernaux étaient en- 
core en elle. Alors Jean de Bourg multiplia ses 
gestes, ses ordres, ses prières, et le démon Cer- 
bérius s'échappa de la cathédrale sous la forme 
d'un gros chien, pendant que le fameux Belzé- 
buth s'échappait également sous la forme d'un 
taureau, en criant que la présence de Jésus était 
bien réelle dans le sacrement de l'Eucharistie. 
Puis, il s'éleva une épaisse fumée, on entendit 
deux grands coups de tonnerre et un brouillard 
opaque enveloppa tous les clochers et pignons de 
la ville, et le diable disparut enfin dans ce brouil- 
lard. Quant à Nicole Aubry, elle était presque 
morte. Cependant, elle fut rendue à la santé par 
une oraison de saint Bernard que Jean de Bourg 
récita sur la tête de la malade. Puis il confec- 
tionna, à l'aide d'une relique de saint martyr, 
un talisman qu'il attacha au col de Nicole, et 

15. 



262 CATHERINE DE MEDICIS 

après une journée de jeûne et de prières, elle fut 
défînitivementsauvée(i). » 

Aussitôt que Catherine de Médicis et Char- 
les IX eurent connaissance de cette démence, ils 
se firent transporter à Laon, où Nicole était 
récemment arrivée. Dans le parc de Marchais, 
le mardi 27 août i566, Nicole Aubry entourée de 
tout le personnel ecclésiastique qui avait parti- 
cipé à l'expulsion de « ses démons » , fut présentée 
au roi et à Catherine. Après s'être fait conter en 
détails le miracle de Nicole, Charles IX fit re- 
mettre dix écus d'or au mari de la possédée (2). 

Les événements de Vervins et de Laon ne 
constituent pas un fait isolé dans Thistoire du 
seizième siècle. La superstition de Catherine a 
peut-être encouragé la s^uperstition générale de 

(1) et (2) BouLvÈSE, Histoire de la possession qui arriva à 
Laon en 1566, citée par Garinet, p. 127. Boulvèse était alors 
professeur de langue hébraïque au collège de Montaigu. 
Voir aussi : Histoire du Diable de Laon dans les Archives 
curieuses de VHisioire de France, V^ série, t. VI, pp. 261 à 267. 
En 1576, Catherine se rendit spécialement au château de 
Lusignan, en Poitou, pour y visiter l'antique demeure de 
la fée Mélusine, et s'en faire conter l'histoire par les paysans 
de l'endroit, qui affirmèrent à la reine que, chaque nuit, ils 
voyaient Mélusine sous la forme d'une belle femme ayant 
la fin du corps en serpent, venir se baigner dans les eaux de 
la fontaine du château. (Brantôme, Vie de M. de Montpen- 
sier, édit. du Panthéon, t. I, p. 485.) 



CATHERINE DE MEDICIS 2G3 

l'époque, mais en tout cas elle ne Ta certaine- 
ment pas créée par rintroduclion d'Italie en 
France d'une armée d'astrologues et de magi- 
ciens-envoùteurs. Ces idées existaient dans notre 
pays avant la venue de Catherine et elles devaient 
rester implantées longtemps encore après sa 
disparition. Quoi qu'il en soit, l'exemple étant 
donné en haut lieu, toute la cour et la ville 
croyaient fermement à la puissance des sorciers. 

A côté des pratiques occultes de Catherine, 
de celles de Charles IX et plus tard de Henri III, 
il y avait, pour autoriser telles croyances, la 
parole des médecins comme Ambroise Paré 
€t celle des magistrats comme Henri Boguet, 
grand' juge de la terre de Saint- Claude en 
Franche-Comté. 

« Des incrédules osent dire qu'il n'y a point 
de sorciers, déclare sentencieusement ce juris- 
consulte, quant à moi, je ne fais nul doute, d'au- 
tant que si nous jetons les yeux sur nos voisins, 
nous les verrons tous fourmiller de cette malheu- 
reuse et damnable engeance... La Savoie n'en 
•est point vide, car elle«ou& envoie tous les jours 
une infinité de personnes qui sont possédées du 
démon. Mais quel jugement feronsruous de la 
France ? Il est bien difficile de croire qu'elle 



264 CATHERINE DE MEDICIS 

en soit, purgée, attendu la grande quantité de 
sorciers qu'elle contenoit du temps de Trois- 
Echelles. 

« Non, non, les sorciers marchent partout, 
par milliers, et multiplient en terre tout ainsi 
que des chenilles en nos jardins, ce qui est une 
honte aux magistrats, auxquels appartient le 
châtoi des crimes et délits. Car, quand nous 
n'aurions autre chose que l'exprès commande- 
ment de Dieu de les faire tous mourir comme 
ses plus grands ennemis, pourquoi les endurons- 
nous davantage? En nous rendant désobéissants 
à la majesté du Très-Haut, nous faisons pire 
qu'eux, puisque la désobéissance est comparée 
à l'idolâtrie et à la sorcellcTie par Samuel, par- 
lant au roi Saûl. 

(( Je laisse aussi que les sorciers ne se plaisent 
qu'à mal faire, et qu'ils se baignent dans la mort 
des personnes et du bétail, ce qui est une raison 
pour laquelle nous sommes poussés naturelle- 
ment à les punir, si toutefois nous sommes tou- 
chés de quelque humanité Je dis de plus que, 

quand nous ne ressentirions en rien de ce qui 
est de l'homme, car les bêtes, même les plus 
déraisonnables, ne souffrent pas entre elles celles 
qui se boudent et se mutinent contre les aultres, 



CATHERINE DE MICDICIS 265 

comme nous le voyons par expérience. L'auteur 
de la nature nous imprime ce commun devoir 
dans Pâme, car aussi sans cela, le monde ne 
pourrait subsister. Par ces considérations, donc 
il est bien nécessaire que chacun prête la main 
à un si bon office, et spécialement ceux qui sont 
en charge, afin que nous en montrions tels que 
nous avons été créés, c'est-à-dire hommes et 
politiques, et que nous ne fassions foudroyer sur 
nos testes Tire et d'indignation du Dieu vivant. 
« 11 y en a qui ne se sont pas voulu persuader 
que tout ce qu'on disoit des sorciers étoit véri- 
table. Mais, par une grâce spéciale de Dieu, ils 
commencent à revenir de leur erreur et Dieu 
leur a dessillé les yeux que Satan leur avoit 
bandés pour augmenter son règne. Ces mes- 
sieurs, dis-je, commencent à s'adonner à faire 
rechercher les sorciers, d'oii j'augure que Satan, 
dans peu de jours, se verra terrassé avec ses 
suppôts. Je veux bien qu'il sache que, si les 
effets correspondaient à ma volonté, la terre en 
seroit bientôt repurgée; car je désirerois qu'ils 
fussent tous unis en un seul et mesme corps, 
pour les faire brûler à une fois en un seul feu. 
Je m'efforcerai cependant de leur faire la guerre, 
tant par la justice que j'en procurerai, que par 



:266 CATHERINE DE MEDICIS 

mes petits écrits, comme j'ai déjà fait (i). » 
Ainsi la crédulité publique était-elle entrete- 
nue par le trône, par Tautel, parla magistrature 
et par la science. Aux dénonciations nombreuses 
succédaient les questions, les tortures et les sup- 
plices de tous genres qui ne faisaient qu'accroître 
le nombre des disciples de Satan. Récits effroya- 
bles narrés dans les veillées, livres clandes- 
tinement vendus, pieuses neuvaines et pèleri- 
nages organisés en faveur des paroissiens atteints 
de la griffe du diable^ menaces d'excommuni- 
cation lancées par les prédicateurs contre les 
impratiquants de la délation antidémoniaque 
imposée, tels étaient les plus ordinaires moyens 
de propagande involontaire, pratiquée en faveur 
du culte des ténèbres. 

Par toute la France de la fin du seizième siècle 
les bûchers flambent, pour la carbonisation des 
sorciers. La présomption de sorcellerie suffît 
pour arrêter les personnes soupçonnées de sor- 



(1) Henri Boguet, Discours des Sorciers. Préfaee-dédieace 
à Fernand de Rye, prince du Saint-Empire romain, abbé 
de Saint-Oyan-de-Joux. Lyon, 1602. Ce discours est suivi du 
Code des Sorciers rédigé en soixante-dix articles qui est un 
beau modèle de la cruauté employée de bonne foi par la 
jurisprudence des quinzième et seizième siècles, en ma- 
iière de sorcellerie. 



CATHERINE DE MEDICIS 207 

sellerie. L'interrogatoire suit aussitôt l'arresta- 
tion, « parce que, dit Boguet, le diable assiste 
les sorciers en prison et peut les sauver par ses 
conseils ». D'ailleurs, il est bien stipulé au juge 
chargé d'une affaire de magie, « qu'il ne doit en 
rien procéder dans son instruction comme pour 
une affaire ordinaire ». Et Boguet prescrit les 
mesures suivantes qui sont rigoureusement 
observées par ses confrères : 

« Le juge doit demander à l'accusé s'il a des 
enfants. 

« Il doit bien adviser à la contenance des 
sorciers, voir si le prévenu ne jette point de 
larmes, s'il regarde à terre, s'il barbotte à part, 
s'il blasphème : cela est indice. 

« Souventla honte em.pêche le sorcier d'avouer; 
c'est pourquoi il est bon que le juge soit seul 
^vec le sorcier, et le greffier caché pour écrire 
les réponses. 

« Si le sorcier a devant lui un compagnon du 
sabbat, il se trouble. On doit raser le sorcier à 
fin de mettre à découvert le sort de taciturnité. 
Il faut le visiter avec un chirurgien pour chercher 
les marques du diable. Si l'accusé n'avoue pas, 
il faut le mettre dans une dure prison et avoir 
gens affidés qui tirent de lui la vérité. Il y a des 



CATHERINE DE MEDICIS 



juges qui veulent qu'on promette le pardon 
et qui ne laissent pas de passer à l'exécution. Le 
juge peut employer la torture, mais en général 
elle ne fait rien sur le sorcier. 

«: Si l'accusé se trouve saisi de graisses, si le 
bruit public l'accuse de sorcellerie, il est sûre- 
ment sorcier. Les indices légers sont, les varia- 
tions dans les réponses, le regard effaré. Les in- 
dices graves sont, la naissance, comme si par 
exemple le sorcier est enfant de sorcier, s'il est 
marqué, s'il blasphème. Le fils en tel cas est 
admis à déposer contre son père. Les témoins 
reprochables doivent être entendus comme les 
autres. On doit surtout entendre les enfants. La 
peine est le supplice du feu. On peut aussi 
étrangler les sorciers et les brûler après, mais les 
loups-garous doivent être brûlés vifs. On con- 
damne toujours justement, même sur des con- 
jectures et des présomptions ; mais alors on ne 
brûle pas, on pend. Le juge doit assister aux 
exécutions suivi de son greffier (i). » 

Ce code si plein de clémence et de sentiments 

(1) Henri Boguet, Instruclion pour un juge en fait de sor- 
cellerie, publiée à la fin du livre précité. Les éditions de ce 
curieux ouvrage sont très rares ; la famille de Boguet en 
ayant fait détruire la majeure partie à la mort de l'auteur 
survenue en 1619. 



CATHERINE DE MEDICIS 2C9 

humanitaires, reçut en 1601 l'approbation géné- 
rale des juristes français, notamment d'un avo- 
cat de Salins, Daniel Romanez et du docteur en 
théologie^ De la Barre, quidéclaraitmême quele 
livre de Boguet était rempli de plusieurs belles 
el bonnes doctrines. Aussi suffisait-il, en effef, 
de simples conjectures et présomptions pour 
être accusé de magie et condamné au dernier 
supplice (1). 

Seuls les magiciens royaux étaient à l'abri de 
ces poursuites, jusqu'au jour où, pourtant, ils per- 
daient la confiance de leurs maîtres par quelque 
insuccès survenu dans leurs expériences ou leurs 
prédictions; c'est précisément ce qui arriva à 
Trois-Echelles, sorcier précité par Boguet. 

Ce Trois-Echelles était un charlatan fort habile 
en tours de passe-passe et scènes magiques ; 
c'est pourquoi Charles IX, lui accordant sa pro- 
tection, se l'était attaché pour charmer ses loi- 
sirs. Un jour, devant le roi, Ambroise Paré, les 
maréchaux de Montmorency et de Retz, le sei- 

(1) Henri Estienne parle d'un juge de son temp.s qui 
n'avait qu'une formule en matière de procès démoniaque 
Si le prisonnier était vieux, il disait : « Pendez, pendez, 
car il en a bien fait d'autres! » Si l'inculpé était jeune, il 
disait encore : « Pendez, pendez, car il en ferait bien d'au- 
tres ! » 



270 CATHERINE DE MEDICIS 

g-iieur de Lansac et M. de Mazille, alors premier 
médecin du roi, Trois-Echelles affirma qu il lui 
était donné d'opérer des merveilles magiques 
^râce à un esprit infernal auquel il s'était voué, 
et que durant trois années cet esprit devait rester 
son allié. Mais cela ne fut pas du goût de 
Charles IX qui détestait les possédés. Trois- 
Echelles fut arrêté et mis en demeure de dé- 
noncer tous les possédés qu'il connaissait. Le 
sorcier cita des noms, décrivit le sabbat auquel il 
assistait régulièrement, disait-il, exposa les sa- 
crifices qu'on y faisait, ainsi que les paillardises 
auxquelles se livraient les possédés, hommes et 
femmes, unis au diable. Il donna également la 
formule de poudres et onguents magiques, et 
Famiralde Goligny,,qui assistait à cet interroga- 
t3ire, confirma la déclaration de Trois-Écheiles 
ea rapportant qu'en efîet, un valet, utilisant rune 
de ces poudres, fit mourir deux gentilshommes 
de sa connaissance, en saupoudrant de poison 
les lits dans lesquels ces deux personnages cou- 
chaient ordinairement. Goligny ajouta qu'après 
leur mort, ces deux gentilshommes furent trou- 
vés noirs et enflés. Cependant, Trois-Échelles 
supplia Charles IX de lui accorder sa grâce, ce 
qu'il obtint. Mais peu de temps après, ayant re- 



CATHERINE DE MEDICIS 271 



commencé ses folies, il fut mis à mort en place 




Table onomatomancienne de Cornélius Agrippa. 

de grève à Paris, au cours de Fannée 1571 (1). 
Ambroise Paré, auteur de ce récit que confirma 

(I) Ambroise Paré, Des Monstres, chap.XXX, et Jean Bodin, 
ia Déniono manie des Sorciers, édition de 1598, pp. 375 à 377. 



272 CATHERINE DE MEDICIS 

Bodin, était absolument convaincu de la présence 
du démon dans le corps des malades psychiques. 
Son livre contient toute une série d'histoires de ce 
genre, parmi lesquelles celle du valet « ensorcelé 
par amour » n'est certes pas la moins curieuse. 
Ce médecin nous raconte le plus sérieusement du 
monde, « qu'un domestique de sa connaissance, 
nommé Boucher, estant profondément plongé en 
vaines cogitations de luxure, vit soudain paraître 
un diable sous forme d'une belle femme. Il copula 
charnellement avec elle, et tout aussitôt ses par- 
ties génitales commencèrent à s'enflamber. Il lui 
sembloit avoir le feu dans le corps lorsqu'enfin 
la mort vint l'arracher à ses tourments (i) ». 

Le nombre des personnages s'occupant d'oc- 
cultisme et attachés à la personne de Charles IX 
égalait presque en importance celui delà reine- 
mère. Un document du temps nous montre « ce 
monarque très chrestien et très aymé de Dieu, 
malade et vivant parmy les docteurs sathany- 
ques, disputans et vomissans des blasphèmes 
appris en l'école de Calvin (2) ». 

(1) Ambroise Paré, Des Monstres, cliap. XXVIII. 

(2) Discours des présages et miracles advenus en la personne 
du roy et parmy la France dès le commencement de son règne, 
par F. DE Belleforest Comingeois. A Lyon, chez Michel Jove, 
1568. {Bibliothèque nationale, L. B. 33 214. A ; p. 7). 



CATHERINE DE MEDICIS 278 

A cette catégorie de docteurs spéciaux, ap- 
partenait le médecin-astrologue Bernard Abatia, 
sur la vie duquel nous avons peu de détails, à 
part la liste des dépenses d'habillement soldées 
par Charles IX, à l'occasion d'une grande fête- 
tournoi, donnée à la cour en i565 (i). Mais une 
autre personnalité du même groupe, sur laquelle 
nous sommes mieux renseigné, c'est Jean Gau- 
thier, baron de Plumerolles, magicien-alchi- 
miste. Vers 1569, il persuada Charles IX qu'il 
possédait un infaillible moyen pour faire de l'or, 
mais qu'une somme de cent vingt mille livres 
lui était nécessaire pour la préparation de ses 
appareils, et la marche de ses premiers essais. 
Après quelque hésitation, Charles IX lui fît 
compter la somme demandée. Jean Gauthier se 
mit au travail; seulement, au bout d'une huitaine 
dejours, il prenait la fuite en emportant les cent 
vingt mille livres. Furieux, Charles IX envoya 
à la poursuite de l'alchimiste, qui fut rejoint aux 
environs de Beauvais, et aussitôt pendu (2). 

(1) Archives nationales, K-K ; 130, p. 332. [Comptes de r ar- 
gentier royal.) 

(2) CoLLiN DE Plancy, ouvr. cité antérieurement, p. 542. 



274 CATHERINE DE MEDICIS 



De tous les fils de Gatherme de Médicis^ 
Henri HT fut assurément celui auquel elle légua 
le plus de sa superstition. Nombreux sont les 
documents et pamphlets qui nous présentent 
Henri HI comme sorcier « visiteur des monas- 
tères de nonnains diaboliques et autres lieux de 
plaisirs sacrilèges ». Ses hypocrites manifes- 
tations religieuses ne furent jamais goûtées du 
peuple, et n'apparurent que comme des péni- 
tences que ce roi s'imposait pour se laver de 
ses luxures et de ses pratiques en sorcellerie. 
(( En ce temps, le roy, dit le Journal des choses 
mémorables^ alloit à pied par rues de Paris pour 
gagner les pardons du Jubilé envoyé en France 
par Grégoire XIII, accompagné de deux ou trois 
personnes seulement, tenant en main de grosses 
patenostreSj disant et marmotant par les rues. 
On disoit qu'il le faisoit par conseil de sa mère 
afin de faire croire au peuple qu'il estoit fort 
dévot et bon catholique, pour mieux fouiller aux 
bourses des bourgeois de Paris ; c'est pourquoi 
on luy donna tous ces titres : Henry, par la 
grâce de sa Mère, inutile Boy de France et de 



CATHERINE DE MEDICIS 27.> 

Pologne imaginaire, Concierge du Louvre, Mar- 
guillier de Sainl-Germain-VAuxerrois, Amy du 
Diable, Basteleur des Églises de Paris, Gendre 
de Colas, Gaudronneur des collels de sa femme 
et frisear de ses cheveux. Mercier du Palais, 
Visiteur d^estuves. Gardien des quatre mandians, 
Père conscript des Blancs-battus et Protecteur 
des Capuchins (i). 

Un ouvrage publié peu de temps avant Tas- 
sassinat de Henri III contient diverses anec- 
dotes relatives aux sortilèges de ce roi licen- 
cieux et incapable; voici quelques extraits de 
ce livre rare : 

« Henry de Valois etd'Épernon, avec ses aul- 
Ires mignons, faisoient quasi publiquement pro- 
fession de sorcellerie estant commune à la cour 
entre iceux et plusieurs aultres personnes dé- 
voyées de la foy et religion catholiques. H n'a 
pas été instruit en France de cette abominable 
science, car du temps du feu roy François P% 
la France n'était pas empoisonnée de telles abo- 
minations. Plusieurs schismes, hérésies, hypo- 
crisies, simonies, parricides, meurtres, injusti- 

(1) Journal des choses mémorables advenues durant tout le 
règne Ce Henry III, roy de France el de Pcligne ; année 157G 
m Dis d'aoït, p. 19. 



276 CATHERINE DE MEDICIS 

ces, paillardises, incestes, sodomies et aposta- 
sies n'y étoient ni connus, ni entretenus... 

« On a trouvé chez d'Epernon un coffre plein 
de papiers de sorcellerie auxquels il y avait divers 
mots d'hébreu, chaldaïques, latins, et plusieurs 
caractères inconnus, des rondeaux ou carmes, 
esquels à l'entour il y avoit diverses figures et 
escritures, même des miroirs, onguens et dro- 
gues, avec des verges blanches, lesquelles sem- 
bloient estre de couldre, que l'on a incontinent 
brûlées pour Thorreur qu'on en avait... 

(( On a trouvé aussi dernièrement au boys de 
Vincennes deux satyres en argent, de la hauteur 
de quatre pieds. Ils étoient au-devant d'une croix 
d'or, au milieu de laquelle y avoit enchâssé du 
bois de la vraie croix de Notre Seigneur Jésus 
Christ. Les politiques disent que c'étoient des 
chandeliers. Mais ce qui fait croire le contraire, 
c'est que dans ces vases, il n'y avoit pas d'ai- 
guille qui passoit pour y mettre un cierge ou 
une petite chandelle, et que (ces satyres) tour- 
noient le derrière à la dite vraie croix, et que 
deux anges ou simples chandeliers y eussent été 
plus décens que ces satyres estimés par les 
païens pour être les dieux des forêts, où l'on tient 
que les mauvois esprits se trouvent plutôt qu'en 



CATHEHINE DE MEDICIS 277 

aultres lieux. Ces monstres diaboliques ont esté 
vus par messieurs de la ville (i). » 

Vient ensuite la description d'un talisman 
semblable à celui attribué à Catherine: u Outre 
ces deux figures diaboliques, continue le narra- 
teur, on a trouvé une peau d'enfant, et suricelle 
y avoit aussi plusieurs mots de sorcellerie et 
plusieurs caractères. Lorsque plusieurs (hommes 
et femmes) dans les années i586et 1687, avoient 
esté condamnés pour sorcellerie, il (Henri III) 
les faisoit renvoyer absous. Il ne faut donc pas 
s'émerveiller si, ayant délaissé Dieu, Dieu ne 
Tait aussi délaissé. Tout ce qu'il alloit souvent 
au boys de Vincennes, n'étoit que pour entendre 
à ses sorcelleries, et non pour prier Dieu (2). » 



(1 et 2) Les Sorcelleries de Henri de Valois, et les ohlations 
qu'il faisoit aa diable dans le boys de Vincennes. A Paris, chez 
Didier- Millot, 1589. (Voir cet ouvrage passim.) Une curieuse 
gravure, illustrant ce livre, représente les deux satyres 
d'argent sus-décrits. Le Journal des choses curieuses, déjà 
cité, pp. 16 et 17, nous apprend que le « quinzième jour 
d'avril, jour de Pasques flories, le roy fit publier aux 
prosnes de toutes les paroisses de Paris, qu'ilavoit fait faire 
une croix de nouveau, semblable à celle qui devoit estre 
à la Sainte-Chapelle de Paris, qui avoit esté dérobée l'année 
précédente, et qu'en icelle il avait fait enchâsser une par- 
tie d'une grande pièce de la vraye croix de JSostre sei- 
gneur, gardée en une aultre grande croix double au thrésor 
de ladite Sainte-Chapelle, et que tout chacun l'allàt durant 

16 



278 CATHERINE DE MEDIGIS 

Il se peut en effet que Henri III ait accordé 
sa grâce à plusieurs sorciers; mais cependant 
en 1578, un certain Jacques RoUet ayant été 
accusé de sorcellerie et de lycanthropie, et con- 
vaincu d'avoir, sous forme de loup-garou, man- 
gé bonne partie d'un petit garçon qui lui tomba 
sous la dent, Henri III le laissa parfaitement 
condamner au supplice du feu (1). 

Un autre pamphlet nous présente Henri III 
instituant une école de magie au Louvre, et 
s'entretenant avec un mauvais génie du nom de 
Terragon, « esprit tiré des soixante esprits nour- 
ris en l'école de Soliman ». 

« Henry vous savés que lorsque vous donnâtes 
liberté à tous sorciers et enchanteurs et auitres 
devinateurs, détenir libres escoles ez chambres 
de vostre Louvre et même dans vostre cabinet, 
à chacun d'iceux une heure le jour, pour mieux 
vous en instruire, vous savés qu'ils vous ont 
donné un esprit familier nommé Terragon. Henry 
vous savés qu'aussitôt que vous vîtes ce Terra- 
gon, vous l'appelâtes vostre frère en l'accolant 



la saincte semaine et auUres jours de dévotion baiser et 
adorer comme de coustume, de quoy le peuple de Paris fut 
fort joyeux et content ». 
(1) De Lancre, Arrêts notables de Paris, p,. 785. 



CATHERINE DE ^lEDICIS 27Î) 

et, la nuit suivante^ il coucha dans vostre cham- 
bre, seul avec vous dans vostre lit. Vous savez 
aussi qu'il tint sur vostre nombril un anneau, et 
sa main liée dans la vostre et fut le matin vostre 
main trouvée comme toute ceinte. Terragon vous 
mit sur icelle un applic, et ce matin vous montra 
Cjue dans la pierre de cet anneau, était là votre 
âme figurée. 

« Henry vous savés bien que cedit Terragon 
eut affaire un jour à une fille de joie en la cham- 
bre secrète, de quoi icelLe cuida mourir suivant 
récit qu'elle a fait à ses privés amis, certifiant 
que Nogaret ou Terragon n'est point un homme 
naturel, parce que son corps est trop chaud et 
trop brûlant. C'est par charme et sortilège que 
vous avés donné pour espoux à la comtesse de 
Foix vostre démon favori. Elle a dit que la pre- 
mière nuit de ses noces ce fut Terragon qui la 
fît évanouir, et puis le matin se trouva couché 
près d'elle, et alors icelui Terragon la voulût 
dépuceler ; elle ne sçut endurer sa chair si chaude 
qu'elle étoit, et dont le jour ensuivant ne cessa 
de plorer devant sa tante (i). » 

(1) Remontrances à Henry de Valois sur les choses horribles 
envoyées par un enfant de Paris, chez Jacques Grégoire, 
28 janvier 1589, 1 vol. in-8, passini. 



230 CATHERINE DE MEDICIS 

D'autres chroniqueurs prétendirent aussi que 
Henri III fit un jour venir au Louvre une pros- 
tituée qu'il livra à son diable familier^ et que la 
pauvre fille pensa en mourir de frayeur. « C'est 
par cette accusation de sorcellerie, dit l'Estoile, 
qu'on mit le poignard dans les mains du moine 
Jacques Clément (i), et que les Ligueurs avaient 
auparavant tenté d'envoûter ce roi, à l'aide de 
statuettes de cire le représentant, et qu'un prêtre 
piquait chaque jour au cours d'une messe dite 
sur un autel chrétien (2). » 

(1) Les Cabalistes contemporains de la mort de Henri III, 
déclarèrent que Jacques Clément était prédestiné pour le 
crime, parce qu'en transposant les lettres de : Frère Jacques 
Clément, on obtenait la phrase suivante : Cesl l'enfer qui m'a 
créé ! Une curieuse gravure du temps représente Henri IV 
descendu aux enfers, guidé par Louis IX, et rencontrant 
l'assassin de son prédécesseur au milieu des démons [collec- 
tion de l'auteur). 

(2) Pierre DE l'Estoile, Véritable fatalité de Saint-Cloud, 
art. 8, et Garinet, Histoire de la magie en France, p. 134. Sur 
ce même sujet, voir également les curieux ouvrages ci- 
après : Le Discours au uray sur la mort et trespas de Henry 
de Valois, lequel est décédé le 2« jour de ce présent mois 
d'août 18.59. A Paris, chez F. Tabart, 1539; in-8, pièce rare. 

— Derniers propos du roy consolant avant sa mort ses 
fidèles sujets, avec le serment et promesse du roy à son aduène- 
ment à la Couronne; suivy du serment réciproque des princes 
du sang et aultres ducs, pairs, etc., à Sa Majesté (S. 1. ni d., 
pièce in-8, rare). 

« Discours entier et véritable des entreprises et conspirations 
secrettes faites contre la personne de Henry de Valois, très 



CATHIIRINE DI-. MKDICIS 2S1 



Qu'il y ait une part à faire, dans ces récits, 
pour la fantaisie et l'exagération des faits rap- 
portés, ceci ne peut être mis en doute. Mais il 
est aussi certain que la superstition de Cathe- 
rine de Médicis et celle de ses fils Charles IX et 
Henri III, ont été le début de la grande fièvre 
démoniaque qui devait se manifester avec tant 
ai troubles au dix-septième siècle. C'est en 
vain que la persévérance cruelle d'un Henri 
Boguet, jointe à celle des Bodin, des de Lancre 
et autres juges anti-démoniaques, jointe aussi 



chreslien roy de France et de Polongne, donl est ensuyuie sa 
mort parla main d'un jeune jacobin, le V" d'août 1589. (A Caen, 
de l'Imprimerie de J, Brenouzet, 1589, pièce in-8, rare.) 

« Charmes et caractères de sorcellerie de Henry de Valoys, 
trouvez en la maison de Miron, son premier médecin et conseil- 
ler privé. (A Paris chez J. Parent, 1589, pièce in-8, rare). Le 
recueil de Pierre de l'Estoile intitulé : Les belles figures de la 
Ligue a.u chap. II, fol. 17, section Vï, § 19, n° 6, contient éga- 
lement le Portrait des charmes et caractères de sorcellerie de 
Henry de Valoys, troisième du nom. (S. 1. ni d. in-fol. plans). 

« Les Prophéties merveilleuses advenues à l'endroit de Henry 
de Valois, troisième du nom, jadis roy de France. Paris, chez 
A. du Breuil, 15s9 {pièce in-8, rare). 

« La sorcellerie de Jean d'Espernon, avec les lamenl.ations 
d'iceluy et du roi de Navarre sur la mort de Henry de Vallois 
(S. 1. ni d. in-fol. piano). Cette publication est également, 
insérée dans le recueil de Pierre de l'Estoile précité : Les 
belles figures de la Ligue, fol. 15, chap. Il, sect. VI, | ,19. 

Toutes ces brochures rarissimes sont conservées à la 
Bibliothèque nationale, dans la série L. f, 34. 

in. 



282 CATHERINE DE MEDICIS 

à la parole d'un dom Calmet et aux arrêts du 
Saint- Office, tenteront d'enrayer la propaga- 
tion d'une telle démence î Henri III a donné le 
branle durant tout son règne et l'élan ne pouvait 
aller qu'en progressant jusqu'à l'avènement de 
Louis XV. Tout ce que la science d'alors ne 
savait expliquer, était immédiatement attribué 
au démon. Gà et là, une intelligence plus vaste 
que les autres s'élève parfois en osant des pro- 
testations timides ; mais c'est une faible mino- 
rité. Pierre Pigray, médecin-chirurgien de 
Henri III, fut pourtant l'un de ces raisonneurs 
éclairés ; en voici deux preuves que je prends 
au hasard des écrits laissés par ce médecin, 
moins connu qu'Ambroise Paré, et qui cependant 
possédait un savoir au moins égal à celui du 
chirurgien célèbre. 

Les capucins de Paris, dont Henri III fré- 
quentait assidûment le couvent, avaient chez 
eux, comme domestique, une fille jugée démo- 
niaque. Le roi en ayant eu connaissance, en- 
voya Pierre Pigray, accompagné de deux autres 
médecins, Botel et Leroi, pour examiner la ma- 
lade : (( Nous fîmes quelques demandes à la 
fille, dit Pigray, elle ne nous répondit que par 
des sornettes. Nous prîmes la mère de cette 



CATHERINE DE MEDICIS 283 

fille en particulier, et elle nous avoua que sa 
fille, par suite de débauche, était malade. Après 
avoir reconnu le fait, nous reconnûmes tous les 
symptômes d'une gonorrhée virulente, que nous 
appelons chaude-pisse en français. Le prieur 
du couvent fit des interrogations en latin; la 
fille répondit fort mal en cette langue. Un prê- 
tre de Saint-Germain découvrit la fraude au roi. 
Ce prince se fit présenter la fille dans une ferme 
peu éloignée de Tabbaye Saint-Antoine. Là, elle 
fut visitée par des sages-femmes qui déclarèrent 
qu'elle n'était pas pucelle ; la chaude-pisse en 
était bien la meilleure preuve. Le roi désira voir 
par lui-même, et caché, ce qui se passerait en- 
tre nous et la possédée, et il tenait la porte 
entr'ouverte. Quand nous étions prêts à faire 
notre rapport, un jeune homme vint m'avertir 
que cette fille avait été fouettée sur la place 
d'Amiens^ deux ans auparavant. L'évêque de 
cette ville avait été promu au siège de Paris; 
il vint dire au roi qu'il se rappelait fort bien que 
cette fille et sa famille étaient venues à Amiens,' 
et que cette fille ayant fait la possédée, il favait 
fait venir à févêché, que là un de ses valets dé-, 
guisé en prêtre ayant commencé à lire les épî- 
tres de Cicéron, cette fille avait convulsionné et 



281 CATHERINE DE MEDICIS 

pour faire connaître la fraude, il l'avait fait fouet- 
ter. Sur le rapport de cet évêque, le roi ordonna 
enfin d'enfermer la prétendue possédée (i). » 

Au début de l'année iSSg, le parlement de 
Paris s'était réfugié à Tours. Quatorze personnes 
condamnées au bûcher pour sorcellerie appe- 
lèrent devant ce parlement, de la peine de mort 
prononcée contre elles. Henri III nomma pour 
commissaires chargés de l'examen médical des 
condamnés, Pierre Pigray, Faileseau, Leroi et 
Renard, tous quatre ses médecins particuliers. 
« La Visitation des sorciers, dit Pigray, fut faite 
en présence de deux conseillers de la cour. Les 
premiers juges les avaient condamnés sous pré- 
texte qu'ils avaient des marques diaboliques 
insensibles sur le corps. Nous les visitâmes fort 
diligemment, les faisant dépouiller tout nus. Ils 
furent piqués en plusieurs endroits, mais ils 
avaient le sentiment fort aigu. Nous les interro- 
geâmes sur plusieurs points, comme on fait pour 
les mélancoliques. Et nous n'y reconnûmes que 
3e pauvres gens stupides, les uns qui ne se sou- 
ciaient guère de mourir, les autres qui le dési- 
♦raient. Notre avis fut qu'il leur fallait plutôt bail- 
li) Chirurgia Pet ri Pigrei. (1 vol. in-8, Paris 1609.) Cha- 
pitre X du liv. VII, traduction de Garinet. 



CATHERINE DE MEDICIS 2S5 

ier de l'hellébore pour les purger que de leur ap- 
pliquer des tourments. Le parlement, après une 
mûre délibération, les renvoya tous chez eux 
sans leur infliger aucune punition (i). » 

De telles démontrations ne pouvaient certes 
suffire pour enrayer cette évolution bizarre, 
changer l'opinion publique et les pratiques de 
dégénéré auxquelles se livrait Henri III. Chaque 
jojr, Satan le Prince des iniques^ dit Eustorg 
de Beaulieu, est de plus en plus puissant. Le 
roi a conservé l'astrologue de son frère Char- 
les IX, ce Bernard Abatia déjà cité. Dans le 
personnel de la maison royale, il occupe un 
rang qui le classe parmi le service de. santé, 
après les deux barbiers, les valets de chambre 
et les cinq chirurgiens de Henri 111(2). 

Au cours de la nuit du 20 au 21 janvier de 
Tannée i583, le roi eut un terrible cauchemar. 
« Le 21 au matin, après avoir communié et fait 

ses prières et dévotions au couvent des bons- 

j. 

hommes de Nigeon, auquel il donna cent escus, 
dit le Journal des choses mémorables, le roy 
revint au Louvre où, arrivé, il fit tirer à coups 

(1) Chirargia Pétri Pigrei, déjà cité. 

(2) Archives nationales, K-K : UO. Comptes de l'Espargne 
du rov, année 1580. 



286 • CATHERINE DE MEDICIS 

d'arquebusades tous les lions, ours, taureaux et 
autres semblables qu'il faisoit nourrir pour 
combattre avec ses dogues: et ce, à l'occasion 
d'un songe qui luy étoit advenu par lequel il 
luj sembla que les lions, dogues et ours le 
niangeoient et le dévoroient. » Après cette scène 
de boucherie, Henri conta son rêve à son astro- 
logue, et lui en demanda l'explication. Le devin 
lui dit (( sur ce sujet, que n'est.oient pas ces lions 
ou ces animaux-là qui luy en vouloyent, mais 
tous les grands seigacurs du temps qui estoient 
contre son Estât et contre son service (i) ». Et 
peu s'en fallut que Ton n'assistât à une Saint- 
Barthélémy nouvelle. 

Dès cette année i583, la Compagnie de Jésus, 
d'accord avec les Guises, commence son action 
dans l'ombre. Le livre du jésuite Jean Mariana 
constitua l'une des premières attaques directe- 
ment lancées contre Henri IIL Dans cet ouvrage, 
intitulé : « De RegetRegio, » imprimé àMayen- 
ce, de violentes imprécations sont prononcées à 
l'égard du roi en raison « du culte démoniaque 
auquel il s'adonne avec paillardise ) . Mais la Sor- 
bonne veillait; le livre fut condamné par la Fa- 

(1) Journal des choses mémorables, etc., pp. 63 et 61. 



CATHEfJlNE DE MI.DICIS 287 

culte cle théologie de Paris, et brûlé par la mai;t 
du bourreau vis-à-vis le porche de Notre-Dame. 
Dès lors, Pleriri III sentit tout le danger qui 
entourait son trône/ S'il trembla en face des 
menaces de Jean Mariana, il n'eut pas moins 
peur, un malin, à son réveil en sa chambre de 
Biois, devant une chandelle de cire verte piquée 
de cinq clous disposés en forme de croix, et im- 
primée de signes gnostiques : envoûtement d'un 
nouveaugenre qu'à Tinstigationdesjésuitesespa- 
gnols, Jean Juvregni et Yenero utiliseront plus 
tard à Anvers contre Guillaume III "d'Angle- 
terre (i). Et lorsqu'il constatera les étranges cir- 
constances qui marqueront la mort de sa mère, 
Henri III reconnaîtra que « Sathan le grande 
a décidément vaincu le Jéhovah des Prêtres (2) » î 



(1) Vat't d'assassiner les roys, enseigné par les jésuites à 
Louis XIV el à Jacques II ; Londres, 1696, chez Thomas 
Fulher, in-12 de 184 pages. (Voir p. 84.) Dans ce livre, 
Henri III est accusé d'avoir ordonné le massacre de la 
Saict-Barthélemy. (p. 135.) 

(2) Frère JosuÉ Garducci, Hymne à Saian ; publié à 
Turin, sans date. 



CHAPITRE IX 



LES PRÉSAGES ASTRONOMIQUES POUR l'aNNÉE IDSq 
ET LA MORT DE CATHERINE DE MÉDICIS 



L'an i588 constitue une période pénible pour 
Catherine. Elle approche de sa soixante-dixième 
année, et les négociations qu'elle a dû traiter 
avec les Ligueurs, au lendemain de la fameuse 
journée des Barricades^ semblent avoir épuisé 
sonextraordinaire énergie. Durantquelques mois, 
elle habite encore Paris, mais sans aucune ac- 
tion marquée. Puis, au commencement de sep- 
tembre i588, apprenant soudain que Henri III a 
brusquement congédié de la cour les ministres 
qui avaient été pour elle des conseillers amis, 
elle en éprouve un profond chagrin. Pour réagir 



CATHERINE DE MEDICIS 289 

contre cette atteinte portée à sa dignité de reine- 
mère, et à l'affection qu'elle accordait à ses ser- 
viteurs dévoués, elle se rend à Blois, le 20 sep- 
tembre, pour assister aux séances des Etats-Géné- 
raux qui se tiendront en cette ville à partir du 16 
octobre. Ces séances sont monotones, pleines 
de discussions oiseuses et n'intéressent nulle- 
ment Catherine. 

Ayant pris beaucoup d'embonpoint, elle 
soutîre d'amphysème. Aussi ne sort-elle pas du 
château où elle se soigne depuis son arrivée à 
Blois. A peine s'est-elle occupée d'envoyer Jé- 
rôme de Gondi en Italie, avec une mission assez 
mal définie, et des recommandations pour tous 
les hauts personnages de la péninsule italique. 
Henri III la soupçonnant de favorisersourdement 
le parti des Guises, toute la cour la tient à l'é- 
cart. C'est pour elle le retour de l'isolement 
subi dans ses débuts à la cour de France, alors 
qu'elle avait à lutter contre l'influence de l'al- 
tière maîtresse de son mari. Après trente ans de 
règne, de grandeur, de luttes habilement diri- 
gées, elle se trouve face à face avec les mêmes 
inquiétudes, les mêmes regrets, les mêmes soup- 
çons. L'ingratitude flagrante de Henri III, ce 
fils qu'elle a le plus aimé parmi tous ses enfants, 

17 



290 CATHERINE DE MEDICIS 

celui auquel elle a tout sacrifié, lui est une chose 
cruelle et stérilisante. 

Elle n'écrit plus. Sa correspondance minutieu- 
sement entretenue et rédigée est complètement 
suspendue. Le 6 décembre, elle envoie pourtant 
un mot decondoléance à Robert Miron qui vient 
d'être disgracié à son tour, et c'est tout(i)... 

Le jour où elle évoquait sa dernière lettre à 
Miron, Catherine s'alitait. Quinze jours plus 
tard, exactement le 20 décembre, Henri III écri- 
vait la lettre suivante au marquis de Pisany, son 
ambassadeur à Rome : 

« Vous pourrez ouyr parler de quelque indis- 
position qu'à eu la* royne ma dame et mère, de 
fièvre et rhume qui m'a tenu un peu en peine : 
mais elle en est à présent, Dieu mercy, garantie 
de danger, et espère que dans peu de jours elle 
sera du tout guérie (2). » 

Trois jours après, de grand matin, étant cou- 
chée dans une chambre située au-dessus du ca- 
binet du roi, elle entend un bruit inaccoutumé, 
suivi dans tout le château d'une agitation extra- 



{!) Lettres de Catherine de Médicis, publiées par M. le 
comte Baguenault de Puchesse. T, IX, Introduction, 
pp. 18 et lit. 

(a) Même source, p. 395, noie. 



CATHERINE DE MEDICIS 291 

ordinaire. Avec effroi elle demande ce qui se 
passe ; mais aucun de ses gens n'ose lui répondre. 
C'est Henri III qui devait bientôt lui apprendre la 
cause de ce tumulte, ainsi que nous l'a rapporté le 
greffier Jacques Garorguy: « Le roy, dit-il, se 
transporta sur l'heure (le 28 décembre, immédia- 
tement après l'assassinat de Guise), vers la royne 
sa mère qui estoit malade, à laquelle il fist en- 
tendre qu'il estoit mort. A quoy elle répondit en 
soupirant, en ces mots : Mon fils, vous avez mis 
vostre personne et le royaulme en proye(i). » 
Gatherine en ressentit une impression terrible 
qui avança certainement sa fin, car, malgré les 
dissensions politiques, elle afTectionnait particu- 
lièrement le duc de Guise. Dans la soirée du 
même jour, le cardinal de Lorraine subissait le 
sort de son frère. Deux jours passèrent et Gathe- 
rine alla visiter le cardinal de Bourbon dans 
rappartement du château où il était gardé à vue. 
Le vieux prélat, en une scène violente, l'accusa 
injustement de la mort des Guise. La reine-mère 
sortittoutémotionnéede cetcntretien. Enrentrant 
dans sa chambre « la goutte lui remonta », elle 
se mit au lit et elle devait ne plus se relever. 

(1) BagueNault de Puchesse, otzi». cité, p. 395, note. 



292 CATHERINE DE MEDICIS 



A ces événements sanguinaires succédait une 
vive terreur dans la ville de Blois. Après l'assas- 
sinat des Guise on avait remarqué au ciel divers % 
signes de mauvais augure : « Si nous ne nous 
amendons et faisons pénitence de nos péchez et 
iniquitez, dit une relation anonyme du temps, 
que certainement nous voirrons Pyre de Dieu 
nous accabler de toutes parts, comme nous en 
avons jà veu un commencement devant nos yeux 
en la ville de Bloys, où nous avons perdu les 
deux lumières et pilliers de nostre France (les 
Guises) par une meschante et malheureuse tra- 
hison, lesquels nous devons bien regretter avec 
pleurs et lamentations. Je vous jure qiie la main 
me tremble, et le cœur me fond en larmes en 
vous recitant ces deux vertueux personnages. 
Messieurs, prions Dieu qu'il luy plaise de nous 
amender et nous amener tous à pénitence ; car 
si ne nous amendons et faisons pénitence et nous 
convertir à Nostre-Seigneur Jesus-Christ, voyant 
les signes horribles et espouvantables qui se 
sont apparuz en plusieurs endroicts de nostre 
France, et principalement sur la ville de Bloys; 
le jour de Noël dernier tomba un flambeau de 



CATHERINE DE MEDICIS 293 

feu ardent, lequel se perdit en un instant; puis 
le jour des Sains-Innocents aussi enssuivant 
(28 décembre), s'apparut sur les sept ou huict 
heures au soir, deux hommes armez en hlanc, 
ayant en main dextre une espée tranchante en- 
sanglantée, lesquels hommes durèrent peu à 
l'œil des personnes qui estoient là à les regar- 
der, voulant quasi desmontrer par là, la mort de 
quelque grand prince ou princesse pour mes- 
chancetez et trahisons qui s'y sont commis depuis 
peu de temps en ça, et qui tous les jours s'y 
commettent (i). » 

Si Catherine eut connaissance de cette prédic- 
tion, cela dut encore bouleverser ses esprits. 

(1) Signes merveilleux apparuz sur la ville et chasieau 
de Bloys en la présence du roy et Vassistance du peuple. Ensem- 
ble les signes et comètes apparuz près Paris le douzième de 
janvier 1589, comme voyez par ce présent pourtraict, 1589. 
(Sans nom d'imprimeur, ni indication du Ireu d'impression, 
pp. 5 et 6.) {Collection de Vauteur.) Cette brochure rarissime 
a été réimprimée à un petit nombre d'exemplaires en 1876 à 
Lyon, par Louis Perrin. L'auteur de cette prédiction est 
sans doute Maistre Pierre de la Carquillarde, médecin et 
astrologue natif de La Roche-en-Savoy e et deumeur à Gyen- 
sur-Loyre, astrologue auquel on doit le Pronostique et pré- 
voyance des choses rares et est ranges demonstrées par les corps 
et influences célestes, desquelles nous sommes menacez dur les 
années 1588 à 1590, dédié au roy de France et de Pologne ; 
pet. in-8 également réimprimé à Lyon par Louis Perrin 
en 1876. 



294 CATHERINE DE MÉDICIS 

Jour par jour, son mal s'aggrave ; la fièvre se 
déclare en même temps qu'une pneumonie dont 
les progrès sont rapides. Selon l'usage de l'épo- 
que, on lui fit rédiger son testament lors.! ce 
tout espoirfut perdu, c'est-à-dire le jeudi i5 jan- 
vier 1589 avant midy. Par ce testament, elle 
léguait la majeure partie de sa fortune à Ghres- 
tienne de Lorraine, sa petite-fille, mariée à 
Ferdinand P*" de Médicis, grand-duc de Toscane 
et fille de Claude, septième enfant de Catherine. 
« ... Et pour la bonne amitié qu'elle (Catherine) 
a et porte à Mme Chrestienne, princesse de Lor- 
raine, sa petite-fiUe, pour l'avoir nourrie comme 
sa propre fille, lui a donné et légué sa maison et 
palais qu'elle a en la ville de Paris, apparte- 
nances et dépendances sur la moitié de tous et 
chacuns ses meubles, cabinets, bagues et joyaux 
qu'elle aura et se trouveront luy appartenir lors 
de son décès (1). » 

Cette rédaction terminée, elle demande un 
prêtre, Unjeune abbé, attaché au château, vient 
et reçoit la confession de l'agonisante. Quand elle 



(1) L'Abbé Chevalier. Debîes et Créanciers ; Paris, 1867 
et 18G9 (note 2.) Voir aussi Edmond Bonnaffé, Inventaire de 
Catherine de Médicis ; Paris, Aubry, 1874, et CAMrLLi: Pjton, 
l^e Quartier des Halles, aux pp. 79, 97 et 395, 



r 



CATIIEHINE DE MEDICIS 295 

eut achevé sa confidence suprême, elle pria le 
prêtre de lui dire son nom. Celui-ci déclara se 
nommer Julien de Saint-Germain, confesseur du 
roi qui l'avait doté de la riche abbaye de Charlieu. 
Ah ! mon Dieu, s'écria Catherine, Je suis 
morte ! Subitement elle s'était rappelée la pré- 
diction de Cosme Ruggieri qui lui avait spécifié 
de craindre Saint-Germain. Le soir, elle expi- 
rait sans grande souffrance, simplement entourée 
de ses femmes (i). 

Comme elle était plus crainte qu'aimée, c'est à 
peine si Ton fit pour ses funérailles la cérémo- 
nie traditionnelle de l'exposition du corps. « Elle 
n'eust pas plus tôt rendu le dernier soupir, dit 
l'Estoile, qu'on n'en fit non plus de compte que 
d'une chèvre morte. » Et Pasquier mentionne 
que : « Vrai est, n'ayant été bien embaumée, car 
la ville de Blois n'est guère fournie de drogues 
et épices pour cet effet, quelques jours après, 
commençant de mal sentir depuis l'a^^partement 
du roy, on a été contraint de l'enterrer en pleine 
nuit, non dans une voûte, pour n'y en avoir au- 



(1) De Thou, édition de Londres, t. X, p. 502 ; Etienne Pas- 
quier, 1. 1, chap. XII; Mézeray, Histoire de France : Jlenri III ; 
Abbé Chevalier, Debtes et Créanciers ; et CJamii^le Piton, 

p, 358. 



296 CATHERINE DE MÉDICIS 

cune de prête, mais en pleine terre, tant ainsi que 
le moindre de nous tous, et mêmement en un 
lieu de l'église où il n'y a aucune apparence 
qu'elle soit. Misérable, certes, est la condition 
humaine ! ... » 

Trois semaines plus tard, un prélat de cour, 
Regnault de Beaune, archevêque de Bourges, 
prononça sur sa tombe l'oraison funèbre exigée 
par les convenances (i), cependant qu'un avocat 
du parlement de Paris, François Méglat, rédi- 
geait une apothéose ou harangue dans laquelle 
il eut le courage de dire toute l'admiration que 
Ton devait à la défunte (2). 

Mais à Paris, le P. Gunicestre, prédicateur 
en renom et docteur en théologie, ne se gêna 
pas pour dire à ses auditeurs : « qu'elle avoit 
fait beaucoup de bien et de mal, mais encore 
plus de mal que de bien ». Sur quoi il conclut 
que, comme elle avoit fort souvent favorisé l'hé- 
résie par sa politique aussi bien que par ses su- 

(1) Oraison funèbre faicte aux obsèques de la royne, mère du 
roi), par. Messire Regnault de Beaune, en présence du roy, 
de la royne, etc. à Bloys le III^ jour de Feuurier 1589, in-8. 

(2) Apothéose ou harangue funèbre de la royne douairière. 
Plus la paranymphe de justice, la parfaicte amitié et les con- 
solations de la morte. Par F. M. (François Méglat). Paris, 
chez Prenosteau, 1601, in-12. 



CATHERINE DE MÉDICIS 297 

perslitions et son commerce avec les sorciers et 
astrologues, « il ne sçavoit vraiment pas si l'on 
devoit prier Dieu pour elle ». 

« Je vous diray pourtant, ajouta ce prédica- 
teur, que si vous voulez bien luy donner à l'ad- 
venture, par charité, un pater et un ave, il lui 
servira toujours de ce qu'il pourra. Je laisse 
tout cela à votre liberté (i). » 

Les seize, dit Félibien, déclarèrent hautement 
que si « l'on apportoit son corps à Paris pour 
l'inhumer à Saint-Denis, ils le jetteroient à la voi- 
rie ou dans la rivière de Seine ». 



(1) Michel Félibien, Histoire de Paris, t. II, pp. 1175 et 
1176, édition de 1725. 

Nous avons une relique curieuse de Catherine de Médicis : 
c'est sa jambe, décrite et vantée par Brantôme, et qui repose 
aujourd'hui dans l'une des vitrines du Musée Tauet à Pon- 
toise. Cette jambe, coupée au genou, fut recueillie en 1793 
par Bruley, receveur des domaines à Saint-Denis, lors de 
la violation des tombes royales par les hordes révolution- 
naires. Complaisamment, Mme veuve Tavet, conservatrice 
du Musée de Pontoise, m'a démontré l'indiscutable authen- 
ticité de cette curiosité historique. Ainsi, cette jambe qui, 
au dire de Brantôme, était d'une finesse et d'un ensemble de 
lignes admirables, cette jambe qui fut la première en France 
gainée d'un bas de soie fin et bien tiré et pour l'exhibition de 
laquelle Catherine, montant à cheval, inventa une selle mu- 
nie d'un arçon spécial qu'utilisent encore nos amazones 
modernes... cette jambe n'est plus qu'un débris informe, 
noir et desséché. « Et j'ai pesé dans ma main la cendre des 
héros », a dit Lamartine. 



298 CATHERINE DE rMEDICIS 

Devant cette haine publique, le corps de Ca- 
therine, dans son cercueil de plomb, devait at- 
tendre durant vingt années, près d'un pilier en, 
l'église Saint-Sauveur de Blois, la sépulture 
royale qu'elle avait fait édifier sous ses yeux par 
Germain Pilon en la basilique de Saint-Denis, 
lors de la mort de son époux (i). 

Quant à Henri III, quoi qu'en pense Bague- 
nault de Puchesse, c'est très sincèrement qu'il 
comprit l'importance de cette disparition. Le 
19 janvier, il annonçait en ces termes la mort 
de sa mère au marquis de Pisany : 

« Je laisseray ce propos des affaires publics 
de mon royaume pour vous dire l'affliction par- 
ticulière de laquelle il a pieu à Dieu me visiter 
pour la perte que j'ai faicte de la feue royne ma 
dame et mère, qui passa à plus heureuse vie le 
IIP de ce mois après une maladie de fièvre et 
d'une grande defluxion dans l'estomac, qui luy 
avoit duré quinze ou seize jours, s'y estant en- 
cores sur la fin adjousté une pleurésie ; et comme 
je luy estois tenu non seulement du devoir com- 



(1) Lettres de Henry et Diane de Fiance, duchesse d'An- 
goulême, relatives au transport du corps de Catherine de 
Médicis, du château de Blois à labbaye de Saint-Denis, 
Archives nalionales : K, 108 11° lOé ; pièces oris^inales. 



CATHERINE DE MEDICIS 299 

mun de la nature pour n'avoir mis sur terre, 
mais de tout le bonheur que j'ay jamais eu en 
ce monde, aussi le deuil et regret que m'apporte 
la privation du bien de sa présence, ne reçoit 
en comparaison le ressentiment qui suit natu- 
rcllem^ent la perte des personnes qui attouchent 
de semblable degré, pouvant à bon droict estre 
nommée avec le tiltre de mère du roy, la mère 
du royaume. Telle néantmoins a esté la volonté 
de Dieu, à laquelle il me fault conformer, comme 
je le doids faire en toutes choses ; et m'asseu- 
rant que Sa Sainteté participera à mon déplai- 
sir, tant pour la bonne volonté qu'elle me porte, 
que pour le respect et honneur que méritoit de 
soy une si grande et vertueuse princesse, vous 
tuy donnerez cest advis de ma part(i). » 

Malgré la ligue, malgré l'assassinat des Guise 
et la part active que les agents de Philippe II 
avaient prise au mouvement parisien, le roi d'Es- 
pagne n'avait pas complètement cessé ses rela- 
tions diplomatiques avec la cour de France. 
Aussi Philippe II envoya-t-il ses condoléances à 
Henri IIÏ, dès qu'il apprit la mort de Catherine. 

(1) Bibliothèque nationale, n. acq. man^ f. fr : n° 2743, et 
collection Costa de Beauregard, archives de la maison 
î1'\ngennes, citées par Bagiienfiult de Puchesse, 



300 CATHERINE DE MEDICIS 

A cette marque courtoise, Henri III répondit 
par la lettre suivante : 

« Monsieur, l'extrême perte que j'ai faicte en 
la mort de la feue roine ma bonne mère, vous 
sera comme je m'aseure en l'âme pour la proxi- 
mité qui est entre nous avecques beaucoup de 
desplaizir, dont je ne seaurois que ressentir ceste 
obliguation; car comme je n'avois ni ne sçau- 
rois avoir rien de plus cher, aussy ressans-je le 
regret qu'il vous a pieu m'an tesmoigner, comme 
icy dès je remettrai doncques à ce mien se- 
crétaire d'Estat nommé Forget, à vous déclarer 
plus partyculièrement comme les autres affaires 
dont je lui instruit pour les vous représenter et 
antandre de ma part. Et sur ce, je prye à Dyeu 
vous conserver, Monsieur, en très bonne et par- 
faicte santé. 

« De Tours, le cinquième jour d'Avryl 1689 . 

« Vostre bon frère, 

« Henry (1). » 

Catherine de Médicis laissait plus de dix mil- 
lions de dettes, et les contestations qui s'élevè- 
rent au sujet de sa succession furent si nom- 

(1) Archives nationales, K. 1578, B. 66, n» 72. A. {Négocia- 
tions France-Espagne) 5 avril 1589. 



CATHERINE DE MEDICIS 301 

breuses, que son héritière ne put jamais entrer 
en possession des biens qui lui étaient échus (i). 



« Que malheureux fut encor le jour que telle 
royne mourut, écrit Brantôme, et sur le poinct 
que nous en avions plus de nécessité et en avons 
encor : 

Cette royne qui fut de tant de roys la mère. 
Et de reynes aussy, ensemble de la France, 
Mourut lors qu'on avoit d'elle le plus d'affaire, 
Car nul qu'elle n'a pu luy donner assistance (2). 

Les événements se pressaient, en effet ; et 
Catherine mourut juste à temps pour ne pas subir 
la plus grande des douleurs que le destin aurait 
pu lui réserver : la chute des Valois qu'elle eût 
été impuissante à éviter, quoi qu'en dise Bran- 
tôme. 

(1) Arrêt du parlement donnant commission aux lieute- 
nants civil et particulier du Chàtelet pour faire estimer les 
livres rares, beaux marbres et antiquitez, bois de cèdre, 
pierres taillées estants allentour et es environs du chasteau 
de Saint-Maur, tous objets ayant appartenu à Catlierine de 
Médicls, et dont le prix est revendiqué parles créanciers de 
ladite dame [Archives nationales, E. l B. foi. 136 R.) 

(2) Brantôme, Vie des dames illustres, édition Garnier 
frères, pp. 98 et 100. 



302 CATHERINE DE MEDICIS 

Ainsi, du moins, s'éteignit-elle sans avoir vu 
mourir une politique qui avait absorbé toute sa 
vie. Mais de même qu'elle fut frappée à sa der- 
nière heure par l'étrange coïncidence qui lui 
rappelait la funeste prédiction relative à Saint- 
Germain, peut-être aussi se rappela-t-elle l'oracle 
du miroir magique, annonciateur de la catas- 
trophe qui fit, qu'à sept mois d'intervalle, toute 
son œuvre la suivait au tombeau. 



CONCLUSION 



Lorsqu'un historien entreprend l'étude da ca- 
ractère et de la vie de Catherine de Médicis, 
môme sans parti pris, il est tout disposé à la 
haïr. Mais à mesure que cette figure se révèle, 
se précise à son examen, il sent en son for 
intérieur la diminution du premier sentiment, 
qui insensiblement s'atténue et disparaît même 
pour céder la place à une complète admira- 
tion. 

C est que dominée par le désir de gouverner, 
Catherine ne fut nullement méchante par es- 
prit, et qu'à chacune des manifestations de sa 
cruauté, comme à chacune des manifestations 
de ses étranges croyances, correspond une cir- 
constance politique. Aussi intrigante que diplo- 



304 . CATHERINE DE MEDICIS 

mate, elle n'eut jamais de plan ni d'opinion 
nettement déterminés; ses pensées comme ses | 
actions variaient et changeaient de formes selon 1 
le cours des événements. Et c'est pourquoi 
nous la voyons tour à tour indulgente et impla- 
cable, superstitieuse et incrédule, catholique et 
huguenote, timide et astucieuse, ïnais toujours 
impénétrable à l'œil, comme elle fut impéné- 
trable à la discussion. 

Toujours aussi elle a redouté les humains et 
redouté l'avenir. Et l'on peut dire que deux 
siècles avant Vauvenargues, elle avait établi cet 
axiome: « que l'on doit tout attendre et tout 
craindre du temps et des hommes ». De là, sa 
lutte sans trêve avec les mystères du destin, et 
sa confiance dans les oracles rendus par ses as- 
trologues et magiciens. De là aussi son atta- 
chement pour certains animaux et sa foi en 
l'influence protectrice des talismans. 

De cette personnalité dont la vie fut si agitée, 
si tourmentée par une ambition sans borne, 
s'échappent pourtant des qualités incontes- 
tables denergie, d'intelligente finesse et de 
clairvoyance qui lui permirent de ne jamais 
craindre ni les dangers, ni les hazards des 
combats politiques et religieux. 



CATHERINE DE MEDICIS 305 

Catherine de Médieis eut aussi des sentiments 
artistiques dont nous goûtons encore aujourd'hui 
l'heureuse application dans la construction de 
plusieurs chefs-d'œuvre d'architecture, qui se- 
ront toujours l'ornement de Paris et de divers 
coins de France. 

Sa cour, qui fut la plus brillante des cours 
européennes de son temps, a été l'asile des 
artistes, des savants et des littérateurs distingués 
de l'époque. Indépendamment des Baïf, Dorât, 
Fionsard, nombreux sont les intellectuels de tous 
genres qui vécurent de la munificence de Cathe- 
rine. 

Les poètes auxquels elle avait accordé ses 
largesses ne l'oublièrent pas après sa mort. 
En une épitaphe composée de deux quatrains (i), 
l'un de ces rimeurs, avec une paisible et spiri- 
tuelle ironie, a résumé les principaux actes de 
ce caractère intrépide, fantasque et fort : 

La reyne qui cy-gît fut un diable et un ange. 
Toute pleine de blâme et pleine de louange. 
Elle soutint l'État et l'État mit à bas ; 
Elle fît maints accords et pas moins de débats. 



(1) Notice anonyme et sans date, de VImprimerie J. Pinard, 
rue d'Anjou-Dauphine, n° S à Paris. 

18. 



3Ud 



CATHERINE DE MEDICIS 



Elle enfanta trois roys et cinq guerres civiles^ 
Fit bâtir des chasteaux et ruiner des viles, 
Fit bien dé bonnes loys et de mauvpis édits... 
Souhaite-lui, passant, enfer et paradis ! 




TABLE DES MATIERES 



% 



TABLE DES MATIERES 



Pages. 
INTRODUCTION . 9 

LA STÉRILITÉ DE CATHERINE, LE DOCTEUR JEAN FER- 

NEL ET LES BREUVAGES MAGIQUES 26 

LES ORACLES ASTROLOGIQUES DE LUC GAURIC ET DE 
NOSTRADAMUS, MORT DE HENRI II ET MORT DE 
MONTGOMMERY 47 

LA MORT DE FRANÇOIS II, LE SACRE DE CHARLES IX 

ET l'astrologue SIMEONI 400 

LE MIROIR MAGIQUE 125 

l'envoûtement ET l'assassinat des chefs pro- 
testants 145 

l'envoûtement de CHARLES IX ET COSME RUGGIERI 171 
L oracle de LA TÊTE SANGLANTE ET LA MORT DE 

CHARLES IX 230 

AUTRES FORMES DE LA SUPERSTITION DE CATHERINE 

ET INFLUENCE DE l'oCCULTISME SUR l'eSPRIT DE 

SES FILS - 242 

LES PRÉSAGES ASTRONOMIQUES POUR l' ANNÉE 1589 

ET LA MORT DE CATHERINE DE MÉDICIS. . . . 288 

CONCLUSION 303 



t171^''-<. 



ACHEVÉ D'IMPRIMER 
le trenle avril mil neuf cent onze 

P\R 

E. ARRAULT ET O^ 

A TOURS 

pour le 

MERCVRE 

DE 

FRANCE 



â839 




Catherine de Médicis 

à la fin de sa vie. 

{Sceau A. N.) 




University of 
Connecticut 

Libraries 



iiiiiiiiiiiii 

39153029272863